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À la recherche de nouveaux paradigmes éducatifs
Emily Mignanelli, fondatrice de l’école libertaire Serendipità de Osimo en Italie, a parcouru pendant un an deux pays, l’Inde et les États-Unis. Son objectif était de comprendre si le phénomène, indéniablement en marche aux quatre coins du monde, de la remise en cause des modèles éducatifs conventionnels, était global ou relevait d’expérimentations localisées et déconnectées l’une de l’autre.
Le silence comme règle d’or
En Inde, Emily[[Emily Mignanelli, Hundreds of Buddhas – appunti pedagogici semiseri di un viaggio attorno al mondo alla ricerca di nuovi paradigmi educativi, StreetLib Write, 2017.]] a visité des écoles fréquentées en majorité par des Occidentaux, et des écoles modestes destinées aux enfants indiens. La capacité d’émerveillement des enfants indiens est un trait qui revient régulièrement dans son ouvrage. Lors d’une discussion informelle, elle rebondissait sur ce point en disant que les enfants occidentaux sont plus difficiles à surprendre, ce qu’elle lie aux excès d’une société qui privilégie l’avoir au détriment de l’être.
Une des meilleures écoles qu’elle ait vues ces dernières années est Shibumi. Dans cette école qui accueille des enfants indiens de 5 à 17 ans, le yoga est plus qu’une pratique, c’est une véritable philosophie de vie. C’est ce qui fait dire à Emily qu’à Shibumi, la qualité dépend de nuances et non de changements révolutionnaires. Le silence y est une règle d’or, observée sans difficulté plusieurs fois par jour. Il permet la concentration, la réflexion, et offre la possibilité de prendre du recul sur les évènements du quotidien. Cela n’y empêche pas les nombreuses discussions entre parents, éducateurs et enfants.
Ainsi, chaque jour, le respect et la confiance se développent grâce à une expression des points de vue strictement assertive et à l’empathie qui nait du partage des sentiments. Les jeunes sont libres de commencer à étudier à n’importe quel âge. Ni devoirs à la maison ni évaluations ne font partie du quotidien. La mécanique s’étudie sur une vieille voiture récupérée et cette activité vaut autant que le tricot, la cuisine, le théâtre, le jeu d’échecs ou encore le cricket. Bien entendu, cette observation doit rester strictement liée à son contexte indien, mais cela n’a pas empêché Emily de trouver de quoi alimenter ses propres pratiques et notamment en remplaçant par des tapis les tables et les chaises, comme à Shibumi.
l’autarcie au cœur de la jungle
Interrogée sur la question de savoir quelle avait été l’expérience la plus marquante de son voyage, Emily a choisi de parler de Sarang Hills, une école située dans la jungle et considérée comme radicale en raison de sa structure autarcique et de son refus total de faire des compromis avec les institutions. On vient de loin pour vivre dans cette école, qui fonctionne comme un internat. Les raisons en sont, selon elle, les suivantes : méthode démocratique de vie communautaire ; éducation naturelle, c’est-à-dire respect des rythmes de développement ; liberté d’étudier ; parité stricte entre les sexes (l’enjeu est particulièrement fort dans une société patriarcale comme celle de l’Inde) ; éducation à la vie quotidienne : à Sarang Hill, on cuisine, on nettoie, on construit, on récolte, on creuse, on joue de la musique ; milieu naturel préservé ; frais d’inscription modérés[[Librement traduit de l’italien au français.]].
Pendant la journée, si les enfants restent à l’intérieur des édifices, ils sont invités à sortir pour courir, escalader, explorer. S’ils veulent faire des activités sédentaires, on leur propose de le faire le soir, lorsque les ténèbres ont envahi la nature environnante.
Dans cette école, « le savoir primaire est le savoir-faire et ainsi tous savent cuisiner, construire, compter, planter, reconnaitre les plantes et les animaux, accueillir des hôtes ». Rien n’est donné aux enfants car l’école vit en toute sobriété, en phase avec ce qu’a toujours été le mode de vie du peuple indien, avant le consumérisme galopant des dernières décennies.
