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Accompagner des projets à l’université

Dans notre Université, Lille 2, nous proposons l’accompagnement par le module gestion d’un projet collectif en début de cursus.

Chaque groupe, après un cours théorique en méthodologie de projet, est obligatoirement encadré par un tuteur. Chaque étudiant peut aussi avoir recours, mais de façon facultative, à un accompagnateur. Le tuteur met l’accent sur l’expérience comme vecteur d’acquisitions et sur les contraintes méthodologiques, l’accompagnateur quant à lui écoute la personne, la dynamique identitaire et la construction du sens. Il n’est pas le superviseur du tutorat. Les entretiens menés avec l’accompagnateur sont confidentiels. Le tuteur qui évalue et note n’en a pas connaissance. Face au tuteur, il s’agit pour l’étudiant de valider une note, de réussir. Avec l’accompagnateur, il s’agit de « revenir à soi ».

Élaborer sa biographie

Le dispositif d’accompagnement permet d’engager l’étudiant dans un processus de réflexion sur lui-même et sur son expérience. L’accompagnateur est là pour penser en dehors du cadre de la notation. Il s’agit d’interroger les frontières entre les projets collectif, professionnel et de vie, et de mettre du lien, s’il en est, entre passé et futur, entre soi et l’autre, entre le désir et l’acte, entre le projet et le sens. L’entretien peut mettre en condition de distanciation, de réflexion, il est notre outil pour comprendre ce qui se passe au niveau individuel. La recherche identitaire par l’élaboration de sa biographie, peut aider le jeune à apprendre à se connaître et à se faire confiance. La principale difficulté réside dans cette compréhension de soi pour notre jeune public plus orienté vers des faits concrets que vers la psychologie. Notre démarche a été de proposer un entretien aux membres de deux projets non reproductifs [[Dans le choix d’un projet une des contraintes données est de ne pas reproduire, « trans-faire ». Au contraire, le transfert (« porter au-delà ») est une capacité à s’adapter à un autre contexte sans simplement reproduire. Wittorski nomme « capacité » une compétence décontextualisée, une disposition à agir transversale. Or on observe la tentation de la répétition : reprendre un projet « éprouvé » (par d’autres), mobiliser des compétences déjà là.]] . La méthode consiste à recourir aux entretiens croisés en écoutant des protagonistes d’un même projet. L’analyse se base sur cet entretien, sur le comparatif avec le rapport écrit, noté, rendu un mois après, et sur la lecture de reportings.

L’enjeu des entretiens

Ce dispositif n’est pas simplement une écoute rogérienne, empathique, mais une approche transactionnelle qui met en relation la personne, le contexte, le temps, l’environnement. L’accompagnateur doit prendre des précautions et se demander par exemple pourquoi tel énoncé retient son attention et à partir de quelle projection inconsciente. Le risque est d’aller « chercher chez le semblable la confirmation de sa propre conviction. C’est le piège majeur de l’usage du récit de vie dans le champ de la recherche » [[Gaston Pineau, Accompagnements et histoire de vie, L’harmattan, 1998.]] , et ne pas se tenir dans une position jouissive de contrôle. L’accompagnateur doit avoir des capacités d’écoute et bien connaître son propre fonctionnement. Le choix d’accompagner ne peut lui être imposé. Pour comprendre les transferts, certains dispositifs requièrent des accompagnateurs en analyse ou bien d’avoir une démarche de développement personnel.

L’entretien est annoncé pour faire le point sur ce qu’on a appris sur soi, son fonctionnement en groupe, le lien entre le projet professionnel et le projet collectif. L’étudiant peut simplement faire « son métier d’étudiant », pour reprendre l’expression de Bautier et Rochex (rapport instrumental au cours pour la note, le diplôme, conformité aux consignes, etc.) ou articuler réellement ses expériences de vie avec son projet professionnel et ses apprentissages pour construire son identité. L’entretien ne fait pas l’objet d’un contrat signé ni d’un enregistrement ; il a un caractère partiel : sur une durée très circonscrite, hors de l’espace du groupe. Il a lieu dans le dernier mois du projet collectif au moment de la rédaction du bilan qui coïncide avec la recherche d’un stage, ce qui met en perspective le rapport entre identité, projet collectif et projet professionnel.

Que font-ils de leur projet ?

Le dispositif étant posé, quels sont les discours entendus et quelle analyse en faire ?

D’après ces entretiens nous distinguons des logiques d’instrumentalisation, des logiques d’appropriation et des phénomènes identitaires qui s’articulent et s’opposent. Nous avons relevé globalement deux discours : le premier est lié aux résultats (évaluables, quantifiables, valorisants) et témoignant de projets réussis au sein de l’institution en occultant les échecs ; le second est lié au vécu (l’expérience, les rencontres).

Après analyse des entretiens, le projet peut relever de trois types d’instrumentalisation.

Une instrumentalisation stratégique au niveau des savoirs pratiques et des méthodes : il y a découverte d’un métier et d’un rôle a y tenir.

