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Les enfants d’immigrés à l’école. Inégalités scolaires, du primaire à l’enseignement supérieur

Mathieu Ichou, PUF, 2018

Les recherches en éducation ont depuis longtemps fait le constat que les enfants d’immigrés réussissent moins bien à l’école et ont mis l’accent sur les carences des familles, dans une dénonciation du manque de volonté d’intégration, dans le paradigme de l’assimilation et dans une approche culturaliste.

Ce passionnant ouvrage est riche en enseignements sur les trajectoires diverses des enfants d’immigrés. Le chercheur s’intéresse aux différences, aux trajectoires singulières et plurielles des familles, aux liens sociaux forts et faibles qui sont tissés, n’ignorant pas l’histoire antérieure des familles d’immigrés, en travaillant à partir d’une approche holistique des parcours, afin de comprendre pourquoi certains enfants d’immigrés « de la deuxième génération » réussissent mieux ou moins bien à l’école.

L’auteur ne se confine pas dans des explications culturalistes, homogénéisantes, ou statiques dans lesquelles il y a une fixité des groupes mais il privilégie plutôt une vision discontinue entre les conditions de production et d’expression des dispositions sociales des immigrés. Afin de mieux comprendre la construction des inégalités scolaires des enfants d’immigrés, la réussite ou l’échec scolaire, il faut analyser en finesse les trajectoires des familles, des relations de la fratrie, l’importance des membres de la famille (oncle, tante, grands-parents et leur rapport à l’école, aux études), en investiguant les variables d’origine (dans le pays quitté) et les variables d’aboutissement (dans le pays d’arrivée) – donc avant et après la migration pour comprendre et expliquer la situation des immigrés et de leurs enfants en rapport avec l’école.

Pour étudier les trajectoires, l’auteur a manié à la fois une approche biographique et longitudinale, croisant des analyses statistiques et des approches qualitatives, sur un échantillon représentatif d’élèves depuis le début de l’école primaire (1995) jusqu’à leur entrée au lycée ; basée également sur des entretiens semi-directifs sur la trajectoire sociale et migratoire familiale. De longs entretiens avec plusieurs membres de la même famille ont été conduits, et cela en dehors de murs de l’école dans un terrain plus neutre que celui de l’école, à savoir : les diverses communautés, les lieux de culte, les associations… Il a choisi d’étudier davantage les extrêmes statistiques, en ciblant plus particulièrement les populations d’enfants d’immigrés turcs (qui réussissent moins bien scolairement en Angleterre et en France) et asiatiques et chinois (qui réussissent bien mieux scolairement toujours en Angleterre et en France) mais cela dans le but de comprendre la scolarité de tous les enfants d’immigrés.

Cette recherche rappelle une constante sociologique, à savoir que la structure socioprofessionnelle des parents compte et que « les enfants d’immigrés sont bien plus nombreux que les enfants de natifs à avoir des parents faiblement pourvus en capitaux économiques et scolaire » (p. 80). Sont analysés notamment les projets migratoires des familles dans lesquelles l’éducation peut être placée comme un élément central. Mais la transmission du capital scolaire (même s’il existe par le haut niveau d’études des parents !) n’est pas forcément directe. Par exemple, des temporalités différentes existent et creusent une distance affective entre les parents qui immigrent avant les enfants, et qui préparent une meilleure situation pour accueillir les enfants. Ces derniers sont élevés par les grands-parents en attendant de rejoindre leurs parents : les retrouvailles, à quelques années d’intervalle, se font dans des rapports plus distants, froids et sans réels échanges et intérêt sur l’école ou les études.

Des enjeux de la transmission et du rapport au savoir existent et cela en rapport souvent avec la forme scolaire et les méthodes pédagogiques telles qu’elles ont été vécues dans le pays d’origine.

La première génération de l’immigration fait souvent face à des regrets de ne pas avoir fait plus dans le pays de l’immigration ou au contraire une mobilisation intense pour surmonter les difficultés pour réussir scolairement ; ces regrets deviennent productifs comme le dit Bernard Charlot en ce sens que les familles investissent beaucoup la vie scolaire de leurs enfants par la transposition des attentes de réussite et report de certains espoirs sur leurs enfants, ceux-ci portant la « lourde tâche » de la réussite dès le plus jeune âge surtout quand elle a tant tardé à venir pour la première génération (pour leurs parents donc !). Les familles et leurs enfants s’appuient également sur des modèles de réussite sociale par les études (de la parenté ou des amis proches de la famille) ; et cela fait partie de la genèse des attentes scolaires et du rapport à l’école des enfants d’immigrés à l’école.

Le statut social subjectif des immigrés compte : ce qu’ils ont été dans leur pays d’origine et ce qu’ils sont devenus dans le pays d’accueil. Comment les parents pensent leur position sociale, se sentant faire partie de la classe moyenne ou populaire. Ce statut social subjectif est défini à la fois par leur statut dans la société d’émigration et par le nouveau statut dans la société d’immigration ; dont il peut y avoir une incohérence entre le statut pré-migratoire et post-migratoire, cela peut être une clef de compréhension des attentes des familles à propos de l’école, et des conséquences scolaires. Si le statut pré-migratoire est élevé, les parents même s’ils rencontrent une vie bien plus difficile, précaire et /ou déclassée dans le pays de l’immigration, se sentent néanmoins plus formés, plus éduqués et ont un sentiment subjectif de « statut supérieur ».

De même, le chercheur se penche théoriquement sur la ségrégation et la discrimination ethnique au sein de l’école, et leurs conséquences et invite à des études plus systématiques pour mieux comprendre le phénomène au sein des pratiques scolaires.

Pour les enfants d’immigrés, les liens forts et les liens faibles comptent ! La fratrie compte : les ainés s’ils entretiennent des liens forts avec les cadets, peuvent être des modèles à suivre et même des ressources indispensables pour soutenir les cadets dans leurs trajectoires scolaires et dans la socialisation scolaire. Mais il arrive aussi que les ainés n’ont pas été à la hauteur des attentes familiales. Les voisins comptent aussi dans l’analyse d’un capital social ! Pour les enfants d’immigrés, avoir des bons voisins, lorsque les liens peuvent se tisser ce qui est loin d’être facile selon les apports de la sociologie des rapports sociaux dans la ville, ça compte aussi pour la réussite scolaire ! L’auteur les définit volontiers comme des individus providentiels qui interviennent dans la vie des enfants et qui les aident à se socialiser avec l’école et ses codes (formulaires, devoirs, etc…). Qu’il s’agisse d’un grand frère ou d’une grande sœur, ou encore d’un voisin, dans des relations sociales basées sur des liens forts comme la famille ou des liens plus faibles comme le voisinage, cela influence le rapport à l’école, surtout si les personnes tissant ces liens ont « des ressources scolaires de qualité ». « De la même manière, la densité et la clôture des relations sociales n’ont pas nécessairement d’effets positifs sur les trajectoires scolaires des enfants d’immigrés. Ce n’est pas seulement la forme du réseau de relations, mais davantage le contenu des normes qui y sont développées et leur compatibilité avec les normes scolaires qui permettent de comprendre les effets scolaires des relations sociales. » (p. 270).

Andreea Capitanescu Benetti