Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Le rapport à l’école des élèves de milieux populaires

Face au constat de la croissance des inégalités scolaires en écriture et lecture dès l’école primaire, Jacques Bernardin revient dans l’ouvrage sur les recherches qui, en prenant en compte les différences de genre et les conceptions et pratiques des familles, à tous les niveaux de la scolarité, ont mis au jour des causes possibles de difficultés ou d’échec scolaire de certains élèves dans leur confrontation à la culture écrite dont l’école est porteuse. Les causes, ici étudiées, trouvent leur origine dans des constructions sociales et familiales. Elles ne sont donc pas celles qui pourraient résider dans les choix didactiques de l’apprentissage du lire et écrire, ce n’est pas l’objet de l’ouvrage.

Ce retour sur des recherches, dont celles de l’auteur, peut être lu dans un double objectif : permettre de comprendre et mettre au jour la construction sociale des difficultés d’une partie de la population scolaire mais également en identifier les effets différenciateurs, au sein même de l’école, dans la façon dont celle-ci, dans ses pratiques ordinaires, peut accroître plutôt que réduire les différences sociales si elle ne prend pas en considération les caractéristiques des élèves éloignés de la culture scolaire dans ce domaine de l’écrit. Ces caractéristiques peuvent ainsi se transformer en obstacles du fait des rapports des élèves à l’apprentissage, à l’école, à l’écrit et la lecture. Mais pour l’auteur, l’école peut agir car « la socialisation scolaire est déterminante pour conforter ou infléchir le rapport à l’école ».

L’ouvrage s’ouvre sur un questionnement sociologique qui introduit, dans un grand premier chapitre, une synthèse des recherches sur le rapport à l’école, au langage, à l’écrit (lecture et écriture), à l’apprendre. L’auteur y présente dans le détail les composantes de ces « rapports à » des élèves des différents niveaux scolaire de la première année de l’école primaire au début de l’école secondaire, car elles permettent de comprendre ce qui sous-tend les différences entre les élèves et les difficultés de certains. Il décrit également les processus qui accompagnent ces « rapports à » lors de la mise en œuvre du travail scolaire, et plus précisément ceux qui concernent la lecture ou l’écrit. Cette partie fait apparaître, de façon évidente, des constantes, des récurrences, des cohérences. Celles-ci conduisent à établir des profils d’élèves. L’auteur identifie par exemple les élèves actifs-chercheurs et les élèves passifs-récepteurs ou les caractéristiques des lecteurs dits « fragiles ».

Les descriptions présentées ici mettent également au jour les malentendus qui règnent entre les enseignants et les élèves, comme entre les familles et l’école, concernant les objets et les conditions d’apprentissage. C’est à la description de l’école comme univers de l’écrit et à celle des pratiques enseignantes dominantes actuellement que sont consacrés les deux autres chapitres de l’ouvrage. Ils mettent en lumière non seulement la nécessité pour certains élèves d’avoir à effectuer une transformation de leur rapport à l’école, à l’apprendre et à l’écrit, mais aussi le rôle parfois peu facilitateur des pratiques de classe. Les pratiques enseignantes dominantes sont analysées du point de vue des difficultés qu’elles présentent, à l’insu des enseignants eux-mêmes, pour les élèves éloignées de la culture écrite scolaire du fait de leurs habitudes familiales, elles aussi décrites.

Des élèves peuvent ainsi être confrontés à de véritables obstacles non seulement quand les pratiques enseignantes et le travail scolaire reposent sur un cadrage flou, sur la sollicitation des objets, des expériences, d’un langage encore, proches de la quotidienneté des élèves. C’est encore le cas, lorsque dans les pratiques de lecture, les enseignants segmentent le texte et font passer les élèves à côté de ce qu’en est la compréhension. L’auteur insiste également sur les dérives de certaines pratiques qui conduisent les élèves et les enseignants à valoriser le faire, la réalisation des tâches, au détriment de l’apprendre (grâce à l’activité). Il développe encore les confusions qui existent souvent entre motiver l’élève, ce qui permet à ce dernier de s’investir dans le travail, mais qui est aussi fréquemment une motivation extérieure à l’activité et surtout liée à la situation immédiate et conjoncturelle, et le mobiliser sur les apprentissages, mobilisation qui est un moteur interne pour apprendre et s’inscrit dans la durée. Certains élèves, ceux que les familles ne peuvent aider à construire le sens cognitif, le sens d’apprentissage des activités scolaires, restent alors dans les malentendus et la confusion et passent à côté de l’identification des objectifs et des objets des activités scolaire.

L’ouvrage était ambitieux. Il est à la hauteur de ces ambitions. Il rappelle des recherches déjà anciennes, puisque les premières débutent dans les années 1990, mais dont les résultats sont malheureusement toujours d’actualité. Il fait apparaître ces recherches non seulement dans leur cohérence et leur pérennité mais dans une présentation qui les rend lisibles. Cette lisibilité est accrue par la dernière partie de l’ouvrage qui présente des exemples d’activités et de situations permettant d’éviter les dérives évoquées et de combler les manques de certaines pratiques actuelles. Il donne ainsi des éléments aux futurs enseignants, enseignants et leurs formateurs pour (re)penser leurs pratiques et les situations auxquelles ils sont quotidiennement confrontés.

Élisabeth Bautier