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Apprendre, coopérer, réussir : l’apport de l’EPS

Un premier résultat positif de la participation de tous les élèves aux cours d’EPS est de répondre au désir de pratiquer des activités physiques et sportives malgré les altérations corporelles. On pourrait croire que les représentations usuelles qui s’attachent au sportif, en valorisant le corps sain, « beau » et performant, dissuadent des adolescents marqués par une déficience motrice ou une maladie somatique de se donner à voir à leurs camarades valides dans l’exercice physique et de risquer des regards stigmatisants. En fait, au collège G. Braque, tous les jeunes que nous avons rencontrés expriment le désir d’une pratique corporelle, sportive ou de loisir, et témoignent de sa pratique effective ainsi que du plaisir qu’ils en retirent.

L’intérêt des élèves pour les cours d’éducation physique est renforcé par les progrès qu’ils y réalisent et dont ils sont conscients. Ainsi, dans ce même collège, tous donnent sans hésiter des exemples de ce qu’ils ont appris en EPS. La mobilisation d’un corps « handicapé » ou malade, habituellement réduit à ses manques, objet de soins et de réparations, révèle en particulier, à ces élèves et aux autres, des possibilités de désir, de jeu et d’action qui favorisent la conquête d’une autonomie ouvrant sur l’intégration sociale et qui fondent l’exercice d’un pouvoir d’autant plus gratifiant qu’il surprend.

Sylvain (présente une dystonie [[La manifestation physique de la dystonie correspond à des contractions prolongées, involontaires des muscles d’une ou de plusieurs parties du corps, entraînant souvent une torsion ou une distorsion de cette partie du corps.]]) : « Avant j’avais un handicap des jambes, je pouvais plus m’asseoir. Je me suis fait opérer, on m’a implanté des piles au niveau du bassin, avec des fils jusqu’au cerveau, ça commande mon corps. Maintenant je peux marcher, je peux faire comme les autres. J’aime le sport, maintenant que j’en fais j’aimerais en faire plus. »

Au collège P. Mendès France, la réussite en EPS des élèves atteints dans leurs fonctions cognitives ne s’apprécie pas totalement dans les mêmes termes. En effet, pour la majorité de ceux qui présentent des troubles dus en l’occurrence à la trisomie 21, la réussite est à considérer moins du côté de la restauration d’un corps dévalué et de l’autonomie physique conquise que de leurs progrès réalisés en EPS, de leur satisfaction à évoluer dans un contexte ordinaire et des relations qui s’établissent avec les autres élèves. De ces points de vue, les enseignants d’EPS de ce collège dressent un bilan très positif, confirmé par la satisfaction exprimée par les jeunes eux-mêmes.

Amélie (présente une déficience intellectuelle, ancienne élève de l’UPI) : « J’aime mieux être avec les autres (pour les cours d’EPS, plutôt qu’entre élèves de l’UPI) sortir un peu de mon monde. Nous, on aimerait beaucoup mieux sortir plus souvent avec eux. »

Lors des cours d’EPS en situation d’intégration que nous avons observés, l’engagement des élèves de l’UPI témoignait d’une motivation pour l’activité physique dans ces conditions, corroborée par leur forte participation aux activités de l’association sportive de l’établissement, communes à tous les élèves (badminton, escalade…).

On a pu noter que la présence des jeunes de cette UPI a suscité, au début, une certaine distance de la part des autres. Cette distance initiale, vite réduite, n’a pas existé dans les collèges qui accueillent des élèves présentant une déficience physique. Dans les trois établissements, l’observation de séances et l’avis des enseignants convergent vers le constat de coopérations très positives dans l’ensemble, les élèves recevant, quelle que soit leur déficience, l’aide des autres collégiens quand le besoin s’en faisait sentir.

Mathieu (élève « ordinaire ») : « Il y en a dans notre classe qui avaient une vision d’eux (les élèves de l’UPI, qui présentent une déficience intellectuelle), avant, pas très bien. Et maintenant, ça va mieux. En fait en début d’année, quand on est arrivé en 6e, on évitait de les approcher. Et puis maintenant, ben…
Je trouve même qu’on travaille plus qu’avant. Ça nous aide plutôt qu’ils soient là. Des fois quand le professeur explique aux UPI, nous, on ne le savait pas non plus et ça nous aide aussi. »

Enfin, il faut noter un effet inattendu de la présence de l’UPI sur la perception des facteurs handicapants qui peuvent affecter n’importe quel élève du collège. Au collège G. Braque, par exemple, les élèves ordinaires qui présentent une obésité ne sont plus soumis aux mêmes activités que les autres quand celles-ci peuvent devenir traumatisantes. Par ailleurs ils font l’objet d’une évaluation qui met l’accent sur leurs progrès personnels. Ces adaptations ont eu pour conséquence une diminution considérable du nombre de dispenses d’EPS.

Une réussite construite

La réussite de tous les élèves en situation d’intégration ne va pas de soi. Ainsi, lors d’activités qui exigent des prises d’informations et de décisions rapides et pertinentes, comme dans les sports collectifs, certains élèves présentant d’importants troubles cognitifs sont tellement en difficulté qu’ils ne gagnent pas à être mêlés aux autres collégiens. Dans les trois collèges, les enseignants ont donc élaboré des projets individualisés dont la souplesse permet à chacun des élèves de l’UPI de participer à des cours d’EPS en situation d’intégration mais aussi à des cours « entre soi », au sein d’un petit groupe, en fonction de ses capacités et du type d’activité physique proposée en classe ordinaire.

Julie (présente une infirmité motrice cérébrale) : « C’est bien qu’ils nous aient mis cette heure (d’EPS), avec un vrai prof en plus. C’est pas quelqu’un qui vient nous faire… Non, non, il est dans le collège. C’est un peu comme si on était les autres. »

Les démarches pédagogiques sont fondées sur une conception de l’intégration scolaire qui ne fait pas de la socialisation un objectif exclusif. Les apprentissages ne sont pas négligés, portant pour partie sur des contenus semblables à ceux des autres élèves mais aussi sur des aspects plus spécifiques. Ce sont, par exemple pour un élève myopathe, des connaissances sur soi lui permettant d’apprécier les limites d’un seuil de fatigue à ne pas dépasser, et, pour un jeune se déplaçant en fauteuil roulant à propulsion manuelle, la compétence nécessaire pour se déplacer avec habileté dans son environnement. L’acquisition des connaissances et des compétences est ainsi recherchée avec le souci de les adapter à la singularité de chacun, de conjuguer tolérances et exigences, de différencier l’enseignement sans perdre de vue l’accès à une culture commune.

Les professeurs d’EPS des collèges considérés expriment la satisfaction légitime d’avoir su conduire des jeunes, dont tout leur disait qu’ils n’avaient guère de capacités physiques ou intellectuelles, à des performances que l’on pouvait a priori considérer comme improbables.

Au-delà, il y a la satisfaction d’avoir contribué à l’épanouissement de ces adolescents défavorisés par le sort et d’avoir réussi à promouvoir la coopération entre des jeunes très différents, dont certains sont particulièrement vulnérables à l’exclusion ; ce qui, dans un contexte social et culturel où la capacité de vivre ensemble est une finalité privilégiée du système éducatif, n’est pas là le moindre des bénéfices.

Jean-Pierre Garel, professeur honoraire au Cnefei, laboratoire Relacs (recherche littorale en activités corporelles et sportives), Ulco (université du littoral Côte d’Opale).