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L’évaluation formatrice

On connaît maintenant le concept d’évaluation formative introduit par Scriven en 1967. Fille aînée de la pédagogie par objectifs, l’évaluation dite « formative », se proposait :

  • D’affiner les outils de mesure pour mieux évaluer la maîtrise des objectifs plus soigneusement définis. […]
  • D’apporter des informations sur la démarche de production de l’élève, et non sur le seul résultat de cette démarche. […] L’auto-évaluation commençait à faire une timide apparition sans être encore l’élément moteur de tout le dispositif d’apprentissage.

L’évaluation formatrice est issue d’une recherche fondamentale, conduite dans les années 1974-1977, au lycée Marseilleveyre, à Marseille, dans le cadre d’un contrat entre la Direction des lycées et le secrétariat d’État aux universités. Elle en est la généralisation. Il s’agissait, pour les chercheurs de l’université de Provence dirigés par J.-J. Bonniol, et pour les enseignants conduits par G. Nunziati, d’étudier les effets d’une transformation des comportements d’évaluateur sur les performances des élèves en difficulté.

Mais le dispositif d’évaluation formative restait à inventer et à tester.

Les hypothèses d’une formation à/par l’évaluation

1. L’évaluation formatrice est une discipline instrumentale qui exclut l’autodidaxie

Par l’ensemble des notions et des théories qui la fondent, ou des modes opératoires qui lui sont propres, l’évaluation formatrice est bien une discipline à part entière, c’est-à-dire, selon la définition que le Larousse donne de ce dernier terme, une « matière d’enseignement, un objet d’étude, une science ». La maîtrise des contenus et des techniques d’une discipline se fait dans le cadre d’un enseignement où l’expert favorise et contrôle les acquisitions. L’évaluation, dans son ensemble, n’échappe pas à cette loi. Sa complexité, la difficulté à intégrer dans les pratiques les règles ou théories qui la composent nécessitent l’aide de théoriciens et de praticiens chevronnés, si l’on veut limiter les découragements et les erreurs et tous les risques de dégradation du système éducatif que ces choses-là impliquent.

2. L’évaluation, sous toutes ses formes, est la voie royale de la formation

Le type de questionnement imposé par toute tâche d’évaluation renvoie l’enseignant à une analyse raisonnée de ses pratiques. Pour évaluer de façon un peu plus fiable, il faut, en effet, répondre aux questions suivantes : — Quel but poursuit-on ? Que veut-on vérifier ?

Quels que soient les buts qu’on lui assigne, l’évaluation ne commence jamais au moment où l’on « corrige » des productions, pas plus qu’elle ne s’achève avec le dernier feuillet annoté. Elle s’inscrit dans un amont qui touche autant aux contenus des cours, aux stratégies d’enseignement, qu’aux modèles de références de chacun. Il est donc impossible de transformer un outil de mesure sans mettre en cause tout ce qui le sous-tend.

3. L’évaluation formatrice est une démarche didactique

Les théories de l’apprentissage qui soutiennent l’évaluation formatrice, bouleversent le champ de représentations [des enseignants] pour y introduire plus de rationalité, pour en corriger les erreurs. En cela déjà, l’évaluation formatrice s’inscrit bien dans le domaine de la didactique.

Ce qui valide d’autre part un critère, c’est sa pertinence au modèle didactique retenu dans une discipline donnée. Selon que l’on se réclame, par exemple, de R. Barthes ou de Greimas, l’on ne s’intéressera pas aux mêmes composantes d’un récit et l’on sera tenté de privilégier des aspects différents dans la production de récits et, par ricochet, d’évaluer différemment les rédactions des élèves.

Enfin, lorsqu’on a défini les critères d’évaluation d’un exercice quelconque, on ne peut éviter de s’interroger sur les moyens à acquérir pour répondre aux exigences fixées. Que faut-il maîtriser, par exemple, pour être capable de reprendre les idées essentielles d’un texte dans le cadre d’un résumé en français ? Que faut-il avoir appris et appris à faire pour rappeler les faits historiques liés aux mots « essentiels » dans un commentaire historique ?

