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Diminuer la pression évaluative en lycée

Le baccalauréat n’explique pas tout. Les enseignants de lycée sont marqués par la responsabilité de faire réussir les élèves à l’examen. Le barème du bac règne en maître, mais pourquoi devrait-il être présent dès le premier trimestre de la classe de 2de ? Comment s’y prendre autrement avec les dispositifs d’évaluation ?

Il y a chez nous une sorte de « vérisme »2.

Les objectifs d’acquisition des connaissances ont changé de nature par rapport au collège : il ne s’agit plus seulement de connaissances déclaratives, mais aussi de l’utilisation de concepts. La capacité à organiser l’information, à faire un plan, à introduire, à conclure est devenue essentielle. La prise d’informations dans les documents a pris une allure nouvelle. Et pourtant, les objectifs de savoir, d’organisation, de savoir-faire et de communication – ce sont là les quatre grandes capacités retenues – sont aisément identifiables et suffisamment répétés pour qu’une démarche d’apprentissage puisse s’appuyer sur eux.

Fourchettes de notes

Évaluer l’atteinte d’un objectif assez précis ne nécessite pas de recourir à une échelle de notation de 0 à 20, soit 21 possibilités, en fait quarante et une possibilités si l’on utilise des demi-points. Si l’on conçoit l’évaluation comme un processus de communication au cours duquel l’élève s’approprie les exigences, adapte ses représentations à celles de l’enseignant, alors il faut simplifier le message.

En fait quatre situations suffisent à décrire nettement la position de l’élève :

  • Quand l’objectif est parfaitement atteint, j’ai choisi d’attribuer la fourchette 17-20.
  • La fourchette 12-14 indiquera que l’objectif est atteint, mais avec quelques erreurs, oublis ou approximations qui ne remettent cependant pas en cause l’idée d’atteinte de l’objectif.
  • Quand il y a eu un travail mais avec des manques ou des erreurs, on dira 7-9 ce qui signifie que l’objectif n’est pas encore atteint.
  • Enfin, une situation d’erreur grave, de complet contresens, ce jour-là, dans le travail de cet objectif-là, sera évaluée 0-3.
Dire nettement l’échec et la réussite

Quatre possibilités, donc. Pourquoi pas trois ? Des collègues utilisent parfois une évaluation moyenne, située entre échec et succès, l’idée d’une capacité « en cours d’acquisition ».

Ce marais me semble dangereux. Faut-il s’en satisfaire ?

L’idée de « moyenne » est trop associée, aux yeux des élèves de lycée, à celle de réussite, de passage en classe supérieure, d’obtention du bac… pour qu’on puisse la mobiliser dans le sens d’un désir de progression dans les apprentissages. C’est pourquoi j’ai choisi un système dichotomique : l’objectif est atteint (avec ou sans marge d’erreur) ou il ne l’est pas (même s’il y a une grande différence entre le « pas du tout » et le « pas encore » atteint). La coupure est accentuée par le symbolisme des couleurs : vert pour la réussite, rouge pour l’échec. Revoilà les gommettes !

La logique de l’entraîneur

Si je n’hésite pas à charger la barque de l’échec stigmatisé par ce 0-3 rouge, c’est d’abord qu’il ne porte que sur un des objectifs évalués. D’autres ont pu, dans le même travail, être atteints. C’est ensuite que ces fourchettes de notes ne sont pas « moyennables »3. J’ai annoncé que nous étions dans une période d’entraînement et qu’il n’y avait aucune raison que « ça compte », que les échecs s’ajoutent aux réussites pour, dans un magma informe, indiquer, à la décimale près, l’état des apprentissages. Essayez donc d’additionner un 0-3 à un 12-14 et de faire une moyenne…

Sur le bulletin trimestriel, un tampon encreur me permettra d’indiquer les grandes capacités regroupant les objectifs et de donner une idée assez large de l’atteinte de ces objectifs au cours du trimestre. Par exemple, dans les tâches d’organisation, Charlotte se situe entre 7 et 14 : elle navigue entre des objectifs pas encore atteints sur la rédaction d’une introduction ou d’une conclusion et des objectifs atteints pour ses plans plutôt réussis : elle apprend !

