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Apprendre à philosopher
Cette table ronde réunissait :
– J. LECHAT, Doyen de l’Inspection générale de philosophie ;
– J.L. DEBANNE, professeur au lycée Renoir de Cagnes-sur-Mer ;
– B. HUFSCHMITT, animateur à la M.A.F.P.E.N. de Besançon du groupe « Didactique en philosophie » ; secrétaire adjoint de la Régionale de l’Association des professeurs de philosophie ;
– P. MEIRIEU, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Lyon 2, auteur de nombreux ouvrages pédagogiques, en particulier Apprendre… oui, mais comment ? (Paris, E.S.F., 1988)
M. TOZZI – Dans « Le triangle pédagogique » entre l’élève, le savoir et le maître, la révolution copernicienne de « l’apprendre » a décentré la réflexion initiée du point de vue de l’enseignement du maître vers la démarche spécifique de l’apprenant. Que dire alors précisément des processus d’apprentissage à l’œuvre chez un élève de philosophie ?
J. LECHAT – Il n’est pas certain que la philosophie relève d’un apprentissage, terme auquel il faudrait préférer celui d’apprendre, lequel renvoie à un acte d’entendement, non à un montage ou à un mécanisme. Encore faudrait-il préciser qu’on n’apprend pas à proprement parler la philosophie ou une philosophie, si l’on entend par là l’acquisition d’un savoir qu’on pourrait simplement réciter, ou même reproduire, en en restituant l’argumentation, les articulations et l’enchaînement. La connaissance philosophique n’est pas une connaissance d’objet, ou de fait, historique ; c’est une connaissance pleinement rationnelle, c’est-à-dire de la raison exerçant sans contrainte son droit de ne recevoir pour vrai que ce qu’elle a reconnu être tel.
J.L. DEBANNE – Les processus d’apprentissage ?
D’abord celui de l’abstraction. Le passage de l’image (littérature de seconde ou de première) à l’idée est une catharsis. Il faudrait même dire passage des sens aux images et des images aux idées. La première Méditation métaphysique est une bonne introduction d’autant plus que les idées sont elles-mêmes frappées par le doute.
Celui aussi de la langue. C’est le vieil argument contre la philosophie. Pourquoi cette logomachie ? « Quelle langue ils causent ? » Je réponds aux élèves que toute science a sa langue, ses symboles. Je leur fais comparer deux textes, un texte de Kant et un texte de Bergson ou de Nietzsche. La langue des deux derniers est plus attrayante, plus facile apparemment. Mais l’élève ne tarde pas à remarquer qu’il n’arrive pas à faire le tour de cet enchantement de la durée et de l’éternel retour. La prose plus sèche de Kant est alors acceptée pour sa rigueur.
Celui du silence. Nos lycéens sont la génération de la sono, des écouteurs, de la moto. Mes élèves de terminale A ont eu le sujet suivant à la dernière session (Nice) : « Le silence ne dit-il rien ? » Plus de silence dans cette société, même pas dans les églises. Je leur dis en souriant que de temps en temps je vais m’enfermer à l’abbaye Saint-Honorat de Lérins pour philosopher. J’insiste là encore sur l’épaisseur du silence des Méditations métaphysiques.
Ceux du dialogue et de la question. Après Descartes, Platon et Heidegger. Dialogue et question sont rythmés de silence. Nos étudiants ne s’écoutent pas. Quand l’un pose une question, les autres bavardent. Plus insidieusement, la question du lycéen est verticale, d’élève à maître, et exige une réponse tombant du bureau comme l’Esprit-Saint à Pentecôte. Il faut donc tout changer. La question doit être aussi horizontale, elle doit débusquer toute la classe et tant mieux si elle déclenche la bagarre (après tout, Héraclite…).
B. HUFSCHMITT – De fait, les élèves utilisent avant tout leur mémoire pour retenir références et citations d’auteurs dont ils n’arrivent même pas à saisir la valeur argumentative et réflexive. De même pour les devoirs : ils acquièrent des techniques par savoir-faire, dont la finalité leur reste étrangère. Il s’agit ici de ce que nous croyons constater (voire de ce que nous exigeons de fait dans les devoirs), non de ce que nous poserions comme norme.