Les cinq phases d’une action complexe

De tous les travaux [théoriques], nous avons essentiellement retenu les idées concernant les cinq phases non consécutives de toute action complexe :

1. La représentation du but et celle des propriétés (rôles et caractères particuliers) des objets (savoirs et savoir-faire) sur lesquels on doit travailler pour atteindre ce but généralement indiqué dans l’énoncé de la tâche par un verbe d’action ;

2. L’anticipation sur la démarche à suivre, sur les étapes intermédiaires, sur les résultats des opérations projetées, sur les régulations possibles ;

3. La planification ou le choix d’une stratégie.

Ces trois premières opérations constituent ce que Galpérine1appelle l’orientation de l’action. D’elles dépendent la réussite ou l’échec de la tâche. D’où leur importance et la nécessité de bien les conduire. Les deux dernières phases portent sur :

4. L’exécution proprement dite ;

5. Le contrôle des opérations d’orientation et des opérations d’exécution, l’évaluation du résultat de chacune d’elles. […]

L’ensemble des travaux confirme bien les deux hypothèses fondamentales de l’évaluation formatrice que nous avions progressivement élaborées pendant l’expérience Marseilleveyre, à savoir que l’appropriation par les élèves des outils d’évaluation des enseignants et la maîtrise par l’apprenant des opérations d’anticipation et de planification sont les deux objectifs pédagogiques prioritaires d’une démarche d’évaluation qui se veut formatrice, c’est-à-dire d’une démarche de régulation conduite par celui qui apprend. Jusqu’ici la responsabilité de la régulation incombait à l’enseignant seul et affectait son dispositif pédagogique sans être pour autant l’outil de construction des connaissances dont l’élève a besoin.

Analyse de la tâche

[…] L’analyse préalable par le sujet des composantes du produit fini ou, en d’autres termes, l’analyse a priori de la tâche attendue, de l’action réalisée est un exercice utile pour décrire les procédures qui la composent, pour les « voir », et les voir « réalisées ». D’où une meilleure représentation du but, et, a fortiori, une meilleure planification, une meilleure exécution. […]

Ni la logique de la discipline, ni la logique pédagogique ne peuvent rendre compte du fonctionnement de l’élève, de son itinéraire d’apprentissage ; le dire du maître ne permet pas l’appropriation par l’autre des savoirs et des savoir-faire d’une discipline, puisqu’on est sur des registres de fonctionnement très différents.

Par voie de conséquence, la remédiation des erreurs est le fait de celui qui les commet, pas de celui qui les signale, puisqu’elles relèvent et témoignent de logiques différentes.

Un dispositif pédagogique doit, pour être « opérationnel » et garantir la réussite au plus grand nombre, essentiellement fournir à l’élève les outils nécessaires à la représentation correcte des buts fixés, à la planification rationnelle de l’action, à l’autocorrection et enfin à l’auto-évaluation.

Répétons qu’il s’agit là des objectifs clés du dispositif d’évaluation formatrice.

Éléments constitutifs d’un dispositif d’évaluation formatrice

[…] Au terme de trois années de recherche, les enseignants et les chercheurs jetaient en effet les bases du dispositif d’évaluation formatrice, à savoir :

  • La nécessité de transformer les cours habituels en séquences d’apprentissage qui assurent aux élèves la maîtrise des contenus des disciplines et celle des objectifs des tâches et des critères d’évaluation ;
  • La mise en œuvre de plans de remédiation progressive de l’erreur où l’élève jouerait le rôle essentiel ;
  • La transformation des comportements de correcteur, avec la volonté de replacer l’erreur dans la dynamique même de l’apprentissage dont elle devient un élément positif ;
  • Le recours systématique à l’auto-évaluation, clef de voûte de tout le système ;
  • Le travail d’équipe sur la base d’options pédagogiques qui, par-delà les différences disciplinaires facilitent la maîtrise des opérations d’analyse, de synthèse et d’évaluation. Ce qui impliquait un respect très scrupuleux des programmes et des spécificités de chaque matière car si les opérations d’analyse, de synthèse et d’évaluation sont les mêmes, quelles que soient les disciplines, elles se font avec des connaissances propres à chaque matière ; elles portent sur des contenus spécifiques et sont soumises à des logiques disciplinaires qui ne sauraient être confondues. […]
Georgette Nunziati
Professeur de lettres et formatrice à la Mafpen de l’académie d’Aix-Marseille.

Notes
  1. De l’enseignement programmé à la programmation de la connaissance, sous la direction de N. F. Talyzina, PUL, 1981. On trouvera dans ce livre des articles qui résument les travaux de l’école soviétique, notamment ceux de Galpérine et de Talyzina, sur les apprentissages et sur la formation des concepts. Ces auteurs développent ici les notions de « carte d’étude » et de « base d’orientation » si importantes dans la maîtrise de ces opérations d’anticipation.