Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Apprendre avec les Tice en histoire-géographie

Dans une période de diffusion voire de généralisation des Tice au sein des établissements, toutes les disciplines scolaires sont en train de connaître des changements et des recompositions dans leurs périmètres, leurs méthodes, leurs contenus et leurs finalités. Nous proposons de prendre l’exemple de l’histoire-géographie, qui fait figure de discipline moyennement instrumentée et qui commence à connaître des évolutions, en lien avec le développement des usages des Tice.

Dans la perspective d’un regard réflexif sur les changements en cours, nous voudrions montrer à quel point l’acquisition de compétences numériques nécessite de repenser assez fondamentalement les apprentissages dans cette discipline. Comme le souligne N. Mohib, « à l’heure où les TIC sont omniprésentes dans tous les domaines de notre quotidien, la question qui importe n’est pas celle de « ce qu’il faut pour faire avec » mais plutôt celle de « comment faire avec »  ».

Nous proposons de reprendre cette posture en laissant de côté la question rituelle « que faire pour mieux apprendre avec les TIC ? » pour nous interroger sur la problématique qui nous paraît aujourd’hui fondamentale : « comment faire pour apprendre autrement avec les TIC ? ». Même si elle permet de sortir des approches techno-centrées, la réflexion sur les conditions de mise en place et de réussite des situations d’apprentissage instrumentées mérite en effet d’être approfondie.

L’histoire-géographie : l’exemple d’une discipline moyennement instrumentée

Parmi les disciplines scolaires enseignées en collège-lycée, l’histoire-géographie apparaît aujourd’hui comme une discipline « moyennement utilisatrice » des Tice. Selon une étude publiée par la Direction de l’Evaluation, de la Prospective et de la Performance en octobre 2010, 48 % des enseignants d’histoire-géographie déclarent utiliser les Tice en présence des élèves ; ils étaient déjà la même proportion en 2002.

Grands utilisateurs du vidéo-projecteur en classe (45 % des répondants), les enseignants d’histoire-géographie semblent utiliser l’informatique d’abord pour médiatiser leur enseignement et secondairement pour médier leur relation avec les élèves.

Ce qui semble avoir changé cependant, c’est la proportion d’enseignants qui font manipuler directement l’ordinateur par les élèves : 66 % en 2008 contre 32 % en 2002, d’après les dossiers de la DEPP. Il convient naturellement de relativiser les conclusions de telles enquêtes statistiques qui reposent sur des usages déclarés : 71 % des élèves affirment de leur côté ne jamais utiliser l’ordinateur en histoire-géographie !

Ces chiffres témoignent malgré tout du développement des usages de l’ordinateur et d’Internet pour « faire de l’histoire-géographie » dans une logique de mise en activité des élèves. 23 % d’entre eux déclarent utiliser l’ordinateur dans leur collège ou leur lycée pour chercher des informations, 13 % pour produire des documents (image, texte, tableau, graphique, plan, rapport, exposé…).

Il faut y ajouter les usages personnels au domicile, qui représentent de loin les usages dominants dans le domaine des technologies numériques. Même si ces taux d’utilisation paraissent modestes comparés à d’autres disciplines plus instrumentées comme les mathématiques ou les SVT, force est de constater que l’usage scolaire de l’outil informatique se banalise et commence à faire partie des pratiques quotidiennes. Mais que changent véritablement ces pratiques numériques dans la façon d’apprendre ?

Évaluer les apprentissages réels des élèves avec les Tice

La question de l’évaluation des apprentissages est une question complexe, dans la mesure où elle nécessite de disposer de critères stables et partagés, mais aussi de mesurer des compétences qui sont en cours d’acquisition. Tel est le sens des référentiels de compétences mis en place avec le B2i et maintenant à travers le Socle commun au niveau collège, qui reprend l’essentiel des compétences du B2i ainsi que sa logique d’évaluation formative. Sans revenir sur les débats autour des avantages et des limites d’un apprentissage par compétences, force est de constater que les enseignants d’histoire-géographie peinent globalement à mettre en place cette nouvelle approche par compétences[[Quelques groupes de travail autour de l’Inspection pédagogique commencent à se constituer pour proposer des pistes d’évaluation du livret de compétences en collège, à l’exemple de celui de l’académie de Besançon : http://missiontice.ac-besancon.fr/hg/spip/spip.php?article724]].

Les difficultés de mise en œuvre du Socle commun ne sont pas seules en cause. On constate que l’approche par compétences n’a été mise en place que très récemment dans les programmes d’histoire-géographie, et cela de manière encore un peu vague et incomplète.

