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Favoriser la persévérance scolaire

Il ne suffit pas d’embarquer les élèves sur le navire de l’apprentissage, il faut éviter aussi qu’ils débarquent en cours de route, qu’ils se mutinent parce qu’ils ne voient pas assez tôt la Terre des Indes promise par leur amiral qui les exhorte à la patience, qu’ils éteignent la flamme qu’on a eu du mal à allumer. Il s’agit bien de faire durer motivation et mobilisation, donc de persévérer.

La notion de persévérance scolaire vient du Québec, des années 50, autour de l’idée de poursuite des études par un plus grand nombre d’élèves pour éviter le décrochage. De nombreux programmes de réussite éducative dans ce pays utilisent cette notion comme concept clé, que l’on retrouve aujourd’hui en France dès lors que l’on parle de la lutte contre le décrochage ou de prévention de celui-ci.

Nous utiliserons ici l’expression dans un sens plus large : qu’est-ce qui permet d’inscrire les apprentissages dans la durée, d’encourager les élèves à poursuivre des efforts et à maintenir une attention forte quand les résultats ne peuvent pas être toujours immédiats ou rapides, tout ceci à l’heure du zapping et des excès de vitesse ?

Bien entendu, les coups de menton autoritaires, les exhortations à faire des efforts, les « y’a qu’à », tout cela ne fonctionne pas. Pas plus que la magie de l’activité elle-même. Déclencher la curiosité, l’envie de produire avec la promesse d’une belle réalisation, mettre en route un projet, tout cela n’est finalement pas trop difficile. Mais a-t-on su dès le départ prévoir les obstacles, les découragements, l’ennui qui peut naitre quand l’attrait de la nouveauté n’est plus au rendez-vous ?

Ce qui ne marche guère, contrairement aux croyances, c’est la carotte et le bâton. Il faut avoir l’esprit tordu de certains politiciens conservateurs pour penser que les notes suffisent à motiver, surtout la crainte des mauvaises. Mais diverses expériences ont été relatées qui montrent que la promesse de la récompense peut avoir des effets positifs à court terme, mais bien plus négatifs à long terme. Du moins quand cette récompense est purement marchande[[voir par exemple des expériences relatées par Alain Lieury et Fabien Fenouillet, dans Motivation et réussite scolaire, éditions Dunod, 2013.]]

Dix pistes

Le mieux sans doute est de partir des obstacles à cette persévérance pour construire son activité, en partant de l’idée de Jean-Pierre Astolfi de « l’objectif obstacle ». Dès lors, on va chercher à renforcer ce qui maintient le feu allumé, même si, par moments, il ne brule que faiblement et qu’on peut le croire éteint. Je propose ici dix pistes fondées avant tout sur ma pratique, notamment celle de projets sur une période plus ou moins longue, dans ma discipline ou en interdisciplinarité.

  • Ne pas partir trop vite, mais prendre le temps de s’approprier un projet

Il est souvent important de passer un peu de temps à expliciter ce qu’on va faire, à travailler sur les représentations que se font les élèves, à opérer des jonctions avec ce qu’on faisait avant, à bien faire comprendre comment tel apprentissage s’inscrit dans une continuité. Ce n’est cependant pas contradictoire avec la nécessité d’avoir recours au démarrage au plein cœur de l’action (in medias res) et de ne pas multiplier les préalables et les introductions interminables à travers le discours du professeur. La variété des démarrages reste un impératif qui bouscule les dogmes parfois répandus lors de formations.

  • Ne pas promettre la lune, mieux vaut moins mais mieux

Rien de plus décourageant pour les élèves que de constater à la fin d’un projet qui scintillait de mille lumières que finalement, on n’a pas pu réaliser telle production, qu’on n’a pu faire telle sortie prévue, qu’on « n’a pas eu le temps de… ». Certes, des impondérables existent, mais dans l’ensemble, il faut aller le plus loin possible dans la réalisation de promesses, ou alors moins promettre et davantage réaliser. Des enquêtes ont montré qu’un des reproches majeurs faits par des collégiens aux professeurs est de ne pas toujours faire ce qu’ils avaient annoncé. Dès lors, cela peut leur ôter l’envie de persévérer !

  • Accepter les baisses de régime et en parler en classe

Il est normal que dans le cours d’un projet, des élèves se relâchent, n’acceptent pas forcément le travail patient et plus austère qui suit les moments plus ludiques, plus attrayants. Écrire un premier jet sur son ressenti ou dans le cadre d’un travail d’écriture au long cours, cela marche bien. Mais quand il faut reprendre et reprendre encore son texte, en utilisant des outils pas toujours évidents, en allant piocher dans un cours de grammaire ou dans des documents parfois pas simples, c’est une autre paire de manches. Dire aux élèves « oui, c’est difficile  » est déjà une bonne façon de reconnaitre ces difficultés au lieu de se complaire dans les reproches inutiles ou les avertissements stressants tel « si vous continuez, on n’y arrivera jamais !  ».

  • Trouver des occasions de relance, bien placer quelques temps forts

Justement, quand l’effort s’affaiblit, il faut trouver des moyens de relancer l’envie, de donner envie de continuer. Par exemple, en prévoyant dans le cadre d’un projet long des moments de réalisation partielle qui laissent entrevoir la production finale. Ou montrer des réalisations d’autres élèves pour donner un aperçu du résultat espéré. Et prévoir un temps fort, du type sortie. Je me souviens de l’impact d’une visite du musée du quai Branly sur un travail sur l’année autour du développement durable qui a vraiment donné un second souffle à ce projet interdisciplinaire français-géographie.