Une école connectée
À l’opposé de cette frugalité, Diablo Valley School est une école Sudbury située en Californie. Emily insiste sur le fait que son expérience ne reflète en rien la réalité des écoles Sudbury dans leur ensemble. En 1968 est créée la Sudbury Valley School dans le Massachusetts. Aujourd’hui, il existe plusieurs dizaines d’écoles de ce genre dans le monde. Les jeunes y sont libres de déterminer leurs propres objectifs, et l’on confère une même légitimité à toutes les entreprises et tous les domaines. Ils se consacrent à ce qui les intéresse sans contrainte de programme ni de temps. En connexion avec leur nature et leur aspiration profonde à chaque instant, ils jouent, explorent et pratiquent leurs centres d’intérêt.
Diablo Valley School est située dans la Silicon Valley et la majeure partie des parents travaillent dans le domaine de l’informatique. Dans cette école, chaque enfant a au moins une tablette, un ordinateur portable et un smartphone qu’il est libre d’utiliser comme bon lui semble puisque dans les écoles Sudbury, les enfants sont totalement libres vis-à-vis de leurs pratiques et de leur apprentissage.
L’école est ouverte de 9 h à 17 h, mais chacun est libre d’entrer et de sortir quand il le souhaite, la seule règle étant que l’école soit fréquentée au moins quatre heures par jour et que le registre indiquant l’heure d’entrée et l’heure de sortie soit rempli. Les enfants sont libres de sortir seuls pour faire un tour, à condition d’écrire où ils sont allés. Chacun mange à l’heure qu’il veut, ce qu’il veut ! L’école est composée de dix salles : l’atelier, la salle du silence, la salle informatique, la salle des jeux vidéos, le laboratoire de chimie et d’électronique, la cuisine, le bureau, la salle à manger, la salle des casiers, une bibliothèque où se trouvent un piano et des jeux pour les plus petits. Lors de son observation, Emily a constaté que presque tous les garçons se trouvaient dans la salle des jeux vidéos, certains s’adonnant toute la journée à des jeux plus ou moins violents sans s’arrêter une seule minute. Pendant ce temps, d’autres improvisent une salle de danse en regardant des clips musicaux et en imitant les chorégraphies.
Les adultes ne sont que peu sollicités par les enfants, bien que leur présence soit manifeste. La réunion du comité d’arbitrage est un moment important de la journée. Il est composé de quatre enfants, deux grands et un adulte qui examinent chaque jour les plaintes déposées par l’intermédiaire d’un formulaire. Les personnes concernées par la plainte sont appelées à témoigner. D’autres assemblées, chacune sur un thème différent, ont lieu régulièrement en plus petit comité.
Au milieu de son séjour, Emily s’interroge : « La sensation qui règne ici est celle d’un fort climat de respect entre tous, de bienêtre, de capacités émotives et communicatives, cultivées et nourries jour après jour. Les seules notes négatives concernent l’invasion de la technologie et l’alimentation dérégulée et malsaine qui est permise. Si nos écoles se présentent comme des alternatives au système dominant, à la frénésie et au délire social ambiants, pourquoi le permettre dans nos écoles mêmes ? Pourquoi ne pas mettre la télévision dans un placard plutôt que le laboratoire de chimie ? Quel est le motif pédagogique soutenant l’usage de tous ces jeux vidéos violents ? » Lorsqu’elle exprima ses interrogations aux éducateurs au sujet de la présence massive d’outils technologiques, ils lui répondirent que ce que pensent les adultes n’a pas d’importance, le fait est que les enfants ont exprimé une demande, puis voté et décidé ensemble. Au contraire, selon eux, la technologie est le nouveau langage de notre époque, la communication par excellence du XXIe siècle. Les enfants incarnent le futur et donc leur désir n’est en réalité qu’une manifestation de nouveaux besoins, qu’il convient d’écouter à défaut de les comprendre.
Réconcilier l’école et la liberté ?