De droit, en effet, un élève de philosophie devrait avant tout exercer et développer ses facultés de critique rationnelle et de rigueur argumentative. À cela, certains d’entre nous ajoutent des facultés d’invention et d’imagination créatrice. Tout cela demande, peut-être, un abandon de la culture philosophique, sinon sous une forme pédagogiquement très appauvrie, en ce que cette culture présente une rationalité inaccessible aux élèves ; ceux-ci ne pouvant alors que glisser vers l’idée que la philosophie est au-delà des capacités de leur esprit critique, et se réfugier dans le refus de la philosophie, ou dans son apprentissage comme connaissances révélées, ou dans l’acquisition d’une sophistique.
P. MEIRIEU – Il est normal que, face à une exigence philosophique qui apparaît à contre-courant de tout un environnement médiatique, les élèves soient insécurisés. Il est compréhensible, après tout, qu’ils tentent de s’accrocher aux modèles scolaires qu’ils ont fréquentés jusque-là, d’autant plus que l’institution, à travers son système d’évaluation, les éditeurs de recueils de citations et de guides pratiques, les enseignants eux-mêmes, quand ils se réfugient dans l’histoire de la philosophie pour éviter de s’interroger sur la philosophie de l’histoire, poussent à cette attitude réductrice. Il s’agit alors, pour les élèves, ou au moins pour la plupart d’entre eux, d’acquérir quelques savoirs et savoir-faire leur permettant de s’en tirer honorablement à l’examen. Les professeurs de philosophie regrettent cela, et ils ont bien raison… Mais ne participent-ils pas, à leur insu, à ce dévoiement ? Car, en dépit de ce qu’il affirme et de la représentation qu’en ont les élèves de première, l’enseignement philosophique, dans la plupart des cas, n’opère aucune rupture avec les autres enseignements : la même parole magistrale y domine, avec l’habituelle alternance exposé/débat, le même renvoi des apprentissages fondamentaux (celui de la dissertation par exemple) au « travail à la maison ». Je suis particulièrement frappé, quand je discute avec des élèves qui sortent de terminale, de leur déception face à la philosophie. Certes, il convient de la relativiser : la philosophie n’est pas un jeu et elle requiert effort et ténacité ; certes, il faut éviter la démagogie : donner systématiquement satisfaction à l’attente des élèves serait une attitude bien anti-philosophique… Mais on ne peut ignorer cette question essentielle : dans son état actuel, l’enseignement de la philosophie est-il conforme aux finalités qu’il annonce ? Est-il, d’ailleurs, question plus philosophique que celle-là ?
En effet, si l’on définit la philosophie comme l’exercice d’une double fonction conceptuelle et critique, ou plus exactement comme une opération intellectuelle par laquelle le passage au concept opère une fonction critique, alors il convient de s’interroger sur le type d’objectifs susceptibles d’incarner ces buts et le type de dispositifs capables de favoriser leur réalisation. On parlera alors en termes d’opérations mentales et de situations d’apprentissage, on s’efforcera d’instaurer des situations capables de former aux opérations recherchées : problématiser, argumenter, illustrer, conceptualiser, critiquer, etc… voilà quelques capacités à former parmi bien d’autres et pour lesquelles il conviendra d’inventer des situations spécifiques. Le cours magistral n’est pas, pour autant, exclu, il est subordonné à ce qu’il permet d’acquérir, au même titre que d’autres situations : la reconstitution de texte, le « procès » en équipes autour d’une question, l’analyse de l’idéologie implicite des discours publicitaires, l’enquête sur le terrain, la recherche documentaire, le jeu de rôles, le groupe d’apprentissage, etc… Il n’est pas question, pour autant, d’abandonner tout apport ni de laisser croire aux élèves qu’ils peuvent tout réinventer, mais nous savons depuis longtemps qu’un apport n’est intégré que s’il répond à une question, fût elle suscitée par le pédagogue. À ne pas mettre nos élèves en situations-problèmes, nous réservons les apports à ceux – peu nombreux – qui se sont déjà posés la question.
