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Atelier « Autorité et démocratie à l’école »

Associer dans une même expression les termes « autorité », « démocratie » et « école » peut sembler paradoxal.
La démocratie définit une forme d’exercice du pouvoir politique.
L’autorité désigne une capacité naturelle ou acquise à exercer de l’influence aussi bien que la capacité à exercer une responsabilité attribuée de manière statutaire.
Quand on parle de démocratie dans le cadre scolaire, ce n’est pas pour soustraire la relation pédagogique à l’autorité de l’institution ni à celle du savoir, ni pour accorder aux élèves un poids égal à celui des adultes dans les décisions concernant le fonctionnement de la classe et de l’établissement.
On ne peut nier que l’école repose sur un contrat éducatif par lequel les enseignants s’engagent à transmettre aux élèves les savoirs et savoir faire que ces derniers ne maîtrisent pas encore.
L’école est donc le lieu d’une relation asymétrique entre enseignants et apprenants.
Cette asymétrie repose sur une double autorité :
– celle que confère le statut de garant des règles institutionnelles et de détenteur du savoir institué
– celle que confère la compétence à mettre en place les situations d’apprentissage
Il faudrait ajouter l’autorité que confère l’expérience d’une mise en œuvre des savoirs enseignés et des valeurs auxquelles ils se réfèrent qui se situe au niveau de l’éthique.
L’école ne fonctionne donc pas sur le modèle démocratique. Pourtant, elle se situe dans une société démocratique dont elle partage les valeurs à l’éducation desquelles elle contribue.

La question n’est ni de remettre en cause cette asymétrie ni d’opposer l’autorité à la démocratie.
Il s’agit d’une part de rappeler que la démocratie organise la confrontation entre l’individu et le collectif, entre le général et le particulier, entre la liberté et la contrainte. En cela, la démocratie a besoin de l’expression de l’autorité.
D’autre part, il s’agit de poser les conditions qui donneront à l’asymétrie de la relation pédagogique une légitimité démocratique en accordant aux élèves la parole et la part de décison qui leur revient , en les rendant responsables et actifs, et en fondant les règles sur le bien commun plutôt que sur l’arbitraire.

Dans ce qui relève du domaine de la vie scolaire, les échanges de l’atelier ont montré que le recours à des associations (par exemple la Ligue de l’enseignement), permet parfois d’apporter un éclairage moins focalisé sur les apprentissages et de considérer les relations entre les acteurs de l’école dans leur dimension « politique ». Lorsqu’un véritable effort de formation est entrepris dans la durée, on s’aperçoit qu’aucun secteur n’est exclu de la réflexion et que les élèves peuvent intervenir à leur niveau dans tous les domaines de la vie de l’établissement. Il s’agit de faire en sorte que non seulement la parole des élèves soit entendue mais qu’elle acquière un poids dans l’institution. C’est ainsi que la vie de classe et le CVL peuvent être le lieu d’un débat démocratique et que les élèves peuvent se confronter aux contraintes de la formation et de l’organisation de l’espace, du temps et des moyens. Sans vouloir leur faire croire qu’ils peuvent trancher sur tout, il est important qu’ils sachent qu’ils peuvent prendre des décisions dans les domaines où ils ont statutairement une possibilité d’action, et qu’ils peuvent faire part de leurs propositions et livrer leurs avis sur les points qui ne relèvent pas de leur niveau de responsabilité. Loin de menacer l’autorité de l’institution, la participation des élèves aux délibérations qui les concernent renforce l’idée que chacun doit tenir la place qui lui revient et assumer ses responsabilités. Enfin, cette participation donne une légitimité démocratique aux décisions et à ceux qui sont chargés de les mettre en œuvre.

Dans le domaine du savoir comme dans celui de l’organisation des situations et des dispositifs d’apprentissages, l’expérience des IDD et des TPE montre que les élèves entrent volontiers dans une démarche qui fait explicitement appel à leurs représentations, à leurs connaissances, à leur initiative et à leur autonomie. Il est apparu évident que la meilleure manière pour que les élèves tirent profit de cette démarche est que les enseignants jouent leur rôle de référent dans le domaine du savoir et de la méthodologie. Mais ces niveaux dispositifs entrent en contradiction avec les méthodes de transmission qui reposent sur une soumission aux normes et aux savoirs institués.
Pourquoi faudrait-il que le travail sur la complexité et sur le caractère provisoire des connaissances remette en cause l’autorité des savoirs de référence ? Pourquoi faudrait-il que la marge de liberté dont disposent les élèves dans la définition de leurs sujets d’étude, de leur méthodologie et de leur démarche remette en cause la place et le rôle des enseignants ?

