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En STS et en IUT, les étudiants sont différents


Les instituts universitaires de technologie (IUT) ont plus de cinquante ans : leur création date de 1966, à un moment où la première vague de massification touchait l’enseignement supérieur. Les premières sections de technicien supérieur (STS) remontent, elles, à 1959. Les deux formations visent des études de niveau postbac en deux ans, fortement professionnalisées, débouchant sur l’emploi. Le BTS (brevet de technicien supérieur) et le DUT (diplôme universitaire de technologie) appartiennent donc à une même génération de diplômes, chargés de pourvoir le marché du travail en cadres intermédiaires, tout en maintenant une partie des nouveaux étudiants à l’écart des cycles longs.

Ces formations relèvent de l’enseignement supérieur dit « sélectif », du fait que le recrutement des étudiants est fortement conditionné par le parcours scolaire antérieur. Mais la comparaison s’arrête là.

Au départ, ces filières voisines n’avaient pas vocation à perdurer, les IUT devant supplanter les STS. Rien ne s’est passé comme la politique publique le prévoyait : les débuts des IUT, dans un contexte social mouvementé, ont été décevants (peu d’inscrits). Pour ne pas contrarier davantage leur installation dans le paysage universitaire, les STS se sont attachées à décaler leur recrutement à la fois spatialement et scolairement : les ouvertures de classes se sont multipliées dans les lycées de villes moyennes, éloignés des départements d’IUT, et le baccalauréat de technicien, créé à postériori en 1968, a fourni progressivement les effectifs nécessaires à cet essor des STS.

Les uns ont donc affirmé leur filiation à l’enseignement technique secondaire, alors que les autres ont revendiqué un positionnement universitaire. C’est ce pas de côté des STS, pour éviter la concurrence avec les IUT, qui a finalement assuré leur pérennité, tout en les conduisant à se marginaliser. Cet « autre enseignement supérieur », pour reprendre l’expression de Sophie Orange, aujourd’hui composé de quelque 120 spécialités couvrant à peu près tous les domaines, s’est fortement développé dès la fin des années 1970, en lien avec les demandes locales de compétences.

DU DUT AU BUT

La création des DUT résultait à l’origine d’un processus de décision très différent, centralisé, associant le ministère de l’Éducation nationale et les IUT, organisés peu à peu en commissions pédagogiques nationales. Il faut attendre cependant les années 1990, avec le Plan université 2000, pour voir les IUT s’implanter à distance des grands centres universitaires. Aujourd’hui avec 114 IUT, vingt-quatre spécialités de DUT (quinze dans le secteur de la production et neuf dans celui des services), ces formations, toujours arrimées aux universités, accueillent deux fois moins d’étudiants que les STS (120 600 contre 262 500 à la rentrée 2019).

Cet ancrage universitaire des IUT s’est vu renforcer dès 1999 avec le processus de Bologne, conduisant les IUT à héberger deux tiers des licences professionnelles ouvertes progressivement. La loi LRU de 2007 est un jalon supplémentaire, mettant fin au statut dérogatoire des IUT (leur permettant de négocier contrat et moyens directement avec le ministère) et les positionnant comme des composantes à part entière de l’université. En point d’orgue, l’intégration du DUT au BUT (Bachelor universitaire de technologie) dès la rentrée 2021 vient apporter une réponse à une demande ancienne des IUT de pouvoir délivrer un diplôme de premier cycle aligné sur la norme dominante (180 crédits, niveau licence).

DES AMBITIONS « RAISONNABLES »
Ce nouveau BUT va-t-il modifier la population étudiante recrutée dès la première année ? Possible. Ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que BTS et DUT jouent un même rôle de modération des ambitions en recrutant des bacheliers qui ne vont pas oser, pour des raisons diverses, opter pour une formation sélective à forte réputation ni même une licence universitaire.

Pour autant, les candidats à un IUT ne sont pas les candidats à une STS, ces derniers évoluant dans un espace de projection relativement étanche au sein duquel ils opèrent leurs vœux, tout en ayant une connaissance floue des autres segments de l’enseignement supérieur. L’obtention du BTS est alors envisagée comme le point culminant d’un parcours scolaire potentiellement difficile, et elle est vécue comme une récompense. À l’inverse, les candidats à un IUT, mieux dotés socialement et scolairement, ont de fortes incertitudes sur leur projet de formation et émettent des vœux plus dispersés, combinant filières dominantes (classes préparatoires, etc.), licences universitaires et STS. Le choix de l’IUT est alors assimilé à une option « raisonnable », pour sécuriser l’entrée dans l’enseignement supérieur, avant de poursuivre massivement leurs études (cas de 85 à 92 % des diplômés de DUT selon les spécialités). Les étudiants qui adoptent cette stratégie de contournement du premier cycle universitaire ont parfaitement conscience de s’inscrire dans une filière hiérarchiquement dominée et vivent cette expérience comme un déclassement. Est-ce un paradoxe ?

Laure Endrizzi
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)


Pour en savoir plus :
Hors série n° 6 des Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 2018, « Les IUT : cinquante ans de formation et de parcours »

Stéphane Beaud et Matthias Millet (dir.), L’université pour quoi faire ?, PUF, 2021. Voir la présentation ici : https://laviedesidees.fr/L-universite-pour-quoi-faire.html