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Edwy Plenel : «On dit que les jeunes lisent moins : ils n’arrêtent pas de lire !»

Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du <em>Monde</em> et fondateur de Mediapart, a commencé sa carrière comme journaliste éducation. Il reste un fin observateur des enjeux des politiques éducatives, ainsi qu’un défenseur de l’éducation nouvelle et de son apport pour former les futurs citoyens et travailleurs. Il intervenait lors de la Biennale de l’éducation nouvelle en novembre dernier.
L’école, pour vous, c’était comment ?

J’étais un bon élève, copain avec les cancres et qui n’avait pas envie d’être premier de la classe. J’ai en particulier un excellent souvenir d’une institutrice, durant la période où je ne vivais pas avec mes parents, de 8 à 10 ans. Madame Montalin a été la personne qui m’a donné le plus confiance en moi.

Je viens d’une famille bretonne, mon père était professeur d’histoire et de géographie, mes tantes étaient enseignantes et vivaient en Seine-Saint-Denis, terre d’immigration bretonne ! Une toute petite bourgeoisie urbaine qui fait son chemin grâce à l’école. Un fils d’enseignant (puis vice-recteur) a forcément un rapport un peu biaisé à l’école.

D’où vient votre connaissance de l’éducation nouvelle ?

Du militantisme. J’arrive à Paris à 18 ans, pour poursuivre mes études à l’université, et je suis happé par l’engagement banal de 68. J’ai alors choisi la famille intellectuelle la plus émancipatrice, l’opposition de gauche au stalinisme, dans sa variante la plus libertaire. J’ai été rapidement responsable du secteur lycéen de mon organisation. Aussi, quand on crée un quotidien en janvier 1976, je passe à la rubrique éducation au sens large. C’est là que je fais l’apprentissage à la fois d’un métier, avec des journalistes plus chevronnés, et de la matière de l’éducation. Je découvre comme cela l’univers infini de l’éducation nouvelle. Et j’ai subi sans doute l’influence de ce lieu, l’IPN (Institut pédagogique national), dont est issu l’IFÉ (Institut français de l’éducation), rue d’Ulm, où je fréquentais toutes sortes de laboratoires de recherche en éducation.

Je découvre aussi le mouvement ­Freinet, des pratiques peut-être évidentes aujourd’hui, mais piétinées par le discours dominant, comme la correspondance scolaire, l’idée que la classe est une société où se construisent des liens entre des personnes qui ne sont pas effacées par le « nous » de la collectivité.

Quels rôle et place voyez-vous pour les mouvements pédagogiques aujourd’hui ?

Il y a une nouvelle jeunesse de ces mouvements, liée à la révolution numérique. Tout à coup, existe la possibilité technologique d’une révolution permanente. Le sachant est descendu de l’estrade et est au même niveau que celui qui apprend. Twitter, Facebook ont à peine dix ans. Nous sommes à l’orée de ce monde-là, qu’il faut penser comme un monde transnational. J’étais, il y a peu, en Guinée pour les vingt ans d’un journal guinéen numérique. Aujourd’hui, un Guinéen connait mieux notre société française qu’un paysan français il y a un demi-siècle.

Sur internet, il n’y a pas de format, on peut partager des conférences, des vidéos de débats, sans être interrompu par la publicité, et on peut mélanger les expériences individuelles avec les avis d’experts. Cela permet une autodidaxie permanente, qui est au cœur de la démocratie. C’est ce que les mouvements d’éducation nouvelle ont voulu porter, contre le mythe de l’école libératrice traditionnelle, selon lequel il suffirait d’aller à l’école pour apprendre, sans voir qu’elle reproduit les inégalités.

Vous ne devez pas vous sentir le dos au mur, ni intégrer une mise à l’écart dans le discours dominant. Vous êtes au cœur de ce que vivent les jeunes et les élèves ! Dans le discours sur le « pédagogisme », il y a une diabolisation du numérique, un refus de voir que cet instrument est au cœur de la manière dont les enfants apprennent, vérifient. On dit que les jeunes lisent moins : mais ils n’arrêtent pas de lire !

Et à la différence de ce que disent les contempteurs de la pédagogie, les mouvements d’éducation nouvelle ont mis le travail au cœur de leur projet. On va travailler ensemble, faire, fabriquer des choses ensemble, là où l’académisme méprise le travail, donc les ouvriers, l’enseignement technique ou professionnel.

On a oublié la radicalité originelle des mouvements d’éducation nouvelle ; ce dont ils sont porteurs, c’est un projet politique démocratique. La coopération fait écho à la relation, au lien, à l’échange, au partage. Mais ce sont des outils qui ne sont pas uniquement pédagogiques ni démocratiques, il peut y en avoir un usage élitiste et individualiste, par exemple si on les conçoit ou perçoit sans la dimension du lien. C’est la différence entre Célestin Freinet et Maria Montessori : ce que prône Freinet, c’est une émancipation collective des élèves, par, dans et pour le collectif, tandis que le projet de Montessori est plus individualiste.

Il faut aussi penser l’écosystème : les grandes lois sur la presse et sur l’obligation scolaire sont contemporaines, en 1881. Aujourd’hui, la vague technologique nouvelle arrive en même temps qu’une vague conservatrice, néolibérale, autoritaire et réactionnaire, et pas dans un moment d’émancipation.

L’école est au cœur de la bataille pour l’exigence démocratique et sociale. Pour fabriquer des femmes et des hommes libres, qui se sentent responsables de leur liberté.

propos recueillis par Cécile Blanchard

article paru dans notre n°543, Enseigner par cycles, coordonné par Maëliss Rousseau et Céline Walkowiak, février 2018.

La réécriture des programmes de l’école obligatoire réaffirme de façon explicite la notion de cycle dans le parcours de l’élève, mise en place dès la loi d’orientation de 1989. Cela change vraiment les objectifs et les conceptions des enseignements et donc interpelle les enseignants au cœur de leur pratique de classe.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/713-enseigner-par-cycles.html