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Le tsunami numérique

Emmanuel Davidenkoff est un fin connaisseur de notre système éducatif, et ils sont trop peu nombreux dans les médias. Ses chroniques de France Info sont toujours stimulantes et constituent un modèle de concision intelligente. Aussi lira-t-on avec intérêt son récent ouvrage qui se veut cri d’alarme : notre école républicaine, malgré ses nombreux atouts, est menacée, parce qu’elle n’arrive pas à sortir de son immobilisme. Elle risque fort de finir comme cette entreprise Kodak si prestigieuse et qui est moribonde aujourd’hui, faute d’avoir su prendre le virage numérique.

On peut ne pas partager toutes les analyses de ce livre foisonnant, trouver trop rapides certaines affirmations, reprocher à l’auteur parfois des raccourcis, mais globalement, comment ne pas partager la colère de l’auteur, que l’on sent sourdre devant le gâchis actuel. L’école française souffre de l’omniprésence de la bureaucratie qui décourage les innovations, de l’abus de conformisme, de l’hypocrisie de ceux qui vantent des pratiques novatrices pour mieux conserver le système en l’état ou qui n’ont que le mot « égalité » à la bouche alors qu’ils défendent profondément l’élitisme. Citons-le : « l’Education nationale se moque de toute cohérence interne, n’hésitant pas, quand cela l’arrange, à pratiquer la sélection la plus impitoyable pour préserver son attractivité, mais continuant, d’un même mouvement, de prétendre accorder un système identique à tous »

Mais le tsunami (ce terme un peu trop à la mode a envahi le champ lexical médiatique, semble-t-il) du numérique est là et il secoue les traditions et les routines. Demain, les MOOC seront autre chose que des cours magistraux filmés et les programmes d’accompagnement deviendront plus performants. Et pendant ce temps –là notre école a plutôt tendance à « résister », mais de manière un peu dérisoire contre la vague qui peut emporter le fonctionnement actuel basé notamment sur le « une heure, une classe, un prof ».Tout le début du livre est passionnant, lorsque l’auteur décrit des réalités mal connues, par exemple ce qui se fait aux Etats-Unis, loin des caricatures complaisamment propagées par notre chauvinisme prétentieux. Davidenkoff montre bien que le développement du numérique ne remet pas forcément en cause le rôle de l’humain. Il fait remarquer au passage que le fameux TBI n’a rien d’interactif, car l’interaction, c’est celle que crée l’enseignant avec ses élèves. Mais ce qui semble inéluctable pour l’auteur, c’est qu’on aura de moins en moins besoin du « transmetteur », du « cours présentiel », tandis que la fonction d’accompagnement, de monitorat, de médiateur des apprentissages, elle, est plus nécessaire que jamais, transformant donc les missions de l’enseignant. Ce qui peut aller de pair d’ailleurs avec des économies de coût permettant de dégager des moyens pour des travaux en petits groupes. Mais le numérique a encore à éprouver son efficacité et on n’est sans doute tout juste qu’au début du développement de ses potentialités.
L’auteur développe par ailleurs un certain nombre d’idées qui lui sont chères, comme l’importance de mettre au premier plan les pratiques artistiques et culturelles, et surtout de les développer dans les milieux qui sont éloignées de la culture savante et «légitime » (il se réfère à son expérience journalistique à Radio France de façon très juste), la nécessité de valoriser le travail collectif( quand arrêtera-t-on de limiter les évaluations au simple travail individuel ?) et de diffuser vraiment les travaux de recherches dans le milieu professionnel. Mais surtout, il est essentiel que l’administration, à défaut d’aider les innovations, au moins ne mette pas les bâtons dans les roues de ceux qui veulent agir.

Certaines propositions peuvent faire réagir, mais méritent des débats (par exemple le plaidoyer pour une certaine sélection à l’entrée de l’Université) et non le rejet de l’auteur dans l’enfer de la pensée néo-libérale !

Bref, un ouvrage grand public bien loin des « c’était mieux avant ! » qui nous empêchent de réfléchir, un livre qui invite à la réflexion sur ce qu’il convient de faire pour ne pas rater le rendez-vous du futur.

Jean-Michel Zakhartchouk