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Vade-mecum avant de se lancer

Quelques conseils pratiques, proposés par un praticien engagé depuis plusieurs années dans une démarche d’apprentissage avec les compétences.

Choisir l’évaluation par compétences, c’est accepter d’affronter d’emblée des écueils et des difficultés que l’on retrouve dans la plupart des expériences relatées dans ce dossier. Essayons un bilan de ce qui paraît raisonnable pour s’engager durablement dans cette approche.

Suspendre le débat

Pour commencer il faut suspendre le débat de fond et considérer que l’évaluation par compétences n’est pas une méthode pédagogique, et que c’est seulement un moyen diagnostique (mais parfois aussi sommatif) permettant de travailler de façon formalisée à faire développer des compétences par les élèves. La validation, elle, est uniquement binaire. Elle consiste à indiquer, particulièrement en fin de cycle, si l’élève a acquis ou non les compétences et items d’un livret de référence, par exemple le livret personnel de compétences.

Éviter l’inflation du nombre de compétences

La stratégie à suivre pour élaborer la liste des compétences travaillées dans l’année est sensiblement différente selon que l’on doit ou non valider le socle commun Si vous ne devez pas valider le socle commun — au lycée par exemple -, la liberté est plus grande. L’une des tentations est alors de vouloir travailler sur des listes infinies de compétences, et donc de tomber dans « l’usine à cases ». Le défi consiste à trouver un équilibre entre un nombre suffisant de compétences pour balayer l’essentiel des activités pédagogiques de l’année, et un nombre limité pour ne pas crouler sous le poids de l’évaluation forcenée. Pour inclure une compétence dans une grille, elle doit respecter deux critères : son acquisition doit être indispensable pour tous les élèves — en d’autres mots, vous mettrez obligatoirement en place des stratégies de remédiation jusqu’à ce que tous les élèves aient acquis cette compétence -, et vous devez l’aborder plusieurs fois dans l’année. Dans le cas contraire, inutile d’allonger votre grille. Le nombre de compétences dépend du temps consacré à leur acquisition Si vous enseignez plus de trois heures par semaine dans une classe, une grille d’une vingtaine de compétences est déjà bien fournie ; au-delà, vous aurez du mal à réellement utiliser les résultats des évaluations. Si vous voyez les élèves une heure par semaine, une liste de cinq ou six compétences par an est déjà une bonne chose.

Utiliser les items du socle commun

Si vous enseignez en primaire ou au collège, mon conseil est de ne pas créer de compétences spécifiques hors socle, ou alors de façon très ponctuelle. Certes, le livret personnel de compétences est loin d’être parfait : il mélange allègrement compétences, savoirs, savoir-faire, savoir-être. Mais travailler dans l’année sur des compétences différentes de celles qui devront être validées en fin de palier est un double travail, la plupart du temps voué à l’échec à court terme.

En primaire, les choses sont simples : il suffit de prendre le livret de son palier (palier 1 jusqu’au CE1, palier 2 jusqu’au CM2), en le simplifiant éventuellement en début de cycle. Au collège, je conseille d’élaborer, au niveau de l’établissement, un tableau de couverture du socle1. Il s’agit d’un tableau avec en lignes les compétences du livret personnel et en colonnes les différents cours ou moments éducatifs (la vie scolaire, le FSE ont par exemple toute leur place dans ce tableau). Après concertation, on coche les compétences qui seront validées en fin de 3e. Le principe à respecter serait que chaque compétence (ou « item » dans la terminologie du livret) soit assurée dans le cadre d’un à trois cours ou moment éducatif. Si l’on peut imaginer qu’en fonction des choix pédagogiques, quelques items ne soient pas couverts, il ne faudrait pas dépasser trois adultes par item au risque de rendre la procédure de validation techniquement impossible.

Aller vers la grille unique

Pour simplifier encore plus, je conseille dès que c’est possible d’adopter une grille de compétences disciplinaire unique pour tout le cycle (tout le collège ou tout le lycée par exemple). Cependant, le niveau d’exigence varie d’une année sur l’autre. Si vous créez des « sous-items » pour chaque année, vous voilà repartis dans « l’usine à cases ». La solution serait de décliner chaque compétence en fonction du niveau. Par exemple, dans la culture humaniste (compétence 5 du palier 3), l’item « Lire et employer différents langages » est essentiel en histoire-géographie. Mais on n’a pas les mêmes exigences entre le début de la 6e et la veille du brevet des collèges. Si l’on décline cet item, on peut indiquer, en 6e, « Je réponds à une question simple sur un document simple » pour finir en 3e par « Je peux comparer plusieurs documents et commencer à en extraire l’implicite ».

Décliner tous les items est un énorme travail, il ne peut se faire que progressivement et, si possible, en équipe. Mais il a aussi comme avantages non négligeables de montrer les différences et points communs entre les disciplines pour le même item, et de clarifier, même pour nous, le niveau d’exigence dans les différentes classes.

