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Avec la pilule, ça part…

Durant cette année scolaire, dans mon lycée rural, le carnet rose a été bien rempli… Nous avons eu six naissances avec des mamans-élèves de seize à dix-huit ans. Et on ne compte pas le trop grand nombre d’IVG…
Manon, tout juste seize ans, entre dans mon bureau, l’air embêté…

— Madame, il faut que je vous parle à propos de mon absence de vendredi matin…

— Oui, Manon, je t’écoute.

— Ben voilà, je suis allée en consultation à la planification familiale.

— Oui, bien, c’était pour un problème de contraception ?

— Oui, Madame et vendredi matin, on m’a donné la première pilule.
Un clignotant s’allume quelque part. Cette « première » pilule m’alerte…


— Ah bon, on t’a prescrit la pilule pour la première fois, Manon, c’est mieux comme ça, non ?

— Oui, et j’y suis retournée samedi matin pour prendre la deuxième.

— 

— La deuxième pilule Madame, vous savez…

— Ah je vois… Tu as donc subi une IVG, avec la pilule du lendemain, c’est ça ?

— Non Madame, c’est pas ça !

— Mais, Manon, tu as fait une IVG, ça s’appelle une IVG, non ?

— 

— Enfin, tu étais enceinte ? Et tu as avorté, c’est ça ? Tu as avorté en faisant une IVG ?

— Bon, si vous voulez Madame, de toute façon, avec la pilule, ça part !

Mon propos ici n’est pas de stigmatiser des élèves qui sortent de l’adolescence pour entrer brusquement dans le monde des adultes voire dans celui de parents. La jeune Manon n’est pas une extraterrestre ; les élèves que nous accueillons ressemblent à ceux d’ailleurs. Bien sûr, la proportion de ceux issus d’une catégorie sociale défavorisée est supérieure à la moyenne académique. Bien sûr, nous avons beaucoup d’élèves dans les filières « moins nobles » que d’autres, avec des classes de STG, des BEP tertiaires et la série des carrières sanitaires et sociales. Mais tous nos élèves, depuis le collège, ont suivi des séances d’information par la planification familiale et nous reproposons les mêmes pour ceux qui entrent en seconde générale et professionnelle…
Cependant, on constate que quelques-unes de nos adolescentes n’ont pas enregistré toutes ces informations de la même façon. Certaines d’entre elles confondent « avortement » et « contraception » et ont tendance à donner à ces deux mots le même sens puisqu’il s’agit dans les deux cas d’arriver au même résultat : ne pas avoir de bébé après une relation sexuelle…
Alors je m’interroge : pourquoi nos messages d’information, de prévention perdent-ils toute consistance, restant loin de leur réalité, de leur vécu, et ne sont-ils que des mots ? Pourquoi, dans trop de cas, mes explications n’ont-elles pas été entendues et comprises, et surtout acceptées et validées ?
Serait-ce qu’au moment où elles reçoivent les infos au collège, puis en 2de, elles ne se sentent pas individuellement concernées parce qu’elles n’auraient pas encore de vécu ? Et donc que les mots et les réalités qu’ils désignent restent hors champ, hors d’elles ?
Et puis, la découverte initiale de la sexualité et de l’amour est un moment de grand trouble : la surcharge affective fait perdre pied souvent (y compris aux adultes avertis que nous sommes !) au risque d’en oublier toutes précautions contraceptives et/ou prophylactiques.
Enfin, effet générationnel : nous sommes à l’ère du zapping et du jetable. Les « miracles » de la technologie presse-bouton habituent dès l’enfance à zapper les situations, à cliquer sur les ennuis pour les effacer, les mettre à la corbeille. Tout est écrasé et les situations se valent. J’ai un bobo, on me donne un cachet, je suis guérie. Je suis enceinte, vite la RU et « ça part ». Il n’y a plus aucune gravité à être gravide. La perte du sens différentiel des mots joue avant tout comme une perte du sens global des situations de vie…
Mais comment les aider à donner du sens à la vie ?