Plus grave nous paraît être la séparation de fait entre les compétences numériques relevant du pilier 4 (maîtrise des TIC) et les compétences disciplinaires relevant du pilier 5 (culture humaniste). De fait, même s’il est précisé qu’une même activité peut donner lieu à la validation de plusieurs compétences relevant de plusieurs piliers, cela n’encourage pas à penser les apprentissages en termes d’usages intégrés des Tice au sein de la discipline.

Pour ce qui concerne l’histoire-géographie, s’ajoute une difficulté supplémentaire due au fait qu’il s’agit d’une polydiscipline incluant des démarches et des méthodes d’apprentissage spécifiques à l’histoire, à la géographie et à l’éducation civique. Un autre obstacle important est également la prise en compte (ou non) des apprentissages implicites et non formels qui peuvent accompagner les situations d’apprentissage avec les Tice. Il s’agit par exemple de l’apprentissage à communiquer sur des réseaux sociaux ou à gérer son identité numérique sur Internet dans la perspective d’une éducation à la citoyenneté qui dépasse largement le simple apprenant pour concerner le citoyen au sens large.

De ce point de vue, nous sommes bien dans un moment postdisciplinaire où l’éducation à la citoyenneté non seulement redéfinit l’approche de l’histoire et de la géographie mais oblige à s’interroger sur les pratiques sociales de référence.

Légitimer les apprentissages numériques dans la discipline

Les pratiques sociales de référence sont de nature à légitimer l’usage des TIC qui s’implantent à l’école de plus en plus à partir d’outils sociaux. Il y a là un retournement de situation par rapport aux environnements d’apprentissages conçus dans les années 1980 à 2000. Alors que les enseignants d’histoire-géographie utilisaient en majorité des applications conçues et destinées spécialement pour le public scolaire, ils ont recours de plus en plus à des ressources sur Internet qu’ils doivent sélectionner, didactiser, voire détourner de leur usage d’origine pour les adapter à leurs besoins.

En soi, cette sélection de l’information n’est pas le cœur de métier des enseignants et des élèves. Pour autant, l’apprentissage de la recherche d’informations sur Internet relève directement de certaines finalités de l’histoire-géographie, en particulier des finalités intellectuelles (former au raisonnement et à la critique de sources) et des finalités culturelles (initier à la culture numérique de la société de l’information). Ces finalités sont partagées par d’autres disciplines ou « éducation à » (l’éducation aux médias par exemple).

Il est nécessaire cependant de dégager la spécificité des démarches d’apprentissage en histoire-géographie par rapport à ce que serait une démarche de recherche d’information en documentation par exemple : faut-il s’en tenir à une simple initiation aux techniques documentaires ? Faut-il aller plus loin dans la sélection et le traitement des sources dans le but de favoriser la maîtrise de l’information (information literacy) ? Faut-il y intégrer la production de documents, de textes, d’images ou de cartes numériques sur une notion ou un thème d’histoire-géographie ?

De fait il n’existe pas de véritable articulation entre les disciplines pour la prise en charge de compétences numériques qui potentiellement relèvent de toutes les disciplines et qui, souvent, ne sont parfois prises en charge par aucune. En dernier ressort, la légitimité des apprentissages numériques pourrait répondre uniquement à une finalité sociale et professionnelle. Comme nous le signalions déjà en 2007, « une part certaine de l’ambiguïté des TIC aujourd’hui à l’école réside dans leur orientation vers la maîtrise technique d’un outil en vue d’une profession ou vers la formation intellectuelle et citoyenne à ses usages critiques »[[Pascal Mériaux, Sylvain Genevois, Usages et enjeux des technologies de l’information et de la communication en histoire-géographie et en éducation civique, Revue Education & Formations, n° 76, décembre 2007, p. 119-126, http://media.education.gouv.fr/file/88/6/20886.pdf]]  : cela revient à mettre nombre de disciplines hors-jeu. Les enseignants sont conduits à utiliser les Tice par le désir de participer à une évolution sociale d’ensemble (l’enquête de la DEPP de 2002 le montrait déjà). L’approche est peut-être un peu différente pour l’histoire-géographie qui possède historiquement une dimension forte d’éducation à la citoyenneté.

Expliciter l’articulation entre apprentissages numériques et apprentissages disciplinaires

Quand on observe le curriculum formel et les compétences numériques qui sont mises en avant en histoire-géographie, on est frappé par le chemin qui reste à parcourir. Le nouveau programme de Première paru en 2010 invite à « recourir le plus possible aux Tice », sans autre commentaire. Le tableau des capacités qui accompagne ce programme met la capacité « Utiliser les Tice » dans une catégorie à part, tandis que toutes les autres capacités n’intègrent aucune compétence numérique. Pire : la capacité « Utiliser les Tice » se résume à une liste pêle-mêle d’outils et de méthodes :
« ordinateurs, logiciels, tableaux numériques ou tablettes graphiques pour rédiger des textes, confectionner des cartes, croquis et graphes, des montages documentaires  » (sic)… sans véritable repère sur les familles d’usages et les démarches d’apprentissages possibles.

