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Bilan de santé et entretien d’évaluation : le travail en question
Annonces surprenantes en ces temps de réduction du nombre de fonctionnaires et de si longue déshérence de la médecine du travail dans l’Éducation nationale : il y aurait donc de bonnes raisons de se préoccuper de la santé des enseignants. L’autre annonce ministérielle, au cœur de l’été cette fois, concerne l’institution d’une évaluation des fonctionnaires par entretien individuel sur la base d’objectifs. Le but est d’améliorer l’efficacité du système par la stimulation des fonctionnaires et une meilleure reconnaissance de leur travail tout en développant un contrôle de proximité par un management par objectifs. Ces deux décisions sans liens apparents gagnent à être analysées ensemble, car dans les deux cas, c’est du travail dont il est question… et de santé.
Un contexte lourd de difficultés professionnelles
La première annonce est à replacer dans un contexte où les risques psychosociaux sont au-devant de la scène médiatique depuis la succession de suicides à Renault et France Télécom, mais aussi dans le plan européen de lutte pour la qualité du travail afin de contrer l’explosion des troubles musculosquelettiques (TMS) et le cout important pour la société des problèmes de santé du fait des nouvelles organisations du travail. Concernant les enseignants, des enquêtes européennes soulignent le stress auquel ils sont soumis et, en France, une enquête ministérielle récente fait état d’un « malaise enseignant [[Patricia Gambert, Jacques Bonneau, « Enseigner en collège et lycée en 2008 », Les dossiers évaluations et statistiques, 194, octobre 2009.]] ». Du côté de la recherche, des signaux sont également donnés tant sur la question du burnout (épuisement professionnel)[[Laurence Janot-Bergugnat, Nicole Rascle, Le stress des enseignants, Armand Colin, 2008.
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]] que de la souffrance au travail, et les services sociaux des rectorats et des inspections académiques alertent depuis déjà une dizaine d’années sur l’augmentation des projets de démission ou les ruptures de plus en plus précoces dans la carrière, tandis que les démissions d’enseignants débutants seraient plus nombreuses[[Françoise Lantheaume, Christophe Hélou, La souffrance des enseignants. Une sociologie pragmatique du travail enseignant, PUF, 2008.
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]]. La souffrance ordinaire des enseignants, socialement peu légitime (« avec les vacances qu’ils ont… »), se traduit par des somatisations. Elle indique comment vont les enseignants et surtout comment va leur travail, car « le travail est un opérateur de santé [[Yves Clot, Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, La Découverte, 2010.
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Se préoccuper de la santé des enseignants ne peut faire l’économie de la compréhension des sources du « malaise » dans le travail lui-même. Le dégout que certains enseignants en arrivent à éprouver pour leur travail touche les plus engagés d’entre eux qui mesurent jour après jour la distance séparant leurs efforts, leur inventivité, leur sens du service public et les résultats de leurs élèves d’une part, l’orientation des politiques publiques, d’autre part. Celles-ci accordent la priorité à une conception de l’efficacité essentiellement fondée sur les performances des élèves mesurées par des tests. Mais, si l’institution prescrit de « faire du chiffre », elle exige aussi une attention à chaque élève, un apprentissage individualisé. La tension entre les deux logiques dans l’activité quotidienne de l’enseignant le confronte à des dilemmes permanents, usants. Autres causes de difficulté : les ambivalences institutionnelles entre le projet affiché de démocratisation et d’école juste et des conditions de réalisation inadaptées, ou encore entre injonctions à l’autonomie, à la responsabilité des enseignants et contrôles tatillons.
Un besoin de collectif autour d’un « bon travail »
Les individus enseignants sont d’autant plus en première ligne que le collectif professionnel parait affaibli. La plainte massive s’exprimant dans les salles des professeurs en est un des signes. Elle permet certes d’externaliser les causes des difficultés et des échecs, mais n’aide pas à les résoudre. Autre signe, le manque de solidarité fréquemment observé à l’égard du ou des collègues en difficulté comme si la crainte de la contagion entravait les gestes de soutien. Dans ce contexte, des problèmes de travail tendent à être traités sous l’angle de la santé individuelle de façon à repérer et éliminer les plus « fragiles » ; or, dans les nouvelles organisations du travail, tout salarié engagé dans son travail peut le devenir.
Parmi les principales causes du « malaise » repérées par l’étude ministérielle se trouvent les difficultés de prise en compte de l’hétérogénéité des élèves, mais aussi le manque de reconnaissance. Cette carence conduit à la question de l’évaluation du travail source éventuelle de reconnaissance. Les enseignants dénoncent le plus souvent les formes instituées d’évaluation (inspection, évaluation par les chefs d’établissement) jugées trop éloignées du réel de leur activité. En écho à leurs critiques, l’individualisation de l’évaluation sur des critères et indicateurs décidés par la hiérarchie est-elle une solution adéquate ?
De fait, une évaluation individualisée fondée sur la seule prescription accroit l’isolement en personnalisant les difficultés, et attise la concurrence entre les personnes en gratifiant les plus « méritants ». Or, isolement et absence de collectifs de travail provoquent mal être et problèmes de santé. Quand les critères d’évaluation des enseignants portent essentiellement sur les performances (des élèves), on sait par de récentes études sur les expériences anglo-saxonnes que cela aboutit à orienter l’activité au détriment des apprentissages et à polariser l’activité sur le « bachotage » des tests.
Pour éviter cela, les enseignants devraient débattre entre eux pour définir en quoi consiste le « bon travail », en vue d’actualiser le métier en prenant en compte le prescrit. Débat à mener aussi avec la hiérarchie pour arrêter – toujours provisoirement – des critères acceptables de la qualité du travail. Ces repères collectifs et individuels seraient des ressources pour agir, arbitrer, innover et… être bien au travail.
Se préoccuper de la santé des enseignants est positif, mais une façon de la conserver voire de l’améliorer nécessite surtout de se soucier de leur travail et qu’eux-mêmes soient partie prenante du débat sur ce que bien travailler veut dire.
Françoise Lantheaume
Université de Lyon, unité mixte de recherche Éducation & politiques (Lyon2-Inrp)
Biographie sur le site de l’INRP