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Vivre sous l’eau ou ailleurs

Les quatre-vingts élèves de trois classes de 6e ont cherché comment « habiter un espace à forte contrainte ». Ils ont produit vingt-deux travaux. Parmi ceux-ci, nous avons sélectionné trois exemples représentatifs des différents niveaux de traitement et de réalisation.

Du dessin à la cartographie

Le premier travail est celui qui s’intitule « Vivre sous l’eau » (ci-dessous). On y remarque la prédominance du texte sur la carte ou le dessin. En privilégiant l’écrit, les élèves restent dans une logique scolaire. On y constate l’effort de situer leur ville sous l’eau. Comme dans cet exemple, tous les travaux ont situé le lieu étudié et l’ont localisé sur des cartes. Dans « Vivre sous l’eau », la notion d’habiter a été mobilisée : le logement, le travail, les loisirs, les déplacements horizontaux (d’une ville à une autre) et verticaux (vers la surface). Les élèves ont dessiné, mais sans utiliser le langage cartographique. Leur dessin illustre une ville protégée par une bulle, sans avoir recours à des figurés ou à une légende.

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Dans le travail suivant nommé « Skilands » (ci-dessous), les élèves ont situé leur espace montagnard tout en faisant des considérations sur le climat et sur la densité de population. Ils ont su remobiliser le savoir académique dans le contexte de l’imaginaire. Pour représenter l’habiter, ils ont réalisé un plan en coupe fléché de la montagne. Le plan en coupe comporte des dessins, mais leur sens est précisé par une légende fléchée. Ce plan en coupe dénote un vrai souci de compréhension de l’organisation de l’espace.

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Le dernier travail a été baptisé « Le village de Nyazonihe en Amazonie » (ci-dessous). Le duo d’élèves a structuré son travail autour d’une carte mentale complète. Elle est accompagnée d’une carte à l’échelle mondiale permettant de localiser leur village, et d’un croquis à l’échelle locale pour expliquer l’organisation de l’espace. Les productions cartographiques comprennent titres, légendes, et figurés de différents types.

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Certains élèves ont imaginé l’habiter en dessinant, mais sans raccrocher le dessin à leur connaissance cartographique. C’est le cas du premier travail étudié intitulé « Vivre sous l’eau ». D’autres mêlent le dessin avec des éléments qui font partie du langage cartographique. Comme dans « Skilands », des travaux présentent des dessins fléchés, ou des plans légendés avec figurés. Cette hybridation témoigne d’une appropriation partielle du langage cartographique par les élèves. Les travaux, comme « Le village de Nyazonihe en Amazonie », montrant l’appropriation du langage cartographique sont minoritaires.

S’approprier les savoirs

Les travaux sont aussi révélateurs de la maitrise et du réinvestissement du savoir académique : plusieurs travaux témoignent de la prédominance du savoir social. Les élèves raisonnent en utilisant leurs connaissances, mais sans les mettre en lien avec les savoirs vus en classe. D’autres élèves, toujours dans le savoir social, commencent un raisonnement géographique fondé sur l’aménagement du territoire. Une minorité est dans le savoir académique, utilisant les techniques et concepts vus en classe.

Alors, est-ce que les élèves qui ont une bonne maitrise cartographique sont forcément dans le savoir académique ? Et, à l’inverse, ceux qui ont exprimé leur imaginaire à travers le dessin dans le savoir social ? La réponse n’est pas évidente.

Faire imaginer les élèves en géographie est risqué : il faut veiller à ce que l’imaginaire demeure dans la pensée géographe. Les élèves peuvent perdre de vue ce qui fait sa spécificité. La démarche géographique doit être explicitée durant toute l’année.

L’imaginaire reste souvent borné par l’environnement des élèves, mais aussi par le poids de ce qui a été vu en cours. Les pratiques quotidiennes de nos élèves habitant en milieu urbain ont logiquement pesé sur leur imaginaire. Ainsi, seul deux groupes ont travaillé un espace non urbain en créant un « habiter » dans des forêts.

L’imagination reste avant tout un moyen, et non une fin. Une manière pour les élèves de pratiquer la géographie autrement et de se l’approprier. Une manière pour les professeurs de voir où en sont les élèves dans leur maitrise du langage cartographique, dans leur appropriation du savoir académique et dans leur raisonnement géographique.

Stéphane Pihen
Professeur d’histoire-géographie à Herblay (95) et formateur académique (Versailles)

David Roudaut
Professeur d’histoire-géographie-EMC au collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine