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Autrement capables. Autrement faire.

Bien sûr, les problématiques du corps ne sont pas de même nature selon les différents types de handicaps, moteurs, sensoriels ou mentaux. Mais il y a souvent une constante chez ces élèves, c’est la maladresse et le malêtre de leur corps. On retrouve chez beaucoup d’enfants en situation de handicap soit des états hypotoniques avec des phases apathiques et une fatigabilité très importante, soit des états hypertoniques avec beaucoup de difficulté à se centrer sur une tâche, des déplacements fréquents, rapides, mal contrôlés, comme si le désordre de leur pensée était en corrélation avec le désordre de leur corps.

Que faire dans ces conditions ?

  • Les aides ou les compensations : elles consistent parfois à ne pas faire faire (les enfants handicapés sont souvent dispensés de cours d’EPS) ou à faire à leur place les actes (encore) non réalisables. Là interviennent les aides humaines, par exemple un auxiliaire de vie scolaire (AVS), ou matérielles. La compensation, ce peut être aussi de leur éviter toutes les situations qui font souffrir, comme un temps trop long de concentration, un affrontement social perturbant, une demande d’autonomie trop exigeante, qui mettraient les enfants dans une situation dévalorisante. Elle permet, au minimum, à l’élève de participer à une action collective, de partager des émotions avec ses pairs, de vivre une situation complexe avec les autres.
  • Les adaptations : il s’agit ici d’adapter la situation à ses possibilités ou à ses difficultés, de transformer les conditions de l’apprentissage (sans pour autant y renoncer). Leur nombre et leur originalité ne tiennent qu’aux capacités d’imagination des enseignants. On peut, par exemple, réduire le temps de travail, la difficulté de la tâche, mais aussi prévoir du matériel adapté : raquettes plus courtes ou qui s’attachent aux bras, table de pingpong sans filet. On peut encore placer dans son environnement des repères visuels spécifiques, qui sécuriseront sur le plan affectif et psychique ou aideront dans le domaine cognitif.
  • La remédiation ou le détour : c’est une autre stratégie, basée sur l’hypothèse que, si l’enfant ne peut effectuer certaines actions ou opérations, c’est qu’il a mal ou pas construit les processus fondamentaux lui permettant de les réaliser. La remédiation se donne alors pour objectif de reconstruire ces processus psychologiques défaillants ou mal adaptés, entrainant souvent des résistances, des compensations ou des stratégies d’évitement. Il ne s’agit pas de refaire tous les apprentissages, mais de reconstruire des compétences de base à partir des expériences et des acquis des élèves. Le détour, lui, définit le développement d’autres compétences tendant à se substituer aux fonctions défaillantes, comme par exemple, pour les non-voyants, le développement de compétences de construction de l’espace par d’autres voies que la vue. Ils voient d’une autre manière.

à bras-le-corps

Les enseignants que nous accueillons en formation[[Formation des enseignants spécialisés (CAPA-SH et 2 CASH) des enseignants du premier degré et du second degré pour l’adaptation et la scolarisation des personnes en situation de handicap. Et master en deux ans dont l’intitulé est « L’intervention auprès des personnes à besoins éducatifs particuliers ».]] sont parfois déroutés devant ces enfants dont les fonctions cognitives sont troublées, dont le psychisme, l’intelligence ne fonctionnent pas aussi facilement, pas aussi vite, qui ont parfois des conduites motrices auto-centrées, stéréotypées et répétitives (balancements) comme si le corps était enfermé sur lui-même, prisonnier d’une pensée empêchée. Ces enfants ne peuvent parvenir, pour des raisons diverses, directement aux apprentissages. Le corps (les activités manuelles, les activités corporelles, sensorielles) constitue alors un détour nécessaire, vers des apprentissages dans le domaine de la socialisation, de la gestion de l’affectivité, de la construction de la pensée.
Pour les enfants présentant des caractères autistiques, c’est la communication avec l’extérieur, et notamment par le langage, qui est affectée. Il s’agira alors d’utiliser le corps comme médiation différente pour entrer dans les apprentissages (ou tout au moins, dans un premier temps, en communication).

Si les médiations corporelles sont susceptibles de favoriser toutes les formes d’intelligence (motrice, émotionnelle, corporelle, conceptuelle, etc.), c’est peut-être par la danse, le jeu théâtral, le toucher, la vision, le regard, le partage d’un vécu corporel que l’on pourra remédier aux dysfonctionnements de la mémoire et de la pensée. Ce que l’enfant a des difficultés à dire avec des mots, il peut d’abord le dire avec le corps.

