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Combien coutent le russe, les redoublements et les Zep ?

Telles étaient quelques-unes des questions que la Cour des comptes a voulu poser par rapport aux dépenses de l’Éducation nationale, pour finalement regretter que le ministère ne soit pas en mesure de fournir les données nécessaires. Le rapport qui vient d’être rendu public n’apporte pas d’éléments particulièrement nouveaux sur le plan des constats : une école plutôt peu performante par rapport aux systèmes éducatifs de pays comparables, et par rapport aux moyens budgétaires dont elle dispose ; une école qui ne progresse pas dans le traitement des difficultés scolaires, qui ne réussit pas à empêcher que les inégalités sociales se transforment en inégalités scolaires.

Ce sont plutôt les préconisations qui interrogent. Deux notions reviennent fortement, jusqu’à prendre l’allure de martingales : l’autonomie, celle des équipes, des établissements, et l’accompagnement, personnalisé tant qu’à faire, pour ce qui concerne les élèves.

Soyez autonome !
La cause majeure de la relative inefficacité du système éducatif français viendrait de l’uniformité qui prévaut dans la répartition des moyens, les règles de fonctionnement : quels que soient les territoires, un même statut enseignant, les mêmes programmes, les mêmes grilles horaires, les mêmes dispositifs pédagogiques, etc. Les mesures dérogatoires sont effectivement l’exception : ainsi les quelques moyens supplémentaires pour les établissements en éducation prioritaire, ou bien, à l’autre bout du système, les modalités de recrutement des professeurs des classes préparatoires. Mais peut-on dire pour autant qu’une allocation beaucoup plus différentielle des moyens, en fonction des difficultés constatées, avec des marges de manœuvre beaucoup plus importantes, suffirait en soi à améliorer le traitement de la difficulté scolaire ?

La Cour des comptes regrette par ailleurs la persistance de la pratique du redoublement, qui représente effectivement une charge importante alors qu’on sait bien son inefficacité, et le développement des classes « de niveau », alors que les études montrent que c’est l’hétérogénéité qui est plutôt favorable aux élèves en difficulté. Mais de telles mesures ne sont pas le fait de l’institution centrale qui s’efforce plutôt de les limiter. C’est bien au sein des établissements que se prennent les décisions de redoublement ou de constitution des classes et on pourrait s’inquiéter d’un tel usage des marges d’autonomie des établissements… L’idée que les équipes de terrains, parce qu’elles sont directement confrontées aux élèves, sont les plus à même d’évaluer les situations, d’élaborer et de mettre en œuvre des réponses semble tout de même un peu courte. Au-delà de l’opposition entre uniformité de la politique et ajustements locaux, restent la question des dispositifs pour répondre aux difficultés, la question de la qualification et donc de la formation des acteurs locaux pour y faire face, et c’est bien là aussi qu’il serait urgent de mettre des moyens.

Sortez accompagné !
« L’accompagnement personnalisé » semble également être le terme à la mode en matière de pédagogie. Les rapporteurs ont bien indiqué se trouver là plutôt en dehors de leur champ de compétences. Mais ils préconisent tout de même une intégration forte de ces temps d’accompagnement dans les services des enseignants, en concurrence des cours disciplinaires. On atteint aussi les limites de ce mot, joli et séduisant, mais sans bien savoir ce qu’il recouvre dans ce rapport. Rappelons qu’il peut y avoir d’excellents cours, intégrant des dispositifs de différenciation, de remédiation qui favorisent la réussite de tous, et de très mauvais temps d’accompagnement, stériles, voire stigmatisants. Rappelons aussi qu’on ferait bien de remettre au premier plan des dispositifs autour de projets interdisciplinaires comme les itinéraires de découverte, laissés à l’abandon sans que personne ne se soit soucié de les évaluer.

Les magistrats de la Cour ont souligné le dynamisme des équipes dans les établissements qu’ils ont visités, ont exprimé leur confiance dans la volonté des enseignants d’assumer au mieux leurs missions. Dont acte. Mais si le métier doit effectivement évoluer, ce ne sera pas simplement en réécrivant le décret de 1950, il faudra aussi investir dans l’accompagnement des enseignants eux-mêmes, dans la formation initiale et continue, complètement négligée par le ministère, pour ne pas dire plus.

Reste en tout cas aux pédagogues à travailler fortement ces notions d’autonomie et d’accompagnement, pour leur donner un contenu effectivement utile à la réussite des élèves. Si, sur ces bases-là, la Cour des comptes parvenait à convaincre le ministère d’attribuer les moyens à la hauteur des enjeux, de mieux utiliser l’existant dans la perspective de la lutte contre le décrochage scolaire, ce serait une bonne nouvelle.

Patrice Bride
Rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques