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C’est pas moi, c’est mon avatar !

nipedu-logo-nouveau.jpg« Ce n’est pas parce qu’on va imposer une tenue unique aux élèves qu’ils se mettront à mieux apprendre ! » C’est en ces termes que s’agaçait, sur une grande radio nationale, un responsable syndical, en réponse aux annonces du ministre dans la foulée des résultats de PISA 2023.

Outre l’intervention dans cette même interview de Jérôme Fourquet, auteur d’une note sur la question en 20171, ce qui a retenu notre attention, c’est l’écho de cette affirmation avec le sujet de notre émission alors en préparation : les avatars en éducation2. Et si changer de costume était malgré tout un levier pour mieux apprendre ?

Avatars d’hier et d’aujourd’hui

L’utilisation d’avatars à l’école n’a pas attendu les sociétés 3.0. Qui ne s’est jamais vu affublé d’un autre prénom en cours de langue ? Et ce petit train, cette fleur ou ce soleil dans les premières classes de maternelle pour représenter telle ou tel élève ? Bien sûr, ces exemples sont sans commune mesure avec l’avatarisation dans les espaces numériques scolaires. On pense aux logiciels ludifiés de gestion de classe et de développement des compétences psychosociales, mais également aux images de profil et aux bio que l’on retrouve dans la plupart des environnements numériques de travail ou des plateformes d’apprentissage en ligne.

La pratique ne se limite d’ailleurs pas aux élèves. Pensez plutôt à la manière avec laquelle, lors d’un webinaire ou d’une formation en ligne, l’intervenant choisit de se présenter aux participants : tenue vestimentaire mais aussi cadrage, luminosité, environnement…

La maitrise (ou pas) de ces paramètres en dit long sur le projet de mise en scène de soi : elle traduit une intention, consciente la plupart du temps mais pas toujours, en même temps qu’elle met en condition le sujet agissant, qu’elle l’oblige au regard des attentes réelles ou perçues de son audience : c’est l’effet Proteus.

Proche de la théorie de l’autoperception, l’effet Proteus décrit la manière dont un utilisateur cherche à se conformer à son avatar en adoptant des comportements pour confirmer les attentes d’un observateur. C’est cette influence circulaire qui s’installe entre soi et la représentation avatariale de soi : si je contrôle et j’influence mon avatar, celui-ci en vient à infléchir à son tour mes comportements et mes attitudes.

Meilleur ailleurs ?

Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne suffit hélas pas de faire incarner un génie de la science à votre Jojo Patate pour faire de lui un futur ingénieur. Dans une thèse de 2011 au Canada, Tamara Hamroun étudie l’impact et les limites des pratiques avatariales sur l’évolution des compétences, des connaissances et des identités dans les environnements numériques. Inspiré par Bourdieu, le modèle qu’elle décrit donne à comprendre la manière dont le capital culturel de l’élève ne peut être transféré et transformé dans les virtualités que moyennant une implication volontaire, éclairée et réflexive de sa part.

Au beau milieu donc d’un fatras technoconservateur où se mêlent IA et uniforme scolaire, il en est des avatars comme de tous les objets inédits produits par l’industrie et les cultures numériques. S’ils n’offrent toujours pas de baguettes magiques digitales au pédagogue ou à l’éducateur, ils n’en constituent pas moins de saisissantes opportunités pour aider les élèves à grandir, penser et se penser au sein des complexités de ce siècle.

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

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Notes
  1. Voir http://tinyurl.com/29fd3tf6.
  2. À écouter ici : http://tinyurl.com/yeysb5jb.