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Ce n’est pas une bonne idée !

Couverture du Petit Cahier n° 27 : Comment ne pas faire ds groupes de niveau

Est-ce possible ? Commençons par une taquinerie : c’est peut-être possible à l’École alsacienne ou au Collège Stanislas, là où les différences entre les élèves sont relativement faibles, là où les moyens sont importants, où les « moins performants » auront bien d’autres moyens de combler leurs lacunes et de compenser leurs difficultés. Mais dans les établissements ordinaires, là où les moyens sont limités et les différences multiformes : comment constituer des groupes ? Où placer l’immense majorité des élèves qui ne sont ni « excellents » tout le temps, ni « en échec » tout le temps ? Comment répartir les groupes entre les enseignants sans que, très vite, on en vienne à associer élèves considérés comme « faibles » et profs considérés comme « faibles » ? Comment simplement faire des emplois du temps ?

Est-ce efficace ? Si l’on veut simplement entrainer les élèves aux tests internationaux, peut-être…

Mais trêve de taquinerie, les résultats d’innombrables recherches sont unanimes : ça ne marche pas ! Réunir les élèves qui avancent moins vite que les autres, c’est les condamner aux exercices répétitifs et de bas niveau d’exigence, fabriquer de l’ennui, de la stigmatisation, du renoncement. Réunir les élèves qui avancent plus vite que les autres, c’est peut-être les rendre performants à court terme, mais cela fabrique de nouveaux écarts entre eux qui nécessitent à nouveau une différenciation, c’est aussi les priver des opportunités d’expliquer à leur tour à d’autres. À long terme, on fabriquera des élites dénuées de capacité d’adaptation et sans imagination…

Est-ce souhaitable ? Si l’on veut une école qui dégage une élite et dégage les autres, si l’on croit à l’idéologie des « talents », oui. Mais si on veut une école pour tous, émancipatrice et solidaire, non. L’école de la République, telle que l’ont voulue ses fondateurs et leurs continuateurs (y compris de droite), c’est le mélange des classes sociales, l’abolition des privilèges à l’école (ceux des élèves et ceux des profs), les mêmes objectifs pour tous.

Aux Cahiers pédagogiques, nous avons toujours choisi le second camp, celui qui se préoccupe de faire réussir tous les élèves. Pour nous, le débat est tranché : les groupes de niveau, c’est non ! Mais, parce que nous ne nous contentons pas de refuser les formules simplistes, nous revenons sur la question de la différenciation et des groupements d’élèves dans ce Petit Cahier, pour ne pas laisser les équipes des collèges sans ressources pour mettre en œuvre des textes officiels et un vadémécum pour lesquels elles subissent une très forte pression.

Dans notre dossier de décembre 1989, « Groupements d’élèves, il n’y a pas que la classe », déjà, Jean-Michel Zakhartchouk citait Louis Legrand, l’un des inspirateurs de la loi Jospin : « Le groupement d’élèves doit être considéré non pas comme la mesure institutionnelle de la différenciation, mais comme un moyen, parmi d’autres, mis à la disposition des maitres pour faire face à la diversité des populations scolaires qui leur sont confiées. » Et Philippe Meirieu affirmait qu’il fallait échapper à l’opposition simpliste entre groupes hétérogènes et groupes de niveau : « On pourrait distinguer trois lieux d’apprentissages : des lieux-projets où, affrontés à des tâches, les élèves pourraient découvrir des obstacles, des lieux-guidance où ces obstacles seraient analysés et où l’on rechercherait les meilleures conditions de l’acquisition et des lieux-ressources où pourraient s’effectuer les appropriations nécessaires. »

Cela suppose un peu plus de confiance dans la capacité d’adaptation des établissements et des enseignants, un peu plus de moyens, et un peu plus d’imagination !

Yannick Mével
Directeur des publications