L’auto-évaluation : repentance ou résilience ?

La mise en place de ce travail sur les objectifs permet de vivre des moments d’auto-évaluation qui ponctuent l’apprentissage. Certains sont ponctuels, sur une tâche donnée en classe. L’enseignant aide à trouver les critères mais il ne relève pas l’auto-évaluation (qui peut être reportée par l’élève sur sa feuille de recueil d’évaluations) ; il s’interdit même d’en prendre connaissance.

Un moment de réflexion plus long est consacré au bilan du trimestre, à la veille du conseil de classe. Je fournis à chaque élève l’ensemble des petites évaluations menées au cours du trimestre pour qu’il puisse faire le point. Les objectifs travaillés sont alors rappelés en détail. Je lui demande d’écrire une appréciation de son trimestre, une phrase que je pourrais lire devant le conseil4, et aussi de dire ce qu’il a apprécié dans le travail du trimestre, ce sur quoi il lui semble avoir progressé, ce contre quoi il continue de buter, ce qui lui semble encore difficile.

On connaît les dangers de l’auto-évaluation quand elle a pour but de faire intérioriser la situation d’échec, quand il s’agit de faire dire à l’élève qu’il n’a pas le niveau, qu’il ne travaille pas assez… en vue de préparer une réorientation, par exemple. On tente alors de faire entrer l’adolescent dans la repentance et l’on comprend que ce type d’auto-évaluation entraîne rapidement des résistances et des stratégies d’évitement.

Dans le cas de difficultés scolaires fortes, le but et les règles de cette autoévaluation doivent plutôt favoriser la résilience : il s’agit de surmonter le constat d’échec, de lui faire une place5 mais de s’appuyer sur quelques réussites présentes dans le bilan6, pour rebondir, en identifiant ce qui doit être consolidé.

Mais comment faire pour atteindre les objectifs ?

L’évaluation fine des objectifs présente tous les inconvénients d’une démarche comportementaliste : c’est bien joli de dire que les objectifs ne sont pas atteints ! Cela ne dit pas comment on peut les atteindre. Dans son bilan du troisième trimestre, Aslan, en 1re L, continue d’écrire : « J’ai toujours des problèmes avec mes conclusions. Je ne sais pas faire une ouverture. »

Bien sûr, il est déjà important qu’il mette un nom sur ce qu’il sait faire et ce qu’il ne sait pas faire. La dimension de communication présente dans la démarche contribue certainement à renforcer les connaissances métacognitives des élèves. Le constat collectif d’échec sur un objectif peut aussi permettre un moment de contractualisation avec la classe entière, un groupe d’élèves ou un élève isolé.

Virginie, en grande difficulté alors qu’elle redouble sa 2de, ne parviendra pas à surmonter les obstacles rencontrés et le mode d’évaluation n’y changera rien. Tout au plus, les quelques réussites signalées lors de la réalisation d’un dossier documentaire, d’une prise de parole dans un débat d’ECJS, auront permis d’atténuer la blessure narcissique profonde, toujours rouverte, infligée par une évaluation d’habitude basée essentiellement sur l’échec.

(Cahiers pédagogiques n° 438, « L’évaluation des élèves », décembre 2005)

Dominique Natanson
Enseignant et formateur dans l’académie d’Amiens.

Notes
  1. Littéralement: refus des chimères, du rêve. Confrontation avec la réalité/efn_note]  de la note. En arrivant en 2de, nos élèves doivent « se rendre compte » : ce qu’ils savent faire ne correspond pas aux nouvelles exigences du lycée. Tous ces élèves orientés « de justesse » vers le lycée, ceux qui étaient « bons » dans des classes de ZEP ou d’un collège rural souffrant d’isolement, qui avaient bricolé un modus vivendi acceptable dans des classes où le rythme était plus lent, doivent être confrontés rapidement aux impératifs nouveaux : le plan, l’organisation, le volume, le développement, l’approfondissement… Là où l’on répondait à des questions, il faut à présent entrer dans des « problématiques »… Alors, nous ne devons pas « les leurrer », il faut prendre le taureau par les cornes et ces premiers coups de semonce sont nécessaires pour permettre à ces élèves d’accéder, en fin de compte, au bac. Nous leur rendons service et, s’ils acceptent de se prendre en main, les premiers échecs seront salutaires.

