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L’apprentissage précoce d’une langue étrangère, le point de vue de la psycholinguistique

Nous disposons tous d’exemples de jeunes enfants qui ont appris vite, sans difficulté et avec un réel succès, une langue qui n’est pas leur langue maternelle. Or, ces observations de la vie courante nourrissent, tout naturellement, les représentations de tout un chacun sur ce qu’implique l’apprentissage d’une langue étrangère. En particulier, elles conduisent à des extrapolations sur la facilité d’apprentissage des langues qu’auraient les jeunes enfants. Nombreux sont ceux qui en déduisent alors que, dans un souci d’efficacité, il devient indispensable de commencer un apprentissage des langues étrangères dès l’école élémentaire, sans attendre le collège. Simplement, avec l’auteur, notons que ces exemples réfèrent à des situations de langue seconde, et non à des situations de langue étrangère.
Cette première méprise rapidement dissipée, D. Gaonac’h ne cherche pas pour autant à remettre en cause l’idée qu’il soit intéressant, au plan pédagogique, de commencer plus tôt l’enseignement des langues étrangères. Le voudrait-il d’ailleurs qu’il ne le pourrait sans doute pas dans le contexte actuel. Seulement il lui semble opportun de prendre quelque distance par rapport à ces idées reçues pour envisager ce que peut être véritablement un enseignement scolaire des langues.
Pour cela, il commence par interroger les sources théoriques qui sont en général convoquées pour défendre le point de vue qu’il est bon d’entreprendre l’enseignement d’une langue étrangère le plus tôt possible.
Dans un premier chapitre, il fait le point sur la notion d’un « âge critique » au-delà duquel le cerveau devenu plus raide, plus rigide ne serait plus aussi disponible pour des acquisitions linguistiques. Il complète ce premier exposé par un rappel des mécanismes qui président à l’acquisition de la langue maternelle, ou tout au moins ceux d’entre eux qui pourraient ouvrir quelques pistes en matière d’apprentissage d’une langue étrangère (ch II).
Cette première partie du travail l’ayant amené à conclure qu’il semble difficile de généraliser ces références au domaine de l’apprentissage d’une seconde langue, il poursuit son examen des données. Dans le chapitre iii, il s’interroge sur les effets que pourrait avoir l’âge d’acquisition d’une seconde langue. En définitive, la précocité de cet apprentissage en situations scolaires habituelles (par opposition aux pédagogies d’immersion) ne semble en aucun cas être le gage d’une meilleure réussite. En revanche, il est clair que les caractéristiques des acquisitions varient avec l’âge des apprenants. C’est pourquoi, dans le chapitre suivant (ch. IV), il revient sur les stratégies d’apprentissage mises en œuvre par les uns ou les autres, en fonction de leur âge.
Les deux derniers chapitres s’organisent plus précisément autour de questions d’enseignement. À partir des évaluations, faites en France et ailleurs, des dispositifs d’enseignement des langues à l’école élémentaire, l’auteur reprend dans le chapitre V la question de savoir à quoi sert l’enseignement d’une langue étrangère à l’école élémentaire. Plusieurs de ces études ayant abouti au constat d’effets positifs au niveau métalinguistique, il s’attache plutôt ici aux retombées entre langue maternelle et langue étrangère. Enfin, dans un dernier chapitre (ch. VI), l’auteur explore les conséquences qu’entraîne le choix de l’institution de passer de la sensibilisation à un véritable apprentissage. Quelles options méthodologiques cela implique-t-il ? Quels choix pédagogiques cela entraîne-t-il ? Et si, alors, le souci d’une meilleure réussite nous conduisait à reconsidérer l’intérêt de la simple répétition afin de créer chez les élèves de vrais automatismes dans la langue cible. On voit par là que le rôle de la mémoire est ici, sans conteste, réhabilité. Pour autant il ne saurait être question de nier l’importance de l’analyse explicite et de la réflexion à partir, notamment, de la manipulation des patterns tout faits qui ont été appris par cœur, ceci dans le but de les « casser ». Ce serait cette nouvelle logique, de source linguistique et psycholinguistique, qui pourrait, avec profit, servir à établir une progression.
Cet ouvrage, très bien structuré, conduit une démonstration que le lecteur suit sans difficulté. Sans rejeter l’approche communicative, l’auteur est déterminé pourtant à ne pas réduire les objectifs assignés à l’enseignement d’une langue étrangère à l’école élémentaire à la simple maîtrise de quelques éléments de base qui permettent la communication. Il insiste sur la nécessité de redéfinir les véritables enjeux de cet apprentissage, lequel doit absolument être réinstallé dans le long terme. Bien entendu, les apports de la psycholinguistique peuvent nous y aider.
Parce qu’il propose un point de vue quelque peu en marge du discours ambiant, cet ouvrage ne peut que contribuer à faire évoluer et à enrichir la réflexion autour de l’apprentissage des langues étrangères. À ce titre, il a toute sa place auprès de ceux intéressés par ces problèmes et tout particulièrement dans les instituts de formation.

Françoise Vigneron