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Faire apprendre l’histoire, Pratiques et fondements d’une didactique de l’enquête en classe du secondaire

« Le docteur de la vérité catholique doit non seulement enseigner les plus avancés, mais aussi instruire les commençants… Notre intention est donc, dans cet ouvrage, d’exposer ce qui concerne la religion chrétienne de la façon la plus convenable à la formation des débutants (…) nous tenterons, confiants dans le pouvoir divin, de présenter la doctrine sacrée brièvement et clairement, autant que la matière le permettra ».
Thomas d’Aquin, Summa theologiae, 1266-1273.

Toute proportion gardée, le livre de Jean Louis Jadoulle est une somme. A l’image de Thomas d’Aquin, il réussit le tour de force de s’adresser autant aux « commençants » qu’aux « plus avancés » et donne à lire une vision cohérente et militante de ce que peut-être l’enseignement de l’histoire. Mais ici s’arrête l’analogie : la doctrine de Jean Louis Jadoulle n’a rien de sacré ! A l’inverse d’une vérité révélée, il la présente comme un savoir en construction issu d’un fécond dialogue entre des pratiques de classe éprouvées et une érudition didactique sans faille. Chaque proposition est fondée sur des travaux de recherche La lecture est est facilitée par la diversité des modes d’écriture : le texte alterne avec les schémas heuristiques, au fil des pages reviennent des paragraphes intitulés « l’essentiel » permettent au lecteur pressé de s’y retrouver dans le foisonnement des idées.

L’équilibre entre « théorie » et « pratique » est particulièrement réussi. Deux courtes parties davantage théoriques d’une quarantaine de pages chacune encadrent une importante partie à visée plus pratique.

« Apprendre l’histoire, c’est apprendre quoi ? » interroge la première partie. Elle repose sur une distinction très parlante entre les « savoirs que » et tous les autres savoirs en jeu dans la classe d’histoire : concepts, « savoirs comment », savoirs de méthode et de perspective historienne, savoirs sur la temporalité historique, attitudes, comportements, valeurs et pose que les premiers (les « savoirs que ») prennent sens dans la construction de tous les autres.

L’auteur a placé en fin d’ouvrage trois chapitres consacrés aux « Fondements épistémologiques, psychopédagogiques et éducatifs » dans lesquels les lecteurs des Cahiers Pédagogiques se retrouveront. Il y justifie par exemple une forme d’isomorphisme entre le travail de l’historien et le travail d’enquête proposé aux élèves en montrant ce qui fonde la similitude des démarches mais aussi ce qui les différencie et qui réside dans la relation d’enseignement-apprentissage.

C’est à ce travail conjoint de l’enseignant d’histoire et de ses élèves qu’est consacré la partie centrale de l’ouvrage, malicieusement intitulée : « Apprendre à faire apprendre l’histoire : oui mais comment ? ».

L’enquête par « apprentissage recherche » est préférée à « l’exposé-récit » ou au « discours découverte » parce qu’elle peut inclure ces deux autres formes. Jean Louis Jadoulle en fournit un mode d’emploi détaillé. Les propositions pratiques s’enchaînent : comment définir les objectifs, choisir l’objet ou la question de recherche, élaborer des consignes et un questionnement, les documents, utiliser le tableau, travailler la prise de notes, illustrées par des exemples réalisés dans des classes ou travaillés en formation et immédiatement transposables (j’ai adopté le travail sur la problématisation autour de la Révolution Industrielle), sont accompagnées d’une réflexion poussée sur l’usage des concepts, de la temporalité qui donne par exemple des idées nombreuses pour renouveler l’usages des lignes du temps en classe.

Le chapitre consacré aux compétences offre une comparaison passionnante des référentiels des compétences en histoire dans quatre systèmes éducatifs francophones. Il en ressort que les choix français sont les moins cohérents et surtout les moins opérationnalisables dans une didactique de l’enquête.

Cette perspective comparatiste, la mobilisation d’un très large éventail de références théoriques, le souci constant d’une démarche critique, tout cela éloigne cet ouvrage du modèle de la « somme théologique » et le rapproche bien davantage du modèle humaniste d’Erasme. N’est-ce pas d’ailleurs le nom de la maison d’édition sur le site de laquelle on prolongera la lecture par de beaux exemples documentés et une savoureuse interview de l’auteur.

Yannick Mével