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Vivre les droits de l’enfant à l’école, ça s’apprend ensemble

-393.jpgLes accompagnatrices d’Unicef Belgique et deux chercheuses accompagnent les équipes de deux écoles primaires belges et de deux hautes écoles pédagogiques francophone et néerlandophone, dans le but de faire vivre les droits de l’enfant à l’école. Présentation d’une méthode pour accompagner le changement dans les établissements.

Qu’ont en commun un projet sur le bienêtre à l’école, un autre sur la collaboration avec les parents, deux autres sur la prise en compte des représentations qu’ont les futurs enseignants des inégalités scolaires et leur formation aux méthodes participatives en classe ? L’intention de faire vivre les droits de l’enfant à l’école. L’approche éducative développée par Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) Belgique part des préoccupations concrètes des équipes pédagogiques, en identifiant des thèmes qui rassemblent ses membres et qui motivent leur engagement dans un projet commun. Ainsi, quatre projets sont portés par des équipes d’enseignants de deux écoles primaires belges (francophone et flamande respectivement) et de deux hautes écoles pédagogiques francophone et néerlandophone.

Ces projets, accompagnés par des collaboratrices d’Unicef Belgique et par les chercheuses, visent avant tout à lutter contre les ségrégations scolaires dans le système belge. Celles-ci en effet sont fortement ressenties par les élèves, comme l’explique cet adolescent dans le rapport What Do You Think publié en 2012 : « Il y a des écoles où… Si tu te trouves dans cette école, il n’y a jamais moyen. Déjà tu as le niveau des professeurs, si le niveau des professeurs est mauvais, laisse tomber. C’est impossible que tu puisses réussir. Tu apprends ce qu’il ne faudrait pas. Ensuite, s’il y a des élèves de mauvaise fréquentation… voilà, quoi, il faut changer d’école. »

Cependant, pour l’Unicef, si la participation des élèves et l’enseignement des droits de l’enfant à l’école comme contenu scolaire sont indispensables pour réduire les inégalités scolaires, cela ne suffit pas. Il faut aussi et surtout que les enseignants s’engagent dans une réflexion sur la justice sociale et sur les fondements et l’utilité d’une approche éducative « droits de l’enfant » comme moyen pour agir sur ces inégalités et créer les conditions pour que chaque enfant se réalise et participe à une société juste.

Penser l’école comme un environnement qui rend capable

En 2018, un atelier d’une journée a été animé avec chaque école pour définir une « théorie du changement » qui contribue à anticiper et créer les conditions pour que chaque enfant puisse développer des aptitudes et contribuer à l’enrichissement d’opportunités pour exercer ses droits.

Concrètement, les équipes ont précisé les changements souhaités pour les élèves, en lien avec les thèmes choisis : favoriser le bienêtre des élèves et des enseignants, réduire les discriminations dans les pratiques enseignantes, collaborer avec les parents d’élèves, intégrer les inégalités dans la formation des enseignants, assurer effectivement la participation des élèves et des étudiants. Pour chaque thème, les enseignants ont répondu à quatre questions : « Quelles sont les connaissances et compétences dont disposent les élèves ou les étudiants pour construire une meilleure compréhension du thème choisi ? Quelles sont les émotions qu’ils associent au respect ou non-respect des droits relatifs au thème choisi ? Quelles sont les compétences sociales nécessaires pour organiser le respect des droits visés par le projet au sein de la communauté scolaire (incluant les parents) ? Comment chaque élève ou étudiant pourra-t-il garantir, par ses actions, que chacun respecte les droits visés par le thème choisi ? »

Chaque équipe a ensuite développé une « théorie du changement » (voir exemple), qui anticipe un parcours basé sur une suite d’actions avec les effets associés. Cet exercice a permis aux acteurs d’expliciter et de discuter les actions qu’ils pensaient pertinentes pour atteindre leurs objectifs ; de faire des liens entre ces actions (à quel point une action va faciliter ou restreindre une autre) ; d’identifier les acteurs à qui sont attribuées ces actions (que ce soit la direction, les enseignants, les élèves ou les parents) ; d’inventorier les ressources pouvant contribuer aux différentes actions, ou encore les obstacles qui pourraient se présenter et les moyens potentiels de les surmonter.

Théorie du changement de l’école (pdf)

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En 2019, une journée d’atelier collectif a été organisée pour valoriser l’engagement des équipes, échanger et réagir sur les différentes théories du changement. D’autres ateliers (par projet) soutenus par Unicef Belgique et les chercheuses se focaliseront sur la mise en œuvre du suivi-évaluation des actions, en particulier l’identification d’indicateurs de progrès (ce qu’on pense observer, ce qu’on aimerait observer, ce qu’on rêve d’observer) et d’outils de collecte relatifs. Ceci afin de nourrir la réflexion et la discussion entre différents acteurs sur les points de vigilance, l’ajustement des actions et l’opérationnalisation de la théorie du changement pour arriver aux objectifs souhaités. En effet, si la « théorie du changement » a été définie par chaque équipe, elle doit encore être mise à l’épreuve et adaptée aux exigences du terrain dans un processus itératif et collaboratif.

Ainsi, elle ne constitue pas la solution unique pour arriver aux objectifs, mais plutôt un itinéraire prévisionnel autour duquel les différents collaborateurs pourront apprendre des uns des autres en échangeant sur le chemin parcouru, les obstacles rencontrés et les actions à mettre en œuvre pour les surmonter, sans perdre de vue leurs objectifs et leur vision pour chaque enfant. La mobilisation des moments de concertation existants (formations, etc.) est la condition sine qua non pour construire cette responsabilité collective, mais elle n’est pas la plus simple à mettre en œuvre, faute de disponibilité des équipes. Elle reste pourtant le point de départ pour que les équipes éducatives travaillent ensemble de manière structurée, rigoureuse et réflexive, afin que chaque enfant se réalise et participe à une société juste, et ce, dès l’école.

Émilie Carosin
Chercheuse à l’Institut d’administration scolaire, université de Mons, Belgique
Goedroen Juchtmans
chercheuse à HIVA à la Katholieke Universiteit te Leuven, Belgique
Marie D’Haese, Anne-Catherine Rasson et Anneleen Van Kelekom
Education officer à Unicef Belgique