  • Jouer sur plusieurs registres, pour répondre aux sources diverses de motivation

On le sait : tout le monde n’est pas motivé par les mêmes moteurs. Certains le sont davantage par le résultat, la récompense finale, le but à atteindre, d’autres par l’activité elle-même, le plaisir de chercher ou de travailler de façon collaborative. Il faut jouer sur différents registres, sans valoriser à l’excès telle ou telle source. L’idée dans un projet que des élèves y cherchent aussi leur intérêt sur le plan strict de l’évaluation, de la note n’a rien de choquant. Mais on ne doit pas non plus utiliser ce seul paramètre.

  • Faire le point régulièrement : on sait où on va

Les moments de régulation, de bilans intermédiaires sont très importants. Ils rejoignent ce qui est dit plus haut sur la nécessaire relance périodique de la motivation. Les carnets de bord, les séances réflexives aident à donner du sens à l’activité, mais surtout permettent de relier ce qu’on fait à des compétences, à des apprentissages. Car les élèves parfois peuvent douter : ce qu’on fait là, ludique, « rigolo », est-ce bien sérieux ? Ne va-t-on pas « prendre du retard » ?

  • Tenir bon, mais avec souplesse. Il peut être utile de prendre des itinéraires verts

Il y a quelques années, j’ai souvenir d’une journée de formation continue où je revis des stagiaires qui devaient mettre en œuvre une séquence préparée la première journée un ou deux mois avant. L’une d’elles s’exclama qu’elle avait abandonné, car les élèves s’étaient lassés. Il est certain, si on semble ne pas y croire, si on n’anticipe pas la lassitude comme nous l’avons dit, si on prend prétexte de la versatilité de quelques-uns, si normale dans notre société de la nouveauté permanente, pour renoncer, alors fonctionnera pleinement le processus bien connu de la prophétie autoréalisatrice: vous voyez bien que ça ne marche pas! En réalité, il faut bien savoir être souple, sortir du cadre quand cela s’avère nécessaire tout en respectant l’essentiel de ce que nous avons prévu. L’itinéraire vert est un autre moyen d’atteindre le but, mais il s’agit bien d’arriver là où on a prévu d’arriver.

  • Avoir toujours comme horizon l’apprentissage par tous et non la réussite du projet grâce à quelques-uns

Philippe Meirieu nous a mis en garde depuis longtemps : dans un projet, dans une activité où l’on réalise une production notamment, l’essentiel est bien ce que les élèves apprennent. Certes, il s’agit de valoriser les talents et de permettre aux atouts de chacun de se déployer. Certes, la réalisation doit être aussi bonne que possible. Mais l’horizon reste : qu’est-ce que les élèves auront appris ? Quitte à parvenir à un résultat plus modeste parce qu’on n’aura pas divisé à l’excès le travail, parce que les meilleurs à l’oral n’auront pas eu le premier rôle théâtral, parce que des groupes de travail auront intégré des élèves plus en difficulté à qui on confiera des tâches, même si ça ralentit la réalisation. Reste à tenir compte dans l’évaluation du processus, des efforts réalisés et pas seulement de la performance. Les enseignants d’EPS sont souvent en avance pour ce faire.

  • Donner une image de persévérance soi-même : rien de tel que la mobilisation de l’enseignant pour mobiliser les élèves

Bien entendu, pour motiver, il faut être à la fois motivé et motivant, mobilisé et mobilisateur. Chercher avec les élèves, montrer le plaisir intellectuel qu’on a à apprendre dans un projet ou dans une activité où l’on apprend nous aussi (et à cet égard, un travail un peu pointu dans un EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) sera une bonne occasion d’aller chercher des informations précises par exemple sur l’importance du scorbut et de trouver le moyen de le combattre (thème historique des Grandes Découvertes)ou sur les différentes divinités du Soleil et la Lune dans l’Antiquité (thématique de l’astronomie). Comment pourrait-on prôner la persévérance -et la rigueur dans la recherchesi on ne montre pas l’exemple?

  • Dédramatiser, apaiser, ruser

Je me rends compte parfois que dans certains projets, mon envie que ça se réalise au mieux pouvait provoquer une impatience de mauvais aloi. Comment trouver le bon équilibre entre le volontarisme, qui s’efforce, parfois avec succès, à transmettre la fièvre de la réalisation et pousse certains élèves à rester pendant la récréation, et un comportement plus paisible, qui dédramatise ? Probablement chaque enseignant doit-il utiliser son tempérament ou son profil personnel, sans pour autant oublier d’ intégrer d’autres manières de faire des élèves, d’autres façons de travailler. Et d’ailleurs, c’est toute la vertu de la coanimation que de pouvoir davantage réaliser cet équilibre, l’un poussant parfois à accélérer, l’autre incitant à une marche plus douce et plus paisible. Et, bien sûr, utiliser constamment cette ruse pédagogique et ses formulations bien connues de certains : laisser du choix aux élèves, même un choix limité, pousse à agir, faire mettre un pied dans la porte permet un engagement plus grand, un encouragement physique du type toucher d’épaule augmente la motivation, etc. (voir Petit traité de manipulation volontaire de Joule et Beauvois).

Bref, aucune recette miracle, pas de Petit guide en dix leçons pour faire persévérer dans l’effort, mais des indications à manier à sa guise pour éviter les feux de paille.

Jean-Michel Zakhartchouk
Professeur honoraire de lettres

Sur la librairie :

S’embarquer dans les apprentissages
Comment embarquer les élèves dans les apprentissages, pour qu’ils aient l’envie et le plaisir d’apprendre ? Comment développer leur implication et leur engagement dans leurs apprentissages ? Certains dispositifs pédagogiques favorisent-ils la motivation et la mobilisation des élèves ? Pour quelle efficacité et quelles exigences ?