Adopter une échelle à quatre barreaux

La tendance, dans un premier temps, est à adopter une taxonomie à trois niveaux (par exemple : vert, orange et rouge). Cela représente cependant un inconvénient majeur : la plupart des élèves se retrouvent en orange et ont du mal à en sortir. C’est pourquoi, je conseille de commencer directement avec quatre niveaux : rouge, compétence non acquise (le résultat de l’exercice est complètement faux) ; orange, compétence en cours d’acquisition (dès que tout n’est pas faux) ; vert clair, compétence presque acquise (quand l’élève atteint un niveau raisonnable pour cette compétence et pour l’année scolaire) ; vert foncé, compétence acquise (quand l’élève a parfaitement réussi l’exercice). Cette taxonomie a l’avantage de distinguer du premier coup d’œil les compétences à retravailler impérativement (rouge et orange) de celles pour lesquelles un niveau au moins raisonnable est atteint (vert clair et vert foncé).

Évaluer très peu de compétences à la fois

Le principe est simple : n’évaluer que ce dont on se sert réellement. S’en tenir aux compétences qui seront travaillées (évaluation diagnostique) ou ont été travaillées réellement (évaluation sommative). Inutile de dépasser une à trois compétences pour une évaluation classique, au maximum cinq pour un brevet ou un bac blanc. Car ce qui compte, c’est la suite, l’exploitation de l’information apportée par la performance de chacun : que faut-il travailler en priorité pour progresser ?

Supprimer la note puis… la rétablir

Le principal inconvénient de la note est d’être une moyenne qui ne dit pas son nom, qui est pondérée.

En effet, pour la moindre évaluation un peu complexe, la note globale est obtenue en additionnant les résultats aux différents exercices en fonction du barème. Or, le barème n’est pas communiqué sur le bulletin par exemple. Et le principal avantage de la note ? C’est une moyenne pondérée… C’est en ce sens que la note peut être complémentaire des compétences. De nombreuses compétences entrant en jeu dans la plupart des évaluations, il serait illusoire autant qu’inutile de toutes les évaluer. La note, elle, permet d’apporter ce qu’on lui reproche quand elle est seule, à savoir une idée générale du résultat et sa pondération En effet, toutes les compétences ne se valent pas, et seule la note peut simplement le montrer. À condition, bien entendu, qu’elle ne soit pas une transcription des compétences, mais une évaluation d’autres éléments du devoir, pour donner d’autres informations. À mon avis, jusqu’en 5e, les inconvénients de la note (fausse impression d’objectivité, notes qui classent, mauvaises notes qui cassent…) sont supérieurs à ses avantages. On a alors tout intérêt à n’évaluer que par compétences. À partir de la 4e, les devoirs se complexifiant — et les élèves s’endurcissant ? -, le rapport s’inverse et cela me parait le bon moment pour introduire la note à côté des compétences.

Faire des bilans intermédiaires pédagogiques

En fin de trimestre, avant un conseil de classe, avant une remédiation, il est utile de faire un bilan des compétences évaluées. C’est-à-dire de faire une synthèse dans sa discipline sur plusieurs compétences. Mon conseil tient en un simple souhait : ne faites pas de bilan automatique. Ce n’est pas à un programme informatique, même avec le réglage le plus fin, de décider de la synthèse de plusieurs évaluations. Chaque évaluation ayant une importance différente, en fonction de sa complexité, de sa date, des situations rencontrées, aucune application ne peut avoir la finesse requise, sauf à être d’une complexité rédhibitoire. Il convient donc de réaliser un bilan pédagogique, que le professeur assume et peut argumenter, en ayant sous les yeux les résultats précédents. Avec peu de compétences, c’est une charge de travail raisonnable et c’est surtout beaucoup plus juste.

Valider sans ne faire que ça

La validation ne doit pas être une préoccupation constante, elle peut même n’être abordée qu’en fin de palier uniquement. Des validations intermédiaires (en milieu d’année de 4e et au premier trimestre de 3e par exemple) peuvent être utiles pour faire un point et mettre en place les remédiations. Si les compétences ont été travaillées et évaluées pendant tout le cycle, les choses sont simples. Au collège, chaque adulte fait un bilan pédagogique certiflcatif — binaire : acquis ou non acquis – des compétences qu’il s’est engagé à valider dans le tableau de couverture du socle. Le rôle de synthèse dévolu au professeur principal consistera seulement à prendre une décision pour les items validés différemment par les adultes. S’il y a au maximum trois validations par item, la tâche sera rapide le plus souvent. Elle ne doit donc pas occuper les équipes pédagogiques pendant des heures.

Privilégier le travail en équipe

Ces changements de méthodes d’évaluation et d’acquisition des compétences devraient impérativement se faire en équipe. Des significations différentes accordées aux items sans concertation, une taxonomie différente selon les professeurs : voila deux façons simples de tuer l’approche par compétences dans un établissement.

Ces quelques conseils pourraient se résumer en quelques mots : travailler sur un nombre restreint de compétences, n’évaluer que les compétences qu’on utilisera ensuite et dont l’acquisition est impérative, enfin donner toute sa place à la pédagogie dans les évaluations et les bilans de compétences.

(Cahiers pédagogiques, N° 491, « Évaluer à l’heure des compétences », sept.-oct., 2011)

Vincent Guédé
Professeur au collège expérimental Clisthène (Bordeaux)

 

 

Notes
  1. La commission parlementaire Grosperrin sur le socle commun au collège s’est inspirée de notre expérience à Clisthène pour rédiger son rapport