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Apprendre à l’aide de nouveaux outils ?

La maitrise de l’oral est une nécessité pour s’insérer dans la société, notamment aux niveaux professionnel et civique : pouvoir s’exprimer facilement à l’oral, c’est pouvoir défendre son point de vue, essayer de convaincre autrui, mais aussi dénouer pacifiquement les conflits. C’est aussi avoir les outils de construction de sa pensée par la confrontation à celles des autres et, par l’obligation de se faire comprendre immédiatement, une école de la clarté dans l’expression et de la rigueur dans le raisonnement. En ce sens, contribuer à la maitrise de l’oral chez chacun de nos élèves fait clairement partie du travail du professeur d’histoire-géographie et EMC (éducation morale et civique), du professeur principal et tout simplement de l’enseignant.

Être ambitieux pour tous les élèves

Je me place résolument du côté d’un oral du quotidien, modeste mais rigoureux, et surtout accessible à tous. Même si j’en reconnais la pertinence dans certaines situations, je ne me place pas, quotidiennement avec les élèves, dans la logique des projets d’oral basés sur des modèles socialement et scolairement très marqués et issus de l’enseignement supérieur ou des grandes écoles. Je pense en particulier aux notions de grand oral, de concours d’éloquence ou de plaidoiries, par exemple. Ils sont assurément des exercices intéressants et nécessaires, mais leur origine et leur nature, l’image qu’ils véhiculent et les représentations qu’ils portent, le modèle qu’ils imposent ne sont pas ceux de l’école secondaire et de l’école pour tous. Ils me semblent surtout de nature à introduire de nouvelles distorsions et inégalités entre les élèves. Par ailleurs, la maitrise de l’oral ne se limite pas aux exercices types de Science-Po ou des études de droit. Je plaide donc pour une approche plus modeste, moins spectaculaire, qui ne trouve pas son débouché naturel sur des tribunes ou des scènes publiques, mais qui est tout aussi rigoureuse et formatrice, et surtout accessible à tous les élèves.

Travailler l’oral est enfin une nécessité institutionnelle : oral du brevet, de TPE (travaux personnels encadrés), de français ou de langues, d’histoire-géographie en 1re technologique, futur oral du bac, etc. Dans tous les ordres d’enseignement, des examens oraux jalonnent le parcours scolaire des élèves et des étudiants. Pourtant, la préparation spécifique aux épreuves orales a longtemps été peu développée, pour des raisons pédagogiques mais aussi pour des raisons matérielles.

Une pratique peu scolarisable

Très longtemps, les examens ont été basés sur l’écrit. Par ailleurs, les activités écrites ont été favorisées par une forme d’industrialisation de l’enseignement qui a vu des regroupements de nombreux élèves dans l’espace clos et étroit de la classe sous la surveillance d’un seul maitre.

De son côté, l’oral est plus difficilement scolarisable. Il est difficile de l’adapter aux conditions de fonctionnement habituelles de l’école. Il est relativement simple de faire composer ensemble à l’écrit des dizaines voire des centaines de lycéens ou d’étudiants, de récupérer ensuite les productions pour en déporter dans le temps et dans l’espace le processus d’évaluation chez le correcteur après les cours ou après l’examen. Avec l’oral, les choses sont nettement plus complexes. Évaluer l’oral, jusqu’à une époque récente, nécessitait de travailler en direct et sans filet, sans possibilité de « retour arrière » ni de stockage de la production. L’opération était donc pour le moins aléatoire ou mobilisait des bataillons d’examinateurs. Ainsi, l’oral est resté très longtemps une pratique marginale à l’école, beaucoup moins développée et valorisée que l’écrit.

Les progrès technologiques aidant, il y a maintenant quelques décennies que l’on essaye, notamment chez nos collègues de langue, d’utiliser les méthodes d’enregistrement analogique, bandes ou cassettes, pour faire parler les élèves. Mais les contraintes techniques pouvaient dissuader les plus motivés des enseignants et n’ont pas permis une généralisation des pratiques d’oral.

Avec les outils numériques, et plus encore avec les tablettes et les téléphones, la donne a radicalement changé. S’enregistrer, stocker le fichier audio, l’envoyer à son professeur est devenu un jeu d’enfant ou presque. Dès lors, l’enseignant peut prendre le temps, en dehors du cours, d’évaluer la production de chaque élève comme il le fait d’une copie, d’en faire retour à l’élève et de lui proposer des améliorations, que l’élève peut facilement apporter. En l’occurrence, les outils techniques permettent la mise en œuvre d’une puissante évolution pédagogique.

Pratiquer l’oral impose de sortir de l’organisation traditionnelle de la classe.
Un oral modeste, répondant aux besoins de tous les élèves, est un oral qui s’enracine dans le quotidien de la classe, dans des conditions normales de fonctionnement. On est encore loin d’une mise à disposition générale d’Éduclab ultramoderne, de jolis fonds verts ou de webradios à tous les étages. Pourtant, une pratique de l’oral, même dans des conditions difficiles, est possible.

