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Les conseillers d’orientation. Un métier impossible

Les conseillers d’orientation (CO) ont traversé le vingtième siècle avant de disparaître en tant que tels. Ils ont dû lutter lors de chacune des transformations du système éducatif français. Lutter pour exister en tant que conseillers et plus seulement « orienteurs ». Lutter pour se faire reconnaître comme psychologues avec toutes les prérogatives liées au titre créé en 1985. Mais leur victoire compense-t-elle le très faible intérêt de l’Éducation nationale (EN) pour l’orientation, ce « passager clandestin » d’un bateau surchargé d’heures d’enseignement et de notes avec des décisions qui ne prennent que peu en compte le projet personnel de l’élève ? Se solde-t-elle par une « impossible professionnalisation du métier de conseiller d’orientation, au sens d’échec relatif à imposer leur autorité » (p. 24) ? Telle est la thèse soutenue dans ce livre qui utilise la sociologie historique et celle du groupe professionnel pour l’étayer.

Les chapitres 1 et 2 (1944-1968) sont consacrés au rattachement des conseillers d’orientation professionnelle (COP) au ministère de l’EN et au statut de fonctionnaires obtenu en 1956. En 1959, l’ajout de « scolaire » en fait des COSP. C’est alors que débute la querelle entre SNES et SNI qui aboutit à la suprématie « des savoirs jugés fondamentaux » (p. 40). La profession vit une tension permanente entre intervention individuelle et collective, conflits syndicaux et associatifs, psychologie expérimentale et centrée sur la relation. La division entre lycées, CES et CEG « préserve, de fait, l’enseignement secondaire classique de « l’envahissement » des enfants des classes populaires » (p. 52). Le ministre Peyrefitte confie ce « sale boulot » à l’orientation : « Il faut que nous fassions l’orientation. Sinon nous serons débordés : il y a déjà pléthore dans l’enseignement classique » (1967, cité p. 60). Les conseillers doivent presque implorer pour être admis dans les collèges, ce qui est vécu par l’une d’entre eux comme un « aspect humiliant » (p. 74). L’information, si importante, n’est que peu revendiquée par les COSP si ce n’est par ceux du SGEN qui voient aussi une dimension éducative dans leurs interventions. L’association (ACOF) se transforme en lieu de proposition d’une nouvelle définition du métier, ce qui provoque la démission de responsables SNES liés aux enseignants du second degré.

Une volonté de rénovation pédagogique contrebalancée par des reflux conservateurs caractérise la configuration qui court de 1968 à 1981 (chapitres 3 et 4). Les « événements » de 1968 balaient la conception protectionniste de l’orientation. Edgar Faure lance une commission dont les travaux aboutissent à la création d’un office d’information et d’orientation pédagogique. Mais l’élection de Georges Pompidou et la nomination d’Olivier Guichard aboutissent au retour de l’élitisme et les projets de décrets sur l’orientation et la formation des COSP sont ajournés. On pourrait même ne plus parler d’orientation puisque « l’adaptation des élèves constitue la finalité de l’orientation scolaire » (p. 105-106) et les conseillers en sont réduits à « aider les parents et les élèves » (BO du 30 août 1973, p. 2376, cité p. 106). Le nouveau statut des conseillers de 1972 ne résout rien, pas plus que la réforme Haby qui maintient une filière d’éjection du système avec des classes préprofessionnelles et préparatoires à l’apprentissage. L’orientation est confinée dans la lutte contre les sorties sans qualification et multiplie les actions d’information sur le travail et l’emploi. Cette réduction de leur mission incite de nombreux conseillers à pratiquer l’activation du développement vocationnel personnel (ADVP) et à s’inspirer de travaux nord-américains. Le recrutement passe au niveau de la maîtrise et de la licence pour la majorité d’entre eux et leur effectif fait plus que doubler entre 1968 et 1979. Mais les luttes entre représentations divergentes du métier aboutissent en 1980 à un obscurcissement des représentations d’un métier mal compris par des enseignants peu en contact avec lui.

1981 représente un espoir pour les tenants de l’égalité des chances, même si l’expression est discutable. Or, pour les conseillers, il est urgent d’obtenir enfin le titre de psychologue (1991) quitte à négliger un nouveau mode d’intervention, l’orientation-conseil promue par la loi d’orientation de 1989. L’EN voudrait que le conseiller devienne « un médiateur favorisant le dialogue entre l’élève, sa famille, les enseignants et le chef d’établissement » (p. 181). Mais la lutte pour le titre mobilise tellement les personnes et les groupes que cette belle utopie se heurte au mur du travail collectif dans les établissements scolaires, ce que reconnaît Micheline Bongibault (citée p. 214) : « […] j’ai levé mon petit panneau à la Sorbonne où il y avait le psi. Mais on perdait plus qu’on ne gagnait ». L’épilogue du livre confirme la réorientation des psychologues de l’EN vers des missions de « bien-être et de santé » à l’école (p. 221). L’orientation est-elle encore une chance pour toutes et tous d’élaborer puis de réaliser leurs projets personnels ? Assistons-nous au retour du refoulé qui consiste « à ajuster les aspirations des élèves à leurs résultats scolaires » (p. 232) ?

Parfois déboussolant par ses allers et retours chronologiques imposés par la complexité de l’étude d’un groupe professionnel et les aléas politiques, ce livre n’en est pas moins un guide précieux pour comprendre un échec persistant. En effet, il établit clairement que la mobilisation pour une reconnaissance institutionnelle peut s’opposer à une réflexion sur le métier et la compétence collective qui consiste à accompagner les personnes et les équipes sur la voie incertaine mais proprement humaine du projet personnel et de ses trois déclinaisons : apprendre, s’orienter et devenir citoyen.ne. On est donc non seulement en présence d’un métier impossible mais aussi d’un rendez-vous manqué.
 
Richard Etienne