M. TOZZI – Le couple « objectifs-évaluation » dans la pédagogie contemporaine, vise à accroître la rationalisation et l’opérationalité tant de l’acte d’enseigner que de celui d’apprendre. Dans ce dernier cas, quels peuvent être les objectifs d’apprentissage d’un élève de philosophie, et comment peut-il évaluer allie sont bien atteints ?
J. LECHAT – La conséquence de ce que je disais plus haut est que l’enseignement philosophique répugne à recevoir sans examen les préceptes, les notions et les concepts de la pédagogie par objectifs, laquelle s’inspire de l’idée d’un comportement et d’un objet observables. Les exercices scolaires, en particulier la dissertation, ne peuvent être appréciés selon des critères extérieurs au contenu et à la méthode, en philosophie, étroitement solidaires l’un de l’autre ; par exemple, une dissertation techniquement parfaite peut n’être en aucune matière philosophique, et, inversement, une dissertation très imparfaite peut témoigner de qualités d’esprit et de jugement pleines de promesses ; le savent bien les professeurs de philosophie, maîtres de leur classe ou correcteurs des épreuves d’examen ou de concours.
P. MEIRIEU – On comprend bien le danger qu’il y aurait à opérer une réduction techniciste de la philosophie. Une dissertation réussie est bien autre chose, c’est vrai, qu’un texte répondant à toute une série de critères de type formel (présence d’une introduction, d’un plan, de transitions, d’exemples, absence d’affirmations injustifiées, etc.). Mais le « plus » qui fait toute la différence, et qui est précisément la philosophie, si nous voulons y former nos élèves, il faut bien tenter de le définir. À la traiter comme ineffable, ne prend-on pas le risque de laisser fonctionner dans la classe toute une série de complicités culturelles ou affectives, voire de confondre évaluation et identification ? Je crois, pour ma part, que ce « plus » c’est « l’abstraction », c’est-à-dire la construction de concepts permettant de comprendre le réel, l’abstraction qui me délivre de l’immédiateté des « choses » et me permet d’avoir prise sur elles. En tant que telle, l’abstraction peut alors être analysée et l’on peut y découvrir les opérations mentales qui la constituent (c’est ce que tente B.M. Barth dans son ouvrage L’apprentissage de l’abstraction). On ne parlera plus alors de critères (renvoyant à des comportements observables considérés comme les objectifs opérationnels à atteindre) mais d’indicateurs (permettant de faire une hypothèse sur l’opération mentale requise qui est, elle, le véritable objectif). Il me semble que si la philosophie se méfie ainsi des objectifs, c’est qu’elle les considère bien trop dans une perspective behavioriste aujourd’hui dépassée par l’approche mentaliste.
J.L. DEBANNE – Que cherche l’étudiant en plus du baccalauréat ? Trouver l’auteur, l’homme (dirait Pascal) qui réponde à la question, aux questions qu’il se posait depuis plus ou moins longtemps, depuis peut-être toujours. Lucrèce devant Epicure ; Saint Augustin devant l’Hortensius de Cicéron.
Il nous faut être très humbles, Nous ne pouvons au mieux que favoriser cette rencontre. Une année de philosophie peut ne rien donner et germer des années après. C’est une question de maturité. Beaucoup de nos collègues sont déprimés parce qu’ils limitent leurs regards à quelques mois.
B. NUFSCHMITT – De fait, les objectifs d’apprentissage des élèves sont très éloignés de ceux que nous voudrions voir présents :
– avant tout la réussite dans les dissertations, en vue d’une bonne note au baccalauréat ;
– quand ils abandonnent cet aspect utilitaire, ils espèrent en début d’année au moins, des confrontations d’opinions, des discussions (apprentissages ?) : attitude que nous réduisons généralement très vite dans notre souci de dépasser la doxa (le minimum d’exigence de notre enseignement, fort heureusement généralisé), mais que nous orientons plus vers le savoir institutionnalisé transcendant leur propre esprit critique (auteurs) que vers la production, par eux-mêmes, d’un discours critique et rationnel.
