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À la vitesse de la tortue…

Quelles évolutions du système éducatif d’alors le décret de 1950 sur le statut des enseignants traduit-il ?
Au début du XIXe siècle, l’organisation des enseignements secondaires repose sur une double classe quotidienne de deux heures, cinq jours par semaine. Comme dans les premières classes il y a un professeur unique, le service
est de vingt heures. Mais, dans les lycées, et de plus en plus au cours du siècle, on trouve une pluralité de professeurs (souvent agrégés) surtout pour les hautes classes, ce qui amène finalement une réduction du temps de service pour eux. En 1892, les professeurs de lycées de garçons doivent quinze heures s’ils sont agrégés (quatorze heures à Paris), les autres une heure de plus. Dans les collèges (alors communaux) où il y a d’ailleurs peu d’agrégés, l’État procède en 1932 à une harmonisation et règle les horaires de leurs professeurs sur la fourchette de dix-huit à vingt heures.
Le décret de 1950 fixe finalement l’horaire des
agrégés à quinze heures, et règle celui des professeurs
certifiés (le Capes vient d’être créé) sur l’horaire minimum des professeurs de collège, à savoir dix-huit heures.
Mais, il ne faut pas oublier les enseignants du primaire. Ceux des écoles communales doivent alors trente heures (vingt-sept heures à partir de 1969). Ceux du primaire supérieur (dans les écoles primaires supérieures ou les
cours complémentaires) qui enseignent au niveau parallèle du premier degré du secondaire (jusqu’au brevet) doivent vingt-sept heures. Les maîtres de cours complémentaires
(rebaptisés PEGC) doivent vingt-quatre heures de service à partir du début des années 1960. Comme ceux des écoles communales, ils n’ont pas d’auxiliaires pour assurer
l’encadrement des études ou la discipline, et ils prennent en charge « tout naturellement » ces tâches en sus de leurs heures d’enseignement.

Comment expliquer que ce texte ait résisté aux bouleversements considérables du système éducatif depuis 60 ans, et en particulier aux nouvelles missions de l’enseignement induites par l’instauration du collège unique, et, aujourd’hui, par la volonté de définir un socle commun de connaissances et de compétences ?
La mise en place de l’école unique, puis davantage encore celle du collège unique, pose le problème de savoir quel type de corps doit encadrer les élèves qui vont de la 6e à la 3e. Ceux qui pensent que la continuité de l’enseignement obligatoire (du CP à la 3e) doit l’emporter – puisque le principe fondateur du collège unique réside là – plaident pour que son corps enseignant soit celui du primaire (avec son primaire supérieur). Ceux qui pensent que la continuité du secondaire doit l’emporter (de la 6e à la terminale) plaident pour qu’il soit l’apanage de professeurs très spécialisés (comme dans les hautes classes) dont le service se fonde sur l’excellence disciplinaire et dont la distinction implique de traiter en tâches subalternes les préoccupations pédagogiques et éducatives. Cette attitude vient de très loin, et elle est donc tenace. L’historien Ernest Lavisse, l’un des lieutenants de Jules Ferry, déplorait déjà au début du XXe siècle le manque de formation et de souci pédagogiques des professeurs du secondaire et qu’ils aient tendance (parce qu’ils le pouvaient) à se décharger de l’éducatif et de
l’encadrement des études sur les maîtres d’externat et d’internat.

Quelles ont été les tentatives pour faire évoluer ce texte ? Pourquoi ont-elles échoué ?
Les tenants du secondaire l’ont emporté parce qu’il y a longtemps eu une valse-hésitation sur le rôle du collège : achèvement de la scolarité obligatoire, ou préparation à des études longues ? Une certaine conception dominante de la démocratisation (à savoir l’élitisme républicain) aidant, les partisans d’un secondaire d’élite aux enseignements très spécialisés l’ont emporté jusqu’alors. Il y a eu quelques épisodes cruciaux. Le refus d’une des dispositions cardinales du rapport Legrand en 1983, qui proposait de définir le service de tous les enseignants de collège (quelle que soit leur catégorie) sur la base de seize heures de cours, 3 heures de tutorat, trois heures de
concertation. Ou, de façon plus générale, en 1988-1989, la non-prise en considération, par le ministre de l’Éducation nationale Lionel Jospin des propositions présentées par la
Fédération de l’Éducation nationale de « travailler autrement » en échange d’une « revalorisation ». Et son abandon définitif, sous la pression notamment du Snes, de l’idée d’un corps spécifique d’enseignants pour le collège
unique (l’arrêt du recrutement des PEGC ayant déjà été décidé par son prédécesseur de droite, René Monory).

L’arrêté du 19 décembre 2006, fondé sur un rapport du Haut conseil à l’éducation qui définit le métier d’enseignant à partir de dix compétences professionnelles, ou encore la volonté de définir un socle commun de connaissances et de compétences, dessinent de nouveaux contours du métier. Selon vous, quelles évolutions statutaires pourraient permettre de prendre en compte ces prescriptions ?
Peut-être devrait-on pour cela s’inspirer (à droite ou à gauche) de la fin du discours de clôture du ministre de l’Éducation nationale très gaullien Alain Peyrefitte au colloque d’Amiens, deux mois avant mai 1968. Après avoir souligné que la « relation entre l’école et la société traverse une crise véritable, que l’on peut mesurer à la méfiance voire à l’agressivité de la jeunesse », il conclut qu’il faut « des maîtres qui soient moins les serviteurs d’une discipline que les serviteurs des enfants ; des maîtres qui sachent, certes, de quoi ils parlent, mais aussi et surtout à qui ils parlent ».

Propos recueillis par Patrice Bride


Claude Lelièvre, historien de l’éducation, a publié, entre autres, Les politiques scolaires mises en examen,ESF éditeur, 2004 (nouvelle édition). Recension parue dans notre numéro 432, avril 2005.