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Ateliers d’écriture en institut de rééducation…

Je conduis, depuis trois ans des ateliers d’écriture à l’institut de rééducation et de psychothérapie de la Turmelière qui accueille une population de jeunes âgés de 6 à 16 ans et souffrant, pour reprendre le terme nosologique qui leur est attribué, de « troubles du comportement ». Ces jeunes ont donc une intelligence normale mais sont socialement et scolairement en échec. Ils ne sont la plupart du temps en aucune façon animés du désir d’écrire et de faire œuvre d’« écrivant ». Leur échec scolaire au quotidien les stigmatise dans leur conviction d’être des handicapés de l’écrit.
L’atelier travaille à la naissance ou à la restauration d’un désir d’écriture. Par la réalisation de cet objectif et les effets de bien-être qu’il peut stimuler, l’atelier se pose comme un outil soignant. Il s’appuie d’abord sur ce que l’enfant est, son désir de savoir, avant de s’attacher à ce que nous voudrions qu’il soit, son désir d’apprendre. Pour ces raisons, l’atelier d’écriture et plus particulièrement certaines formes d’écriture permettent à terme à l’enfant de s’avancer comme disponible et potentiel sur le chemin des apprentissages.

Je ne suis pas enseignant

Ma place dans l’institution est originale. Je n’appartiens pas par ma formation à la trilogie freudienne des métiers impossibles. Pourtant je pose quotidiennement dans le cadre de mon travail et de mon statut d’adulte des actes pédagogiques, éducatifs et soignants.
Mon activité d’animateur d’atelier d’écriture pour laquelle j’ai suivi une formation à Rennes s’inscrit dans un cadre plus large de gestion et d’animation d’une bibliothèque c’est-à-dire d’un lieu culturel. Au-delà de l’activité, c’est le rôle qui m’échoit qui importe. Les ateliers en effet doivent rester des lieux préservés de toute pression voire de toute obligation pédagogique et éducative, ce qui explique la prise de distance avec l’école et ses fonctions. Essayer de transmettre la culture, c’est introduire la pluralité, le doute, parfois la transgression, autant de valeurs qui s’accommodent mal avec les règles figées qu’elles soient pédagogiques et éducatives.

Agir en écriture

J’ai mis en place entre autres un « atelier journal » dont l’objectif est de commenter la presse quotidienne et d’en extraire des impressions à partir du journal « Mon quotidien ».
Je prends l’exemple de cet atelier car il fut un échec et en même temps une merveilleuse réussite. Deux enfants d’une même classe sont inscrits à cet atelier que je conduis seul. L‘enseignant souhaite éventuellement alimenter le « journal d’école » à travers la découverte de la presse et l’existence de débats. L’un d’eux ne sait ni lire, ni écrire tandis que son camarade de classe lit et écrit suffisamment pour ce travail. Contraint de respecter un engagement sur des objectifs partagés avec l’enseignant, chaque semaine, je lis une partie du journal en tentant de la faire partager aux enfants. L‘enfant non lecteur choisit le quotidien de la semaine en s’appuyant sur l’image et il sélectionne ainsi le texte qui accompagne cette image. Je lis alors plus à fond l’article sélectionné et l’enfant choisit une ou deux phrases qui lui paraissent importantes et les recopie. Il recopie donc un texte qu’il ne comprend pas mais en sachant que ma parole lui a donné ce qu’il écrit. Je vais beaucoup m’interroger sur le sens de ce travail, pensant l’abandonner. Je vais entendre plusieurs avis contradictoires : enseignants, éducateurs, conseillers pédagogiques, psychanalystes et orthophonistes… Car cet enfant, et c’est le plus important, a du plaisir, il le dit, il le montre. Dès qu’il arrive, il va chercher son cahier, les journaux et se met à l’ouvrage. Il recopie avec attention et agrémente son cahier de photos ou dessins illustrant le thème choisi. J’ai bien sûr cru à l’inefficacité, voire la bêtise d’un tel travail jusqu’à ce que des avis autorisés me fassent comprendre l’importance prévalente de la demande ici en jeu. Cet enfant cherche à « savoir » (connaître) le monde qui l’entoure, qu’il appréhende et espère toucher du doigt par la découverte de ces journaux et sur lequel il a prise en sélectionnant des images. En atelier d’écriture, je prête parfois ma main pour que l’enfant puisse écrire ce qu’il souhaite garder, ici j’ai prêté ma voix pour qu’il puisse garder un peu de ce qui l’entoure.
Et puis certains signes me laissent à penser qu’il peut être demandeur d’apprentissages scolaires : je l’ai surpris plus d’une fois à tourner les pages de livres pas toujours… d’images.

Les partenaires indispensables d’une communauté éducative

Les ateliers se déroulent majoritairement en présence de deux adultes à partir d’un thème proposé. Moi-même, en tant qu’animateur de l’atelier, et un partenaire volontaire qui peut être l’orthophoniste, un éducateur, un enseignant, et occasionnellement un psychologue, un jardinier… Chaque professionnel a une perception et une approche différentes des ateliers et de l’écriture en général. Je mets l’atelier en place, j’imagine des procédés et des propositions d’écriture avec ou sans les suggestions du partenaire. L’animation est, par contre, totalement faite en doublon car elle permet une aide réciproque et une relève appréciée à certains moments. Le partenaire de travail est donc un auxiliaire indispensable. La capacité d’intégration et de transmission du partenaire de travail a une réelle importance.
La confrontation des approches de l’écriture évoquée plus haut induit un travail de recherches portant sur les propositions d’écritures et dans le but de répondre aux demandes des partenaires engagés. Cette collaboration leur permet de prélever des indices pertinents pour leur propre action. Par exemple, l’orthophoniste observe avec attention (mais toujours en participant) tout ce qui peut se jouer au niveau du rapport à la langue dans sa spécificité, dans un point de vue phonologique, sémantique, lexical et syntaxique. J’essaie donc de mettre en place des propositions qui soient aussi des outils correspondant à cette demande.
Le travail avec l’école est différent. En effet l’enseignant souhaite le plus souvent travailler en amont sur une recherche thématique lexicale en s’inscrivant dans la perspective de construction d’un texte ou encore travailler sur le support texte lui-même. Ce partenariat se résume alors le plus souvent à la « livraison » d’un texte (ou de fragments).
L’émergence de la créativité, l’élaboration du langage (l’enrichissement de la langue) et l’estime de soi retrouvée sont les trois axes de l’atelier d’écriture qui me paraissent incompatibles avec toute forme de dirigisme et de représentation, même symbolique, de l’échec. L’atelier est le lieu d’acquisition de savoirs qui passent par d’autres méthodes que celles de l’école. Dans l’atelier, à aucun moment l’écriture n’est rectifiée. Elle est prise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire des mots qui témoignent de ce que sont leurs auteurs. Les pressions d’enfants ou d’adultes ne manquent pas qui demandent avec insistance un texte « propre », « en français », « présentable », voire « fidèle au règlement ».
Puisse ce travail créatif et partenarial confirmer l’enfant dans son sentiment d’exister en lui permettant autant que possible de se sentir acteur dans sa propre vie au sein d’une collectivité qui est aussi un lieu d’étayage aux apprentissages ou à la socialisation scolaires.

Jean-Christophe Gouillard, Animateur d’atelier d’écriture et de la bibliothèque de L’IRP de la Turmelière.