– enfin, il y a souvent chez les élèves, des objectifs de connaissances, enseignées dogmatiquement par le professeur et, en partie au moins, indépendantes de l’examen. Cela ne concerne avant tout les questions qui les touchent directement : inconscient, passions, vie politique, religions, etc… Ici, les élèves attendent des savoirs, plus exactement des confirmations, sous forme de savoirs d’auteurs, de ce dont ils ont besoin idéologiquement. On comprend par là la déviation toujours facile de notre enseignement en enseignement de doctrines concernant ces sujets.
Mais il faut constater aussi qu’il y a ici, peut-être, un point d’entrée dans une activité réellement philosophique : analyse critique, épistémologique en particulier, d’une de ces doctrines : psychanalyse, matérialisme historique. Cependant, une telle analyse demande du temps et limite le traitement du programme à une ou deux notions.
De droit, les objectifs d’apprentissage sont identiques à leurs moyens : le développement de l’esprit critique et rationnel dans une perspective de développement de l’indépendance intellectuelle et morale, de l’autonomie, de la liberté de penser, etc… propre aux droits de l’homme et si bien exposée dans les instructions de 1925.
Dans le fait comme dans le droit, l’évaluation est en crise, crise d’autant plus sérieuse qu’elle est systématiquement déniée par le corps institutionnel des professeurs de philosophie. Dans le droit, il est difficile d’évaluer une capacité de rationalité en ce que l’expression écrite, par ses insuffisances chez certains élèves, empêche totalement la manifestation de ces capacités, alors que, par sa maîtrise, elle permet à d’autres de maîtriser la sophistique au détriment du correcteur. De plus, les références et citations tiennent lieu, dans nos corrections, de réflexion et argumentation, sans que nous puissions généralement savoir si elles sont bien des condensés d’argumentation ou simplement des propos non compris retenus par mémoire et insérés par savoir-faire non réflexif. De plus, elles dévalorisent l’argumentation non référée (jugée en contre-point superficielle).
Dans le fait, se manifestent des pôles d’évaluation différents chez les professeurs : derrière une exigence commune, de façade, de richesse d’argumentation, se repèrent des exigences de culture philosophique pour certains, de rigueur d’argumentation et d’exposition pour d’autres, de réflexions et capacités d’invention intellectuelle pour un dernier groupe. Le bon élève saura satisfaire ces trois exigences, mais l’élève moyen, qui ne travaille que sur un plan, verra son travail valorisé ou rejeté en fonction du correcteur.
M. TOZZI – Malgré l’homogénéisation relative de la population des classes terminales parla sélection scolaire, la diversité des élèves reste grande selon les sections et les individus, en matière de niveau social et culturel, de rapport à la langue et aux concepts, de styles cognitifs, etc… Est-il donc souhaitable et possible, dans la perspective d’un enseignement philosophique de masse, de différencier l’enseignement philosophique en fonction de l’hétérogénéité des élèves ?
J. LECHAT – L’enseignement philosophique s’adresse désormais à tous les élèves des classes terminales, quelque diverses que soient les sections. Etant philosophique, il ne peut se diversifier sans perdre sa nature, si, par diversification, on devait entendre qu’il aurait à abandonner, ici ou là, l’exigence philosophique. En revanche, sont divers les programmes, non par l’esprit et le sens de leur contenu, mais par leur ampleur, proportionnée à l’horaire dont dispose chacune des questions, qui commande d’aller, par des voies toujours directes, mais plus ou moins longues, à l’essentiel. Il n’est jamais interdit, mais il est plus ou moins nécessaire, selon le niveau d’instruction des élèves, en particulier selon leur plus ou moins solide maîtrise de la langue, au professeur de philosophie, qui par là ne cesse pas de l’être, de vérifier et d’asseoir la culture scientifique, la grammaire ou le lexique, pour que soit su ce dont on parle, compris ce qu’on lit, pensé ce qu’on écrit. Il n’est pas interdit non plus de s’informer de ce que la classe apprend d’autres disciplines, ou de ce qu’elle fait à l’atelier, pour choisir des exemples ou mener des analyses dont l’étude et la conduite ne sont pas pour autant étrangères à la philosophie.