Loin d’empêcher les acquisitions fondamentales, le rétablissement d’une égalité de droit face au savoir est au contraire la garantie d’une formation durable comme l’affirmation de la place des élèves dans le fonctionnement de l’école est le garant d’une conscience civique et responsable dans l’institution et dans la société.

Pierre Madiot

Participants : 2 enseignants de lycée, 1 proviseur de lycée, 2 enseignants de collège, 2 enseignants du primaire, 2 enseignants de lycée professionnel, 2 animateurs socio-culturels.

Textes d’appui :
– Guy Lavrilleux « Discuter, négocier, est-ce bien, est-ce mal ? »
– Pierre Waaub « La démocratie est-elle soluble dans l’école ?»
– Van Den Reysen « Démocratie, élitisme et égalitarisme dans l’École »
– André Daniel « L’école de la république et la démocratie »


Les textes d’appui

Discuter, négocier, est-ce bien, est-ce mal ? (II)

Depuis que j’enseigne en Z.E.P., j’ai appris à ne plus négocier. C’est la confrontation à des formes de pensée d’élèves qui n’opposent pas rationnel et irrationnel ou qui n’attribuent pas de valeur intangible à la parole donnée, qui m’a fait changer, pragmatiquement, d’attitude.
Longtemps, j’ai cru que la discussion argumentée entre deux interlocuteurs de bonne foi permettait de parvenir à un accord raisonnable entre deux positions au départ tranchées : exigences en terme de matériel personnel nécessaire en classe, de comportement acceptable en cours, de quantité de travail imposé, de date de remise des travaux longs, de modalités des contrôles,… J’étais à l’écoute des remarques, voire des récriminations, on en parlait, et nous prenions des décisions. Démocratie (?) minimale, pensais-je. Refus de l’autoritarisme et de l’arbitraire, deux conceptions qui avaient secoué mes années d’études. Tout cela fonctionnait plutôt bien jusqu‘au jour – déjà lointain – où j’ai été plongé dans un univers prioritaire et pluri-ethnique.
Il m’a fallu plusieurs années pour accepter que la pensée magique n’était pas qu’une réalité ethnologique enfouie dans des livres savants : il est indiscutable, pour certain-e-s de mes élèves, que la moyenne de plusieurs notes inférieures à 10 sur 20 peut être nettement supérieure à 10. Je dois faire avec.
De même, j’ai renoncé à espérer convaincre certain-e-s que le résultat d’un raisonnement parfaitement conduit et longuement construit jusqu’à une conclusion admise de part et d’autre, ne pouvait être immédiatement remis en cause comme si le travail commun n’avait servi à rien. J’accepte depuis pas mal de temps qu’au niveau de mes élèves de collège une approche disons “ cartésienne ” du monde ne soit pas acceptable pour tou-te-s.
Finalement, je me suis autorisé à penser (comme disait Coluche) qu’il était inutile, momentanément, de croire à la seule autorité du prof face à des modes de pensée différente, culturellement autrement ancrés.
Pour autant, je ne pense pas qu’il faille renoncer à dire, à discuter et à négocier : il s’agit de seulement ne pas s’y enliser. D’autant que le “ métier d’élève ” consiste souvent pour beaucoup à mettre en œuvre une activité fébrile dans tout ce qui peut éviter d’être confronté, individuellement ou collectivement, aux situations d’apprentissage.
Je me verrais mal, par exemple, imposer les règles de vie dans la classe, ou ne pas tenir compte des calendriers des contrôles de l’équipe pédagogique. Mais, lorsqu’une décision a été prise et actée (toujours rédigée et souvent collée dans le cahier de l’élève) je trouve bien de n’y pas revenir. Je n’oublie pas le reproche principal que me faisaient mes élèves lorsque j’étais débutant : ne pas toujours tenir ce qui avait été décidé, en particulier en terme de punition. Cette fermeté exigible demeure toujours pour moi difficile.