Malgré la diversité des réponses pédagogiques apportées, on trouve un moteur commun à toutes ces expériences, la nécessité de sortir du cadre préconçu de l’école comme antichambre du travail. Ces expériences ne sont en rien détachées de la réalité, elles dérangent, car elles renversent la pyramide des valeurs à laquelle nous sommes habitués. La question se pose dans l’option pédagogique : l’enfant doit-il être totalement laissé libre dans ses choix ?
Emily conclut : « Dans ces écoles, le droit à la dignité, au respect, à l’écoute, à la confiance et à l’acceptation devrait être égal pour tous, mais on ne peut nier une asymétrie de base. Les enfants sont des enfants, les adultes sont des adultes et parfois, il me semble que la division est floue. Au lieu de soutenir l’enfant, on le charge d’un poids excessif qui est de tracer des limites, elles sont au contraire indispensables à l’enfant aux prises avec un monde qui n’en a pas. Les frontières doivent bien entendu pouvoir s’ouvrir, mais elles doivent être stables et donner le sentiment de sécurité. »
Le paradoxe des écoles démocratiques est qu’elles reproduisent le modèle qu’elles critiquent en maintenant l’asymétrie entre des sujets apprenants (les enfants) et des sujets savants (les adultes). Pourtant, en refusant l’imposition et en donnant carte blanche aux enfants, elles se déchargent de la responsabilité que le sujet savant porte intrinsèquement en lui vis-à-vis de celui qu’il devrait guider. La seule manière de résoudre le paradoxe serait de rejeter purement et simplement le concept d’école, au profit d’une école de la vie où l’enfant apprendrait au jour le jour au contact de ses pairs et de ses ainés. L’école de Sarang Hills est certainement celle qui s’approche le plus de ce modèle, puisque enfants et adultes vivent ensemble en permanence et que l’école est leur lieu de vie.
Alexandra Castelletti
professeure d’histoire-géographie
Ces écoles autres
Shibumi
Inspiré des enseignements de Jiddu Krishnamurti, Shibumi est née en 2008 à Bangalore. Jiddu Krishnamurti (1895-1986) était une figure illustre de la théosophie, sa thèse principale reposait sur l’idée qu’une transformation de l’humain ne peut se faire qu’en se libérant de toute autorité.
Site internet : http://www.shibumi.org.in/
Sarang Hills
L’école est née en 1982 dans le Kerala, du travail d’un couple d’enseignants déçus du système scolaire classique et décidés à proposer une alternative. « Mettre la connaissance dans les mains de personnes dépourvues de sens éthique est dangereux. Une éducation complète à notre sens comprend trois facteurs importants : l’éthique, la connaissance et la compréhension », annoncent les fondateurs. Sarang Hills est une école démocratique, c’est-à-dire que les enfants ont le droit de faire tout ce qu’ils veulent, à la condition de ne pas déranger les autres. L’idée est de ne rien imposer, il n’y a pas de classe, pas de niveau, pas de hiérarchie entre les apprentissages, simplement des activités ou des projets suggérés par les enfants. L’école est située en pleine jungle et la communauté des adultes et des enfants doit tous les jours s’occuper des tâches inhérentes à la vie en autarcie et en quasi totale-autonomie.
Site internet : http://www.saranghills.in/
Diablo Valley School
Diablo Valley School est une école Sudbury fondée en 1997 en Californie et destinée à des jeunes de 5 à 19 ans. Dans les établissements Sudbury, les élèves sont eux-mêmes responsables de leurs apprentissages. Les principes de la démocratie directe y sont la règle : les jeunes et les adultes sont égaux et prennent ensemble les décisions qui concernent le groupe. Les élèves décident individuellement de ce qu’ils font de leur temps, sans la pression d’un programme éducatif prédéterminé ou d’examens. C’est une forme d’éducation démocratique.
Site internet : http://www.diablovalleyschool.org/
Enseignante d’histoire-géographie à la recherche d’autres enseignants, parents, chercheurs… intéressés par la constitution d’un groupe de réflexion autour de la création d’un établissement secondaire public expérimental dans la zone d’Alès-Nimes. Merci de me contacter à l’adresse suivante : castelletti.alexandra@gmail.com