La pratique de l’oral amène automatiquement une autre organisation que la classe entière. Les petits groupes s’imposent non seulement pour permettre techniquement la prise de parole par les élèves, mais aussi parce qu’ils facilitent l’expression de chacun, ce que le grand groupe interdit. Placer les élèves en petits groupes, c’est créer les conditions techniques et psychologiques de leur expression.

Installer l’oral au cœur des activités de classe est l’une des conditions des progrès des élèves. Proposer des temps courts, rapides, complémentaires des autres activités de classe et qui permettent aux élèves de s’exprimer souvent, voilà l’objectif. Ainsi, après la production d’un poster scientifique sur un thème de géographie, les élèves sont invités à produire un court commentaire explicatif audio de deux minutes. Autre possibilité, la production finale d’un travail de recherche est un dialogue enregistré entre deux élèves d’un binôme, un débat entre spécialistes, une interview radiophonique ou filmée (on sort ici de l’oral pur). Et l’on pourrait multiplier les exemples.

Ainsi, une activité facile à mettre en œuvre au collège comme au lycée consiste à inviter les élèves à produire un commentaire oral de document le décrivant, l’analysant et le mettant en relation avec les éléments essentiels d’un thème de travail. Cette activité peut être mise en œuvre dans de nombreuses situations et dans un grand nombre de disciplines. Elle permet de travailler à la fois les connaissances scientifiques spécifiques à un thème d’étude, une méthode (ici l’étude de document en histoire-géographie) et l’oral. En termes de progression, pour peu que cette activité soit proposée régulièrement, il est possible d’amener les élèves à passer de l’écrit oralisé à l’oral semi-improvisé appuyé sur des notes. Sur le plan technique, la production peut consister en un fichier audio simple ou plus complexe (si les élèves l’agrémentent de pistes de bruitage ou de fonds sonores, par exemple). La restitution finale peut aussi être un court montage audio-vidéo mêlant l’image du document analysée (avec éventuellement des zooms sur telle ou telle partie du document particulièrement utile pour les commentaires de documents iconographiques) et un commentaire audio enregistré en voix off. Les outils numériques le permettant sont nombreux et faciles d’accès, aussi bien sur ordinateur que sur tablette. Plusieurs exemples d’activités de ce type sont décrits sur le site http://bit.ly/2AkNdR2. Ces enregistrements sont toujours volontairement courts, de deux à trois minutes au maximum. C’est ce qui permet d’une part de les multiplier parce qu’ils n’occupent pas un temps démesuré, mais aussi d’être particulièrement exigeant sur le fond comme sur la forme. Ces multiples fichiers son offrent à l’enseignant un matériau de choix pour faire aux élèves les retours les plus précis possible sur leurs productions et leur progression. Enfin, parce qu’ils sont courts et enregistrés, ces travaux peuvent facilement être réenregistrés ou modifiés après correction par les élèves, en fonction des conseils reçus.

La question du matériel se pose aussi. Si des établissements sont bien équipés, d’autres le sont beaucoup moins. Et même lorsqu’ils le sont, la disponibilité des équipements à l’instant où ils sont nécessaires est loin d‘être garantie. Parmi les outils numériques, ce sont les outils mobiles, tablettes et téléphones, qui sont les plus utiles aux types d’usage décrits ici. Peut-on réellement se passer des appareils des élèves ? Et n’est-il pas utile de leur apprendre à s’en servir autrement que selon les usages qu’ils connaissent et maitrisent ? Contrairement à beaucoup d’idées reçues, de nombreux élèves maitrisent mal les fonctions avancées de leur téléphone et peinent par exemple à retrouver un fichier son dans leur espace de stockage. Certes, le BYOD (Bring your own device) ne va pas sans difficultés, notamment techniques, et réclame de l’enseignant une bonne connaissance des outils et des systèmes d’exploitation, mais le jeu en vaut largement la chandelle.

Rien de facile néanmoins : ni les effectifs des classes ni les espaces scolaires ne sont conçus pour cela : enregistrer un fichier audio réclame un minimum de calme : les micros captent les bruits ambiants et le résultat peut vite devenir cacophonique. Il faut donc trouver des stratégies de contournement : imposer des temps de silence pour permettre l’enregistrement, laisser sortir les élèves de la classe, permettre des enregistrements en dehors du temps de cours parfois.

Repenser les espaces et le cadre scolaire traditionnel

Quels que soient les dispositifs retenus (et qui dépendent notamment de l’âge des élèves), on voit bien que les cadres traditionnels de l’organisation et des espaces scolaires sont totalement obsolètes, de même que le système de prise en charge des élèves et de responsabilité basé sur le quarté suivant : un professeur, un groupe, une salle, une heure. Envoyer ses élèves enregistrer dans le couloir représente pour le professeur une certaine prise de risque. En cas de problème, sa responsabilité est engagée. Mais comment faire autrement ? Utiliser les outils numériques, développer l’autonomie des élèves, le travail par projet nécessitent de repenser le système, pour aboutir à une prise en charge globale des élèves par les adultes dans l’établissement. Peut-on demander aux enseignants de faire évoluer leur pédagogie si les cadres, y compris juridiques, dans lesquels elle s’inscrit n’évoluent pas eux aussi ?

Denis Sestier
Professeur d’histoire-géographie-EMC et formateur académique, Caen (Calvados)