Discuter, négocier, est-ce bien, est-ce mal ? La seule question que je me pose finalement, en situation, c’est plutôt, est-ce utile ?

Guy Lavrilleux, Collège Georges de La Tour, Nantes
Cahiers pédagogiques “ L’autorité ” N° 426 Septembre/octobre 2004


La démocratie est-elle soluble dans l’école ?

Quand le discours sur la relation pédagogique se démocratise, la distance pédagogique sert d’alibi pour y réintroduire de l’arbitraire dans le but d’éviter de devoir partager le pouvoir. Par contre, si l’on accepte qu’il y a eu évolution politique sur le concept de relation pédagogique et que cette évolution implique une démocratisation de cette relation, la question devient : comment faire (techniquement) pour démocratiser la relation pédagogique sans la compromettre, c’est-à-dire en garantissant qu’elle pourra encore poursuivre les objectifs que la société lui a fixés ? L’opposition entre un modèle « autoritaire » (référence au passé) et un modèle « permissif » (absence de référence) est donc une fausse opposition puisque ces deux modèles poursuivent le même but par des voies différentes : protéger l’enseignant du rapport de force numérique en faisant croire que l’arbitraire est légitime (autoritaire) ou en faisant croire qu’il n’y a pas de conflit (permissif). L’option démocratique impose au contraire de refuser l’arbitraire et d’accepter le conflit. Il s’agira dès lors de prendre le risque d’une ne relation pédagogique qui n’est plus univoque, c’est-à-dire une relation dont le sens (la direction et le contenu) dépend de l’ensemble des partenaires et doit donc faire l’objet d’un compromis démocratique. De même, pour que la relation pédagogique soit possible, il conviendra de régler la question de savoir quels sont les usages légitimes des rapports de force en présence, quelles sont les règles (le cadre et le contenu) qui rendent possible, bien sûr, mais aussi légitime la relation pédagogique. Les réponses (techniques) à ces questions sont aussi nombreuses qu’il existe de choix de société possibles. Et cette position consiste concrètement pour l’enseignant à accepter de renoncer à l’usage des rapports de force institutionnels chaque fois que cet usage ne sera pas démocratiquement légitime et par conséquent, pour les écoles, à mettre en place dans l’école et dans la classe des procédures qui permettent de déterminer démocratiquement les conditions de légitimité de l’usage des rapports de force en général. La reconnaissance de l’asymétrie de la relation pédagogique sera légitimée démocratiquement aux trois niveaux d’analyse (la société, l’école, la classe) en fonction des objectifs politiques que l’on voudra lui attribuer : par exemple, pour l’illustrer par des oppositions caricaturales mais significatives, apprendre à obéir/apprendre à devenir autonome, apprendre par l’esprit critique/apprendre par la transmission de certitudes, apprendre que la société est conflictuelle/transmettre un discours unique, etc.

La relation pédagogique est démocratique quand elle tient compte du rapport de force institutionnel existant (le pouvoir) et tente de mettre en place dans la relation une autorité légitimée par un processus démocratique dont l’objectif est que ce qui est négociable puisse l’être. Ce qui n’est pas négociable, c’est le fait que le cours doit avoir lieu, que la présence en classe d’un groupe d’élèves et d’un professeur a pour objectif, pour fonction de rendre possible un apprentissage, la transmission de savoirs et d’outils que seul le professeur maîtrise. Ce qui doit être négociable, sans quoi il n’y a pas de relation pédagogique et donc, à mon sens pas d’apprentissage, c’est tout ce qui vient en retour vers le professeur et pose les questions des « conditions de travail » en classe et dans l’école. Si, en principe, le professeur maîtrise seul les procédures qui devraient permettre à tous les élèves de comprendre, d’apprendre, il partage avec les élèves la connaissance des conditions objectives dans lesquelles se déroule la relation pédagogique. Il faut qu’il soit à l’écoute, que les procédures d’apprentissage et d’évaluation ainsi que les règles de comportement puissent être adaptées. Le professeur doit pouvoir accepter que son jugement puisse être contesté, admettre qu’il puisse se tremper et donc avoir besoin de recourir au compromis démocratique pour trouver la solution aux conflits qui naissent dans la relation pédagogique. C’est aussi la raison pour laquelle, quand la relation pédagogique est démocratique, elle ne peut pas se permettre d’être démagogique. Parce que si la relation devenait démagogique, le professeur perdrait toute autorité, toute crédibilité et, puisqu’il n’a plus de pouvoir institutionnel a priori, ce qui n’est pas négociable serait aussi remis en question.