Il n’y a donc pas d’enseignement philosophique de masse, si, par là, on devait entendre un enseignement qui renoncerait à l’exigence philosophique à l’égard d’un nombre grandissant d’élèves incapables de le recevoir. Il est du plus haut intérêt, et du devoir des professeurs de philosophie, de refuser l’idée d’un enseignement philosophique de masse que concevrait une école peu soucieuse de procurer à tous les lycéens, par l’unité organique d’études ordonnées, l’accès à la philosophie.
0. HUFSCHMITT – La question de la différenciation de l’enseignement philosophique en fonction des élèves passe par celle de la nature du discours soumis à la réflexion.
De fait, les références philosophiques sont inaccessibles à tous les élèves, si l’on excepte (peut-être) une petite minorité. Par contre, certains élèves possèdent une bonne faculté d’adaptation (de réception passive) à ces discours (première catégorie de « bons élèves ») ; de plus, grâce à l’enseignant, ces discours peuvent être plus ou moins banalisés, ce qui permet à certains élèves (deuxième catégorie de « bons » élèves) de maîtriser, de manière critique, une partie de l’argumentation des philosophes.
Remarquons en passant que c’est, sans doute, ce « don » à la banalisation qui permet de sauver toute une classe, de la perdre ou de la scinder ; alors que, par ailleurs, nous rejetons souvent, de droit, toute activité de vulgarisation de la pensée philosophique (rejet des auteurs-vulgarisateurs ou dits mineurs, rejet de l’idée d’une propédeutique philosophique, de niveaux de réflexion philosophique).
De droit, il semble que soit possible une progression continue dans la réflexion critique sur un texte (ou une notion), qui devrait être facilement compréhensible et accessible à un premier niveau de critique, ce que peu de textes philosophiques (sinon les textes de vulgarisation, y compris, à la rigueur, chez les philosophes eux-mêmes : Le Discours de la méthode, l’article de Bergson : La conscience et la vie) autorisent, bardés par avance que sont en général les grands écrits aux objections philosophiques. L’analyse critique d’une texte (ou de la notion) pourrait ainsi s’amplifier petit à petit, jusqu’au décrochage, d’une partie jugée significative de la classe, ce qui demanderait, alors, quel que soit le niveau, et au détriment éventuel de la connaissance et du respect des doctrines philosophiques, l’abandon de la réflexion pour repartir sur un thème nouveau.
Il y a urgence à centrer à nouveau la philosophie dans une optique de démarche rationnelle et critique, indépendamment de tout contenu philosophique (ou au moins dans une perspective de relativisation de ce contenu) et à rendre plus secondaire la connaissance des auteurs philosophiques.
Dans cette optique, c’est l’enseignement philosophique qui devrait le moins être concerné par le problème de l’hétérogénéité des élèves alors que, dans les faits (expression écrite, adaptation à un discours difficile, situé idéologiquement et socialement), il paraît être l’un des plus concernés.
P. MEIRIEU – Aussi homogène que soit une classe, nous savons bien qu’il n’y aura pas, en son sein, deux individus qui apprennent de la même manière, au même moment, en étant sensibles aux mêmes termes, dans le même ordre, etc… Ce que nous savons aujourd’hui des stratégies individuelles d’apprentissage nous impose de prendre en compte ce fait : non dans une quête impossible d’un enseignement strictement individualisé qu’il faudrait adapter à chaque individu, mais par le souci d’aider chacun à identifier et stabiliser les procédures efficaces pour lui. C’est pourquoi la classe de philosophie me paraît être un des lieux privilégiés de pratique de la métacognition. On doit y apprend à conceptualiser et y découvrir par quels chemins spécifiques on y parvient. Certes, il faut pour cela un peu de temps et quelques outils, mais les outils existent (j’en ai moi-même proposé dans Apprendre… oui, mais comment, pp. 143 à 152) et qui oserait prétendre que la réflexion sur la « connaissance de la connaissance » n’est pas au programme ? C’est, en tout cas, une modalité de différenciation qui s’impose au niveau d’une classe terminale afin d’amener à l’Université ou dans la vie professionnelle des élèves un peu lucides et autonomes.