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Ambiguïtés de l’aide au travail personnel
Il est important de s’interroger sur les « règles de métier » que se donnent les enseignants pour aider les élèves en classe et hors classe et s’ils se donnent les moyens de leur faire acquérir la fameuse « autonomie » dans le travail.
Pour y voir plus clair, nous partirons d’un exemple concret, le cas de l’ATP (Aide au Travail Personnel) et des différentes modalités de mise en place de ce dispositif au sein d’un collège RAR des quartiers Nord de Marseille où coexistent d’autres dispositifs et d’autres formes d’aide au travail scolaire : aide aux devoirs, aide méthodologique, accompagnement éducatif, aide individualisée, PPRE…
Les exemples choisis sont extraits d’un travail que nous conduisons depuis près de deux années dans un collège marseillais en « réseau ambition réussite » et où des séances d’aide au travail personnel de l’élève sont organisées en complément de l’enseignement ordinaire. Il s’agit de quatre épisodes assez courts, retenus pour la visibilité qu’ils offrent à propos de l’incitation à l’autonomie, ainsi que de la place et du rôle qu’entend donner le professeur, en charge de ce dispositif, à l’aide individualisée dans cette séance.
Le contexte
Les élèves entrent en classe et chacun s’assied seul à une table. L’enseignant distribue les documents prévus pour la séance : « fiche de suivi de l’élève » et « fiches méthodologiques », puis passe dans les rangs, incitant chacun à se mettre le plus rapidement possible au travail. Malgré ces encouragements appuyés, on observe des réticences chez la plupart des élèves qui résistent à sortir leurs affaires et se mettre au travail. À plus de la moitié de la séance, une élève, Tania, interpelle le professeur en lui demandant ce que signifie « opposé par les sommets ». Le professeur ignore la question mais devant l’insistance de l’élève, il l’invite à rechercher, dans ses fiches méthodologiques, la réponse à sa question. Quelques minutes s’écoulent, puis Tania l’interpelle de nouveau mais le professeur ne semble pas déroger à la ligne de conduite qu’il s’est fixée :
Épisode n°1 : « où peux-tu avoir la réponse ? »
Tania : Monsieur qu’est ce que ça veut dire opposé par le sommet ?
Professeur : Heu… où est-ce que tu peux…. où est-ce que tu peux avoir la réponse ?
Tania : Je sais pas
Professeur : Et bien regarde dans ton fichier …. dans tes fiches méthodologiques…. ça te dit où est la réponse.
Tania garde la même feuille devant les yeux
Professeur : C’est pas ça les fiches métho !
Tania : C’est quoi alors ? (en soulevant les feuilles sur son bureau), Ah c’est ça !
Professeur : Derrière la fiche de suivi …
Épisode n°2 : « Lis ta fiche… c’est là qu’il y a tout ! »
Professeur : Tu as trouvé quelque chose Tania ?
Tania : Non… heu j’ai pas cherché
Professeur : Ah tu l’as pas cherché !
Tania : Non ! et qu’est-ce que ça veut dire opposé par les extrémités ?
Professeur : Ecoute moi, mais tu ne peux pas avoir la réponse si tu ne cherches pas
Tania : Mais j’ai ma fiche là !
Professeur : Ah tu t’en fiches ?
Tania : (rire) Non… j’ai ma fiche là !
Professeur : Lis la ta fiche… c’est là qu’il y a tout ! ils te parlent d’angles opposés par le sommet là-dedans?
Tania : Non !
Professeur : Non ?
Son voisin lui montre le cahier et Tania sort alors son cahier de mathématiques.
Professeur : Ah bravo Tania c’est bien , tu vois quand tu veux. !…
Épisode n°3 : « regarde dans ton sommaire, je vais pas le faire à ta place ! »
Tania : C’est que… c’est que en travail de géométrie que …il y a les angles opposés ?
Professeur : Pardon ?
Tania : C’est que en travail de géométrie qu’il y a les opposés ?
