Les pieds au mur

Ça fumait grave ce matin-là dans la halle des sports ! Pas peu fier, Bobo, notre professeur de gym préféré, appelé affectueusement ainsi en référence à l’acronyme de son nom. Il avait été désigné par les instances départementales pour faire partie du jury aux épreuves d’EPS du CAP.

Le candidat devait présenter un enchainement de gymnastique au sol, mais manifestement, il avait oublié de se préparer à l’exercice, croyant peut-être qu’à coups de dispenses, on aurait fini par oublier de le convoquer à l’examen. Bobo était embêté car, bien que la gymnastique au CAP de boucher-charcutier jouisse, comme chacun sait, d’un coefficient ridicule, il ne voulait pas non plus risquer d’entraver l’entrée de ce jeune dans une profession déjà lourdement touchée par la crise des vocations.

Bobo lui demanda alors, en guise de compensation, de présenter quelques petits éléments techniques isolés. Il lui suggéra l’ATR (appui tendu renversé), habileté emblématique de la gymnastique scolaire et indicateur incontesté de compétence culturelle.

« La théière ? », s’exclama le candidat, surpris qu’on puisse évoquer en ces lieux un ustensile auquel il était très loin de penser. Manifestement, un effort de formulation s’imposait.

Sans s’énerver, Bobo précisa sa question : « L’équilibre, vous savez faire l’équilibre ? » La demande n’eut pour seul effet que de débloquer la mandibule inférieure du pauvre garçon, trahissant une fois de plus son ignorance dans ce domaine. Bobo l’indulgent sourit. Il savait, lui, par expérience, qu’il était sur la bonne voie, ce n’était qu’un problème de vocabulaire.

« Les pieds au mur, je suis sûr que les pieds au mur ça vous rappelle quelque chose. »

Bobo avait vu juste. Les yeux du petit boucher s’illuminèrent.

« Oui, les pieds au mur, ça je connais ! »

Il piqua alors une accélération vers le fond du gymnase. En plein élan, arrivé à deux mètres du mur, il propulsa violemment ses deux pieds joints sur la cloison de plâtre, qu’il perfora tout net !