    Le « faire » et « l’être »

    La difficulté, c’est que la démarche évaluative dans laquelle nous nous insérons de cette manière distingue mal entre le faire et l’être. Le discours des conseils de classe insiste sur la « bonne volonté » des élèves, leur « travail personnel », leur investissement ; il distribue des « avertissements-travail » et des « avertissements-comportement », valorise l’effort par des « encouragements » et des « félicitations ».

    Mais la nature des obstacles qui produisent de l’échec scolaire ne sera pas évoquée : on s’intéressera certes aux difficultés familiales ou aux questions de santé mais seulement parce qu’elles permettent d’expliquer les problèmes de mise au travail. Car le ressort de la réussite scolaire est dans le travail. Et si l’on évoque des « difficultés de compréhension », c’est plus souvent pour se situer dans le champ d’une fatalité inaccessible que dans une démarche basée sur la confiance en l’éducabilité.

    Certes, interrogé dans la salle des profs, chacun de nous réaffirmera la distinction qu’il fait entre les élèves dans leur personne et leurs résultats scolaires. Mais cette affirmation éthique se traduit bien peu dans l’évaluation.

    Bricolages atténuateurs

    Conscients de la dureté de certaines notes, nous allons bricoler quelques aménagements : des coefficients, des notes sur dix qui laissent l’espoir d’une compensation, des possibilités de rattrapage, des appréciations nuancées quand bien même la note est catastrophique. Mais la nuance est peu perçue par les élèves qui, fébrilement, calculent leur moyenne « en flux tendu » : un cinq sur vingt hypothèque tout un trimestre. La question n’est pas de savoir ce qui n’a pas marché ou pas. D’ailleurs, comment démêler, dans la globalité de la note sur vingt, les facteurs de l’échec ?

    Une démarche d’évaluation par objectifs

    Se lancer dans un travail d’évaluation par objectifs et par capacités, c’est prendre le risque d’être peu compris. Le rituel des conseils de classe se prête mal à une différenciation, dans les résultats et à un travail d’identification des « objectifs-obstacles ». Et puis n’y a-t-il pas quelque prétention à vouloir faire autrement que ses collègues ? N’est-ce pas mettre en cause leur objectivité quand ils notent, eux qui ont fait leurs preuves comme correcteurs du bac ? N’est-ce d’ailleurs pas un peu puéril de se lancer dans des grilles d’objectifs atteints ou non atteints, avec des gommettes rouges et vertes, comme à l’école primaire ?

    Il est pourtant possible de déterminer des objectifs et de les faire travailler par les élèves. La démarche n’est guère nouvelle. Je m’y suis lancé il y a deux ans lorsque je suis arrivé en lycée après des années de collège où j’avais pratiqué quelque chose de voisin1nnovation dans le cadre du pôle académique de soutien à l’innovation de l’académie d’Amiens (2003-2005).

  2. I est surprenant qu’il y ait si peu de mots formés à partir de « moyenne » tant l’usage du concept est fréquent dans les pratiques scolaires : moyenniser, moyennisation, moyennomanie….
  3. II est fréquent que je recopie cette phrase écrite par l’élève, comme appréciation dans le bulletin trimestriel. On est alors dans le consensus et non dans le règlement de compte.,
  4. L’analyse de l’atteinte des objectifs permet d’entrer dans le détail des échecs mais aussi de les mettre à distance, comme des éléments isolés du passé, dans lesquels la personne même de l’élève n’est pas impliquée
  5. Le découpage du travail en objectifs, s’il a l’inconvénient d’un saucissonnage des tâches complexes, a au moins l’avantage de permettre de valoriser quelques réussites isolées.,