C’est le cas de Virginia dont le projet lui a permis de mener des tâches liées à une compétence précise : la conception des supports de communication (dessin, affiches, flyers, relation presse). Elle n’a d’ailleurs pris rendez-vous avec l’accompagnateur qu’après un temps d’enquête et après avoir consulté des plaquettes d’écoles de communication et visité une agence.

Une instrumentalisation au niveau des savoirs relationnels, qui supposent une confiance en soi pour démarcher, convaincre un partenaire. Le comportement « d’autonomie interactionnelle », selon l’expression de Zarifian, concerne la capacité d’ouverture, de recherche d’informations et également la connaissance de sa manière d’interagir, de son comportement : collaborer, expliquer…

Une instrumentalisation au service d’une recherche de bénéfices narcissiques ou de satisfaction de besoin de reconnaissance. Dans le cas de Virginia (voir ci-dessous), cela prend la forme d’un article de presse où elle apparaît seule sur la photo. Le projet lui a permis de faire reconnaître sa personne.

Ces trois processus ont l’avantage de se mesurer par une preuve visible : je suis crédible en tant que dessinatrice, j’ai décroché un partenaire, je suis dans le journal. L’étudiant accède à une visibilité, une individuation.

Enjeux identitaires

L’entretien peut révéler les problèmes personnels loin des discours lissés des soutenances collectives, et parfois permet de lier le projet à l’enjeu identitaire. Il aide aussi à faire le deuil du projet et du groupe pour revenir à soi. Derrière la réussite, les résultats quantifiables, les étudiants nous parlent de la confiance en soi et en l’autre.

Virginia en est l’illustration : elle travaille à faire reconnaître un projet qui n’avait pas convaincu sa classe l’an dernier. Elle évoque sa relation distanciée aux groupes. Elle a fonctionné seule, parfois en binôme. Elle souligne que dans la classe elle n’adhère à aucun groupe. Elle est bien dans une position paradoxale de tension entre le poids du jugement des autres sur sa crédibilité, sur son rôle et le déni de sa personne. À plusieurs reprises, elle présente une image négative d’elle-même évoquant sa « tare », son « handicap » d’être peu « synthétique ». Sont récurrentes chez elle les expressions relatives à l’image de soi renvoyée par autrui : « ceux qui ont cru en nous, si personne ne croit en nous, notre projet ne marche pas », « on n’a jamais cru en moi », voire une dépréciation : « mes idées sont mauvaises ». Le handicap en question est en réalité, après vérification, non pas une difficulté à synthétiser, mais une orthographe non maîtrisée, ce qui explique peut-être aussi son choix du dessin plutôt que de l’écrit.

Autre cas : Andrée renoue avec son père, après sa confrontation avec le milieu des enfants délaissés. Sa principale fierté c’est de s’être prouvé qu’elle était capable de parler en public et d’être écoutée. Cela lui a donné confiance en elle. Le discours improvisé lors de la remise d’un prix a été l’élément déclencheur de cette confiance en soi. Le projet portant sur l’enfance abandonnée, le rapport à la famille apparaît. Ainsi Andrée, en rébellion contre son père, nous parle de l’apprentissage du tennis, de l’aide qu’il a voulu lui apporter au sein du club pour la faire progresser jusqu’à devenir monitrice. C’est à travers ce sport que le lien aux enfants et au père s’est noué.

Le projet peut aussi être le lieu d’une affirmation de soi, dans le jeu. L’étudiante Eva est souriante, elle évoque le plaisir, les échanges avec les partenaires et la convivialité du projet. Sa démarche a été de faire en sorte que les choses soient claires. Elle dit avoir besoin de concret, de contrat, de rigueur. Elle a glissé d’une fonction à l’autre au gré des nécessités, des lacunes ou des envies. Elle a pris l’initiative des dates, des rendez-vous, elle a donné son avis. Elle aurait été « irritée s’il y avait eu quelqu’un qui voulait diriger, quelqu’un de borné et qui voulait tout faire ».

L’accompagnement perçu par l’étudiant ? « Cette étape a été importante car elle a permis à une personne plus éloignée du projet de m’aider à faire mon bilan ». (Extrait d’un rapport écrit)

Isabelle Gillet et Sylvie Scoyez, ESA, Université Lille 2.

Ressources bibliographiques
– Dauberville, Foulard, Vivre ses projets, ESF éditeur, 2002.
– Dubar, La crise des identités, l’interprétation d’une mutation, le lien social, PUF, 2000.
– Gillet, Scoyez, Vivre, accompagner son projet, Chronique Sociale, 2002.
– Lacourcelle, « Les entreprises recrutent au berceau », Entreprise et carrière, n°668/669, 2003.
– Meirieu, « Projet professionnel de l’étudiant : les nouvelles donnes », ONISEP, Références, 2002.
– Mérini, « L’accompagnement : un nouveau geste professionnel à introduire en université ? », colloque Lyon 1, 2002.
– Pineau, Accompagnements et histoire de vie, L’harmattan, 1998.
– Prodhomme, « Accompagnement de projet professionnel et bilan de compétences », Éducation permanente n° 153,2002.
« Savoir, c’est pouvoir transférer ? », Cahiers pédagogiques n° 408, novembre 2002.