Pïerre Waaub, « La démocratie est-elle soluble dans l’école » Labor 1999.


Démocratie, élitisme et égalitarisme dans l’École

Ce n’est pas exactement le slogan prôné par nos jeunologues dans « l’air du Temps ». En tout cas ceux-ci ont revendiqué plus de démocratie dans l’École, voire la démocratie tout court, au moins en ce qui concerne les rapports maîtres élèves.

Je pense que cette idée est absurde, qu’elle est pure démagogie, et même qu’elle peut mener à des conséquences tout à fait absurdes et contradictoires. Comme le démontre un internaute qui a préféré conserver l’anonymat, le rapport maître élève est essentiellement anti-démocratique puisque dans une démocratie tous les citoyens sont supposés avoir un égal accès au Savoir, alors qu’au sein d’un établissement scolaire il est logiquement impossible que les élèves en sachent autant que le maître ce qui les place d’entrée de jeu dans un rapport de dominés à dominant. On peut toujours nier certaines traditions de connaissances, ou tenter de valider d’autres « savoirs » qui n’ont légitimement rien à faire dans l’École et qui répondent mieux « à ce que les élèves attendent » […] pour donner l’illusion de gommer cette différence entre maîtres et élèves tout en montrant que le système « s’adapte » à ce qui est présenté comme les « besoins » des intéressés. On peut aussi parvenir à détruire tout ce qui peut objectivement fonder l’autorité des maîtres, en édulcorant l’idée de discipline, d’ordre, d’organisation, en galvaudant jusqu’à l’outrance l’idée de communication, du « relationnel », en psychologisant ou en surintellectualisant les causes des déviances. Bref, on peut tout mettre en oeuvre pour déculpabiliser l’élève au sujet de certaines déviances ou échecs, et pour culpabiliser les maîtres incompétents en matière de verbiage psychopédagogique.

Imaginons maintenant une des conséquences absurdes de cette idée que l’École doit devenir un lieu de démocratie. Si dans une démocratie chacun, peut, ne serait-ce que par son vote, participer au gouvernement de la Cité (Péricles), il ne reste plus qu’à faire élire des représentants d’élèves, un « gouvernement d’élèves », qui déciderait de façon autonome des contenus à enseigner ! Une telle démocratie n’irait pas bien loin et serait continuellement contredite dans son principe de fonctionnement puisque le « gouvernement élu » aurait sans arrêt besoin d’avis nettement plus expérimentés pour prendre les décisions les plus importantes et ne pourrait, de ce fait, se soustraire à une dépendance « extérieure ». La situation deviendrait absurde parce que les élèves ne connaissent pas la Tradition. Je veux dire qu’ils (eux ou même leurs parents dans la plupart des cas) ne peuvent connaître aussi bien que les enseignants les grandes traditions de connaissances, comprendre pourquoi et comment elles ont évolué pour parvenir au stade de connaissances constituées où elles se trouvent aujourd’hui. De ce fait, ils sont nécessairement et fondamentalement incompétents pour déduire les énoncés de contenus d’enseignements les mieux appropriés à leurs réels besoins de formation. On objectera, comme je l’ai évoqué plus haut, que nous n’avons qu’à laisser les élèves et leurs parents décider de ce qui est bon pour eux, de ce qui correspond le mieux à leurs attentes, leurs désirs, à leur bon plaisir… Mais tout cela laisserait ouverte la possibilité de ne choisir que les contenus d’enseignement sensés correspondre au mieux à certaines motivations quitte à jeter par-dessus bord des éléments constitutifs de nos traditions et de notre Culture, et à quelles fins ?

Une Société qui ne veut pas régresser culturellement ne peut se permettre de telles méthodes, de telles négociations avec ceux dont elle a la responsabilité et la prétention de former, et des choix récurrents pour son système éducatif. Les anciens doivent transmettre les connaissances acquises aux jeunes générations parce que rien ne justifie que nous perdions la plupart de ces connaissances qui, petit-à-petit, ont permis la construction de notre culture.