Professeur : Les angles opposés ? Ha les angles opposés a priori il y a des chances pour que ce soit en géométrie oui !
Tania : Mais que dans ça ?
Professeur : Ben tu peux regarder… regarde dans ton sommaire, je vais pas le faire à ta place, non mais ! s’il y avait cinquante mots à chercher…s’il y a un mot à chercher parmi cinquante c’est un maximum !
Une activité productive et normée
Il n’est pas question ici de chercher à évaluer ou à juger des choix opérés par le professeur mais bien de comprendre en quoi et comment il s’attache à répondre à la triple injonction :
- d’accompagner les élèves dans la réalisation de leur travail personnel ;
- de réfléchir à des solutions d’aide à l’apprentissage des leçons et à la réalisation des devoirs ;
- de contribuer au développement de l’autonomie des élèves dans leur capacité à conduire un travail personnel en dehors de la classe.
Et, visiblement, il traduit cette prescription en s’efforçant de concevoir et de mettre en œuvre tout un ensemble d’aides comprenant au moins un cahier de cours, un sommaire et des « fiches méthodologiques », supposés fonctionner comme une méthode de travail. Aussi, le jeu de questions qui s’instaure entre lui et Tania semble avoir pour seul objectif d’inciter cette élève à construire une connaissance pour réaliser une tâche dont elle n’a pas encore de réponse. Il n’est donc pas étonnant de voir le professeur féliciter Tania lorsqu’elle finit par sortir son cahier de mathématiques, après avoir consulté la fiche méthodologique « où est la réponse ? ». On comprend ici que les gestes de l’étude que ce professeur préconise se réfèrent à des techniques qui, à elles seules, sont censées permettre aux élèves de s’acquitter de manière autonome de leur travail scolaire. Or, si l’objectif poursuivi est bien de privilégier la réflexion au détriment de l’action, on remarque combien cette manière de faire peut conduire ce type d’élève à croire qu’il suffit d’appliquer des « règles » générales, fixées a priori et détachées du travail fait en classe, pour s’acquitter de manière satisfaisante de son travail scolaire.
Loin d’un discours évaluatif, se pose ici la question du rôle que l’enseignant peut et doit jouer auprès des élèves accueillis dans ces dispositifs hors la classe : celui d’un tuteur qui soutient l’élève dans la réalisation de ses devoirs ? Celui d’un adulte relais qui tente d’expliciter les exigences scolaires, du moins celles restées opaques pour bon nombre d’élèves ? Celui d’un parent attentif qui fait réciter ses leçons à son enfant ? Celui d’un enseignant qui reprend les parties d’un cours non comprises ?
On peut dire, sans trop se tromper, que la défaillance des prescriptions à propos de ce qu’il convient de faire semble faire obstacle à l’identification des tâches qu’il incombe aux professionnels de prendre en charge dans l’organisation de ces nouveaux dispositifs.
De fait, l’invention — tant des objectifs à atteindre que des moyens pour les atteindre — repose entièrement sur les professeurs qui s’efforcent de prendre sur eux, de trouver en eux-mêmes les ressources dont ils ne peuvent disposer, ni à partir de la définition lacunaire d’une tâche aux contours flous, ni à partir de l’activité des autres professeurs confrontés à la même tâche et donc aux mêmes interrogations sur les critères définissant un travail de qualité. Et il y a fort à parier que cette opacité nuit sensiblement à la lisibilité de ce que les élèves ont à faire et de comment ils ont à le faire pour gagner en autonomie dans une frange du travail scolaire, toujours exigée mais rarement entraînée de manière explicite.
Au total, si ces quelques remarques sont loin d’épuiser la question de l’encadrement du travail personnel des élèves et des difficultés professionnelles que rencontrent les enseignants, elles permettent néanmoins de prendre la mesure du chemin qui reste à parcourir pour construire « les outils de la réussite » censés offrir à tous les élèves les « mêmes chances de parvenir à l’excellence scolaire ».
Christiane Félix, Maître de Conférences, Aix-Marseille-Université.