Patrick Sicre
Coordonnateur de la formation des enseignants spécialisés « adaptation et scolarisation en situation de handicap (ASH) », IUFM Midi-Pyrénées


En savoir plus

Le handicap en EPS

L’enseignant est en difficulté, quand il veut mettre en marche ces corps d’enfants handicapés, ces corps qui ne fonctionnent pas comme on le souhaiterait, ou comme le pré-supposent les programmes. Il faut alors changer de paradigme et inventer ou utiliser des méthodes pédagogiques attachées à la singularité, à la spécificité du sujet : c’est tout le rapport au corps, à la motricité qu’il faut reconsidérer, en développant d’autres compétences, d’autres sens, d’autres canaux qui permettent de « compenser les fonctions défaillantes ».

Pourtant, si l’on regarde les programmes d’EPS à l’école, on trouve, par exemple, les objectifs suivants, « maitriser les actions motrices (l’habileté) ; appliquer une solution ; construire des règles d’action ; découvrir des solutions originales », toutes sortes d’objectifs dans lesquels les personnes en situation de handicap peuvent se montrer autrement capables et même parfois particulièrement originales. Du moins si on ne prend pas comme référence la norme, mais des progressions, un développement personnel basé sur des compétences à développer.
P. S.


Zoom

La petite voix

Regardez-moi. Comment est-ce que je peux apprendre avec ce corps-là, cible des regards curieux ou apeurés, gênés ou compatissants, de tous ceux que je rencontre ? Un corps que je pourrais chercher à cacher si mon handicap n’était pas si visible, un corps que je me refuserais à mettre en mouvement pour ne pas le montrer défaillant, pour me laisser une chance d’être un peu comme les autres, de pouvoir exister, ne serait-ce qu’un temps, sans ce fardeau.
Comment je peux construire une estime de soi qui se fonde, en partie, sur mon aspect physique, à mi-chemin entre la représentation idéale qui flotte parfois en moi et l’image que les autres me renvoient ?
Me laisserez-vous apparaitre, dans cette société de l’image, de la performance et de la perfection du corps ?

Dites-moi qui je suis. Comment m’affirmer, me réaliser, me confronter à l’autre et au monde, construire mon identité en prenant conscience de mes capacités, de mes limites, de mes désirs ? Comment affronter le déséquilibre, la prise de risque, la gestion de la difficulté ou de l’erreur, toutes choses qui, on le sait, sont nécessaires dans le processus d’apprentissage quand le corps ne fonctionne pas bien ?
Mon corps, c’est ce que je vous donne à voir de prime abord. C’est aussi mon originalité, ma personnalité. Mais je voudrais tellement qu’il ressemble au vôtre.
Écoutez-le, mon corps, dissonance, dysharmonie. Tout en tensions. Et si, en s’animant, trouverait-il sa voix, et sa voie d’unification, d’apaisement ?

Je viens. Venez… Comment aller à votre rencontre, à la découverte du monde, avec ce corps qui ne marche pas, qui ne tourne pas rond ? Pourtant je viens. Regardez-moi.
Ce que je vais voir de moi, c’est dans votre regard que je vais le trouver. Vous serez mon modèle, je me mesurerai à vous, par la confrontation, la compétition ou la coopération. Enfant, c’est bien avec mon corps que sont venus mes premiers échanges, qui ont marqué de positif ou de négatif mes relations avec les autres. C’est par des activités physiques que j’ai appris à trouver ma place, mon rôle social, que j’ai pris des responsabilités. Culture partagée. Alors regardez-moi. Parlez-moi. Encore.

Empêché. Encore. Comment je peux apprendre avec ce corps qui m’empêche de penser ? Avec un corps qui se renferme sur lui-même et me rend insensible à l’environnement, ce corps refuge qui me permet d’éviter les souffrances de la relation empêchée ou l’intrusion dans mon intimité ?
Comment je vais construire mon espace et mon temps et faire des projets ? Comment est-ce que je vais pouvoir intégrer l’abstraction si je ne m’appuie pas sur des expériences réelles, si je ne peux pas vous toucher, vous sentir, vous écouter, vous répondre ? Monde désincarné, monde image. Autre monde.
Je me suis levé. J’ai marché vers vous. Plaisir de découvrir et de chercher. Et me voilà debout, en quête de savoir, de sensations, d’émotions et de sensualité.

Donnez-moi la main.
P. S.