Et si nous voulons perpétuer le progrès et l’enrichissement culturel, notre système éducatif ne peut éviter d’organiser la formation d’individus capables de faire progresser les connaissances du plus haut niveau, c’est-à-dire les connaissances qui contiennent en elles-mêmes, et dans leur domaine, la plus grande partie possible du « savoir universel déjà acquis », car c’est ce type particulier de connaissances qui permet le progrès culturel, mais aussi technologique, social et humain.

Patrice Van Den Reysen, Article paru sur internet le 25/08/2004 (vdrp@libertysurf.fr).


L’école de la république et la démocratie

L’intégration au modèle de « nos ancêtres les Gaulois » a vécu… comme « la République une et individisible », où l’État, issu d’une volonté générale et totalisante, est le « grand régulateur », à la fois bon et mauvais génie, responsable de tout et interpellé par tous. […] Dans la nouvelle culture politique, l’idée même d’une volonté générale incarnée n’existe pas. Par conséquent, il faut concevoir des systèmes pluralistes d’organisation et de régulation, pour faire naître un véritable découplement des pouvoirs, mis au pluriel, et partagés à différents niveaux.
À l’école, comme dans l’hexagone et dans l’entreprise, le concept médiéval de subsidiarité doit prendre à contre-pied toute une tradition absolutiste et jacobiniste, pour atteindre au cœur la culture politique française, qu’elle soit républicaine ou d’Ancien Régime. L’enjeu est d’importance : dans ce pays, construit sur le culte de l’État Nation, il s’agit d’une autre approche du politique ; il s’agit de faire éclater « le » pouvoir, pour construire « les » pouvoirs intermédiaires d’une démocratie plurielle, qui élabore elle-même, dans un canevas commun, mais à différents échelons, ses régulations et ses compromis. […]
En faisant de l’élève un acteur de sa formation, mais aussi un acteur de son établissement, un acteur des groupes auxquels il appartient, un auteur de son projet, mais aussi un auteur du projet commun, l’école a son rôle à jouer dans le changement. L’innovation est un choix.

Là où « l’école de la République » veut encore des élèves identiques et interchangeables, dans une superposition de cercles concentriques, identiques et interchangeables eux aussi, la démocratie impose aujourd’hui de laisser s’épanouir des élèves différents, capables de vivre à l’intersection d’ensembles multiples, qui peuvent se situer à des niveaux différents, dans un système en perpétuelle évolution. La formation, qui ne se limite pas à l’acquisition de connaissances ou de savoir-penser, suppose la participation de chaque acteur à la programmation globale et personnelle, comme à l’évaluation globale et personnelle.
Cet ensemble : programmation-acquisition-évaluation, forme un tout complexe où, non seulement les différents éléments interagissent les uns sur les autres, mais où, aussi, à l’intérieur de chaque élément, l’élève-acteur est en contact avec des niveaux différents de pouvoirs. Si l’établissement, capable de s’auto-organiser, est le niveau de base du système éducatif, et si c’est d’abord dans l’établissement que l’élève-acteur exerce la plus grande partie de ses pouvoirs sur sa formation, il doit aussi accéder à d’autres niveaux.
– L’acquisition se fait, en grande partie, dans les groupes de travail de l’établissement, mais pas seulement.
– La programmation, elle, s’organise en partie dans l’établissement, mais elle se prépare aussi à des niveaux plus élevés.
– Quant à l’évaluation, elle réclame à la fois des cercles plus restreints et plus larges, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’organisation des différents niveaux du système éducatif relève donc de pouvoirs qui se situent au-delà et en deçà de celui de l’établissement. C’est à ces niveaux-là que l’élève-acteur doit pouvoir accéder, dans un système complexe dont la mise en place suppose une véritable mutation. En prenant en compte toutes ces données, on donnerait un sens actuel à cette fameuse formation du citoyen, qui n’est plus qu’une formule lorsqu’elle s’enveloppe dans les bandes molletières de la Ille République.
La complexité reste une nécessité, car, si aucun système ne peut plus s’imposer d’en haut, en enfermant les acteurs dans leur établissement de base, le risque est grand d’organiser un émiettement communautariste – ce dont les membres du lycée expérimental de Saint-Nazaire sont parfaitement conscients, même s’il leur est difficile de construire les outils pour l’empêcher.

André Daniel
« Subsidiarité et complexité »
in « Innover, encore… » Cahiers pédagogiques N°350/351 Janvier-février 1997