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L’élève humilié -L’école, un espace de non-droit ?

Injures diverses, copies rendues par ordre décroissant, lecture à haute voix des plus mauvaises, répartition géographique des élèves dans la classe en fonction des notes obtenues (une rangée de bons, une rangée de moyens, une rangée de mauvais), la liste est bien plus longue encore. Tous ces éléments peuvent nous sembler aujourd’hui disparus et relever des souvenirs des plus âgés d’entre nous mais le livre de Pierre Merle nous rappelle qu’ils sont encore une réalité. L’humiliation des élèves a seulement changé de forme.
Pierre Merle a demandé à de jeunes adultes inscrits à l’IUFM de Bretagne de se remémorer un « exemple tiré de leur scolarité d’un droit non respecté » et où ils se sont sentis humiliés. Il s’appuie aussi sur une enquête réalisée auprès d’élèves de collège. C’est à partir de ces matériaux qu’il construit la première partie de son livre. Ce qui apparaît très clairement à partir de ce travail c’est la grande diversité des situations qui provoquent le sentiment d’humiliation des élèves. Cela va de situations apparemment anodines où l’enseignant n’a pas a priori l’intention délibérée d’humilier à des cas où la volonté de nuire est plus manifeste. Les effets ne sont bien sûr pas les mêmes.
Mais, dans ce premier cas, le livre a le mérite d’interroger tous les enseignants dans leurs pratiques. Plutôt que de réagir par un mécanisme de défense qui consisterait à trouver les élèves bien « susceptibles », il convient de se demander comment nos mots, nos actions peuvent blesser des jeunes en construction et entamer leur motivation. Pierre Merle d’ailleurs, ne nie pas que les professeurs vivent aussi des situations d’humiliation en classe mais centre son propos sur ce qui est sûrement moins étudié, ne serait-ce que parce que les élèves n’écrivent pas de livres !
Il est significatif de noter aussi que ce qui arrive souvent en tête, ce sont les situations d’évaluation. Là aussi, le « rabaissement scolaire » est à l’œuvre et interroge l’usage de la notation. P. Merle le dit de manière très nette : « Les humiliations subies par l’élève sont le produit de l’idéologie scolaire du classement qui autorise la mise en exergue de l’élève jugé faible et incapable. » (p. 59) On retrouve ici la filiation avec des travaux plus anciens de Merle sur l’évaluation.
On voit aussi comment celui-ci se situe dans le prolongement des travaux de Bourdieu qui avait, en son temps, mis en évidence la violence symbolique de l’école et son rôle dans la reproduction des positions sociales.
Mais l’explication de ces pratiques, nous dit Merle, est aussi à chercher dans ce qu’il appelle la « perte d’efficacité de la réglementation scolaire » et qui aboutit au recours à l’humiliation pour garantir une autorité dévoyée et le maintien de l’ordre dans la classe par ce type de sanction particulière.
Au final, cela pose la question de la place du droit dans l’école. C’est l’objet de la deuxième partie du livre.
Il y a en effet deux livres en un, ce qu’indique d’ailleurs le sous-titre de l’ouvrage « L’école, un espace de non-droit ? ». Ici, Merle s’appuie sur d’autres travaux menés pour une part dans le cadre d’un « audit collège » réalisé en 1998 et sur des entretiens réalisés auprès de collégiens et de lycéens. Il tente également de faire le point sur les différents textes existants qui régissent les droits des élèves.
Cette deuxième partie est plus classique et moins forte que la première même si elle nous rappelle utilement un certain nombre de faits et de constats, dont celui du décalage entre les textes et les réalités des pratiques dans les établissements. Certes, les règlements intérieurs ont été mis à jour pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions mais cela n’empêche ni les dérives ni les manquements aux règles.
Plus que jamais, le mérite d’un tel livre est de nous obliger à nous interroger sur des questions essentielles, quand on sait combien les sentiments d’injustice et de rabaissement sont des facteurs d’explication majeurs de la violence scolaire.

Philippe Watrelot