On objectera qu’au niveau lycée, l’apprentissage par compétences n’a pas encore fait son entrée. Mais si on observe ce qui est proposé au niveau collège, la situation n’est guère meilleure.

Prenons l’exemple de la cartographie numérique sur laquelle nous avons conduit plusieurs études et expérimentations[[Voir les travaux de recherche conduits au sein de l‘Observatoire de pratiques géomatiques (IFE-ENS Lyon) : http://eductice.inrp.fr/EducTice/projets/en-cours/geomatique/observatoire]]. Point positif : les globes virtuels tels Google Earth, Google Maps ou le Géoportail sont proposés pour renouveler l’approche géographique des territoires et leur organisation spatiale, pour favoriser l’étude de l’espace proche (à quoi ressemble mon quartier vu du ciel ?) ou encore pour conduire des démarches d’exploration sur des espaces plus lointains (suivre par exemple en direct l’itinéraire d’un conteneur pour appréhender le phénomène de la mondialisation).

Pour autant, l’usage de ces nouveaux outils numériques ne s’accompagne pas encore d’une réflexion sur les compétences clés et les notions fondamentales à enseigner et à apprendre en géographie.

Que signifie aujourd’hui la capacité « se localiser » à l’heure de la géolocalisation ? Faut-il par exemple enseigner à nouveau les coordonnées géographiques qui reprennent de l’importance avec l’usage de plus en plus courant du GPS ? Que signifie la capacité « se situer » à l’heure du nomadisme numérique ? Faut-il développer une réflexion plus poussée sur la nature de l’espace géographique par rapport à l’espace terrestre ou par rapport à des espaces plus virtuels (du type monde-miroir comme Google Earth) ? Quelle place accorder à ces images numériques donnant l’illusion d’accéder en direct à la Terre, comme si la connaissance de l’espace terrestre se donnait à être saisie uniquement par l’œil ?

Dans la mesure où les élèves d’aujourd’hui évoluent dans un monde d’images numériques, quel rôle peut jouer cette « pensée visuelle » dans la construction mentale de l’espace, qui a tendance à abolir la distinction entre la carte et le territoire ? Ce sont peut-être là des questions à méditer même si les réponses ne sont pas évidentes ni univoques.

Pour conclure ce rapide tour d’horizon, nous pensons que l’usage des TIC peut avoir un impact sur les modes d’apprentissage, et qu’en retour ces derniers peuvent favoriser l’intégration des TIC.

Apprentissages numériques et apprentissages disciplinaires ne doivent pas seulement être pensés conjointement mais solidairement, de sorte que la question essentielle n’est pas tant de numériser la pédagogie selon une logique adaptative ou intégrative que de repenser globalement les apprentissages qui sont susceptibles d’être instrumentés selon une logique évolutive, voire transformatrice[[Bruno Devauchelle, Peut-on numériser la pédagogie ? http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=1050]].

Ce qui suppose de dépasser l’approche volontariste par la généralisation des Tice et les « bonnes pratiques ». Les apprentissages ne peuvent pas être légitimés uniquement par des prescriptions et des injonctions (celles des programmes, des manuels, des inspecteurs, des universitaires…).

Le principal facteur de légitimité des apprentissages numériques est social, ne l’oublions pas. L’imposition de compétences numériques que les élèves devraient suffisamment maîtriser au terme de leur scolarité, n’est pas de nature à remplacer les finalités disciplinaires. Il faut donc aujourd’hui inclure les Tice dans « l’aggiornamento » de l’histoire-géographie[[Laurent Gayme, Pas d’aggiornamento de l’histoire-géographie sans les Tice, http://aggiornamento.hypotheses.org/482]] et se demander quelle est la pertinence des outils utilisés au regard des apprentissages prescrits, assumés, effectifs ?

Sylvain Genevois

Maitre de conférences en sciences de l’éducation, université de Cergy-Pontoise, IUFM de Versailles


Bibliographie

– Najoua Nohib (2010). Les TIC : une solution miracle pour le développement des compétences ? Questions Vives, Vol.7 n°14, 2010,
http://questionsvives.revues.org/498

– Les technologies de l’information et de la communication (TIC) en classe au collège et au lycée : éléments d’usages et enjeux, Dossiers de la DEPP, n° 197, octobre 2010,
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/noteeval/ne0304.pdf

– Les attitudes des enseignants vis-à-vis des technologies de l’information et de la communication dans les premier et second degrés, Dossier de la DEPP, n° 157, septembre 2004
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/noteeval/ne0304.pdf