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La France enfin première de la classe

Pour la journaliste spécialisée du « Monde », si notre système éducatif veut remonter la pente, il est indispensable d’aller voir du côté des recherches et des expérimentations en découlant. Le danger de l’applicationnisme est toujours présent, mais peut-on se contenter de suivre son feeling et le soi-disant bon sens. Un livre discutable au bon sens du terme, solidement documenté et stimulant.

Après avoir lu ce livre de la journaliste spécialiste éducation du Monde , j’ai été voir des réactions d’internautes, et beaucoup confirment le constat de Maryline Baumard : on préfère dans les débats sur l’école adopter un point de vue « religieux » avec une forte charge affective, plutôt que raisonner sur des faits (voir par exemple les commentaires sur le blog de Claude Lelièvre et les fatigantes accusations de complot néo-libéral et de destruction de notre si belle école républicaine au profit d’une américanisation, etc.). Il est beaucoup plus intéressant de lire vraiment cet ouvrage pour en discuter au besoin certaines affirmations, certains développements. L’ambition de l’auteure est de faire partager au grand public un certain nombre de travaux autour de l’éducation afin d’examiner lucidement quels seraient les moyens sinon de confirmer l’objectif un peu racoleur affiché dans le titre, du moins d’améliorer l’efficacité de notre école, ce dont elle a bien besoin. Une enquête solide, documentée, et on appréciera le ton nuancé, l’absence d’imprécations et d’invectives et un regard finalement contrasté sur les atouts et les faiblesses de notre école.

Partant de l’enquête PISA (celle de 2009, le livre étant paru à la veille de PISA 2012), M. Baumard se demande donc comment on pourrait faire pour « inverser la courbe » du déclin de notre école, surtout en matière d’inégalités. Une des manières serait de prendre en compte davantage ce que nous disent diverses études internationales, diverses expérimentations qui auraient fait leur preuve. L’auteure, au départ, nous explique comment est né PISA et ajoute que l’important est aussi de disposer de plusieurs sources évaluatives, ce qu’oublient les « pisaphobes » qui négligent les résultats concordants pour la France de PIRLS ou de la DEPP . Puis, elle nous propose un voyage au pays des chercheurs, outre Atlantique, mais aussi dans le laboratoire de Stanislas Dehaine, et des expérimentateurs (par exemple du dispositif PARLER), avec également un détour vers l’Asie pour nous aider à comprendre les performances étonnantes de certains pays en mathématiques. Même si elle reste prudente, l’auteure utilise souvent le mot de « preuves » et s’engage parfois un peu loin dans la validation de recherches qui restent encore objet de discussion. Entre scientisme applicationniste et scepticisme généralisé devant les travaux scientifiques qui conduit à une confiance un peu dérisoire dans le « bon sens » et le poids des traditions, il y a la place pour une discussion sérieuse, d’où la recherche de l’efficacité ne doit pas être écartée au nom de considérations idéologiques, surtout quand il s’agit bien de faire réussir ceux qui actuellement échouent massivement. D’ailleurs, la possibilité de critique (méthodologique en particulier) n’est-elle pas un critère de scientificité? Il n’est pas sûr que la communauté scientifique soit unanime pour approuver les thèses de Esther Duflo sur les moyens de faire avancer l’éducation dans le monde et surtout sa transposition dans nos pays. Il n’est pas sûr que les travaux de Stanislas Dehaene indiquent de façon incontestable la marche à suivre pour l’apprentissage de la lecture. On lira par exemple, dans son journal, la réponse très précise de Roland Goigoux&action_type_map=[%22og.recommends%22]&action_ref_map=[]], qu’on aurait d’ailleurs aimé voir présent dans le livre et qui, lui, n’en reste pas à des opinions toutes faites, qui peuvent guetter le chercheur lorsqu’il est acharné à montrer la supériorité de la « méthode syllabique ». Quant aux programmes expérimentaux, et Maryline Baumard le note d’ailleurs, il est bien difficile d’en tirer ces fameuses « bonnes pratiques » que plusieurs ministres ont rêvé d’instaurer. Voir à cet égard le très intéressant rapport de l’Inspection générale sur le programme PARLER lancé par Michel Zorman. Ici même, Viviane Bouysse co-auteure, écrivait : « des « pratiques » sont-elles reproductibles, en éducation ? Je ne le crois pas car, outre le charisme propre à chaque individu, la charge de travail qu’il peut fournir, sa conception de son rôle d’éducateur-didacticien, sa connaissance et sa compréhension fines des objets d’étude sont pleinement engagées dans ses pratiques ». Un dispositif cité comme la Malette des parents a été certes évalué positivement, mais de la manière de le mettre en œuvre dépend son efficacité sur le long terme.

Il est toujours risqué, on le sait, de se référer aux neurosciences. Un ministre, Gilles de Robien, l’ a fait de manière caricaturale. L’auteure connait trop la complexité du monde enseignant pour penser que l’application directe, dans un champ théorique encore mouvant d’ailleurs, serait souhaitable. En même temps, elle note à juste titre la nocivité de l’absolutisation de la sacro-sainte « liberté pédagogique » qui permet de perpétuer des pratiques que l’on sait nocives. L’auteure, il est vrai, sait en plusieurs endroits ne pas en rester à la superficie et examiner les objections, les limites, les contestations de telle ou telle étude. Mais son message essentiel reste qu’il faut s’intéresser aux recherches, comme ces études sur la manière d’apprendre à manipuler les nombres selon qu’on est en France, aux USA ou dans les pays asiatiques, ainsi qu’aux conférences de consensus comme celle sur la lecture qui avait été si fructueuse, mais si peu suivie d’effets. Certaines études nous incitent à bousculer nos certitudes. Par exemple sur l’importance des correspondances graphie-phonie ou sur le calcul mental. Ressort aussi l’idée de la fécondité dans tous les cas de mener des pratiques réflexives avec les élèves , de verbaliser ce qu’on fait ou ce qu’on va faire. Certaines conclusions de recherches citées ici ne plairont pas forcément aux adeptes d’une pédagogie plutôt constructiviste, d’autres vont dans le sens d’une implication active des élèves (les pages sur la pédagogie Montessori par exemple). On a envie de s’insurger contre les « programmes » trop enfermants de certaines écoles (l’expérience de la Floride par exemple, qu’il faudrait sans doute analyser de plus près, et on s’étonne au passage que Maryline Baumard ne semble voir que des aspects positifs de la politique éducative sous Georges Bush), on pourrait discuter longuement certaines affirmations rapides, et en particulier les comparaisons fréquentes entre école et médecine.

Mais la valorisation de recherches en sciences de l’éducation est trop rare dans le domaine médiatique pour ne pas être saluée, même si on aurait aimé voir une part plus importante donnée aux études sociologiques, aux travaux qui montrent l’importance de la coopération ou de l’évaluation formative. Il faudrait pousser plus loin également la définition de ce que peut être une « pédagogie explicite », car il semble que tout le monde ne mette pas la même chose derrière cette notion.

Reste un livre dont on appréciera l’honnêteté (à mille lieux des pamphlets à la Sophie Coignard), qui invite à lire de plus près les auteurs cités, les rapports, et une vision somme toute optimiste de l’école, puisque ce qui ressort, c’est que les marges de manœuvre sont importantes et qu’on est loin d’avoir « tout essayé »…

Jean-Michel Zakhartchouk