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Des stratégies de réussite, au fil des ans

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En début de carrière, il y a quelques trente ans, confrontée à des classes de 30 à 40 élèves, différencier ne faisait pas partie de mes objectifs prioritaires.
Enseignant selon mes propres représentations, chaque domaine disciplinaire devait selon les programmes être transmis soigneusement à l’image d’une commode aux tiroirs impeccablement ordonnés mais surtout bien distincts les uns des autres.
Leçon puis exercices d’application, on passait alors à la leçon suivante avec des « compositions » de fin de trimestre. Le maître dirige, explique, les élèves suivent : une démarche où l’élève est objet d’apprentissage, plus couramment appelée démarche frontale……….. Qui n’avait pas que des défauts !
Aux élèves en difficulté, on donnait davantage d’exercices, souvent à faire à la maison !
Le soutien n’ayant pas sa place en classe.

Différencier les structures
La réforme Haby, en 1975, amena la pédagogie de soutien (décembre 1976), comprise souvent comme pédagogie de niveau, davantage pour le bonheur de l’élève précoce, heureux de rencontrer d’autres esprits dont le fonctionnement lui rappelait le sien. Les élèves en difficulté avaient des séances de rattrapage ou étaient répartis dans des groupes de niveau, mais l’écart se creusait toujours davantage car les « bons » avançaient toujours plus vite que les « nuls » !
On devait donc prévoir dans l’emploi du temps un moment pour les aider, ce qui consistait à leur faire recommencer ce qu’ils n’avaient pas compris et rarement le leur faire comprendre autrement.
Ayant travaillé plusieurs années avec des classes de « niveau faible », il m’était très difficile, voire impossible, de prouver aux enseignants et à leurs élèves issus de classes dites « normales » que tout enfant est capable de réussite au sein de l’école. Que d’humiliations alors !

L’hétérogénéité des élèves fut toujours pour moi un des « nœuds gordiens » de l’enseignement. En effet, comment gérer ces élèves qui arrivent avec toutes leurs différences et que l’on regroupe dans une même tranche d’âge, devant obligatoirement acquérir les mêmes apprentissages, au même moment !
Mission impossible qui me renvoyait à un échec chronique !
Et cette question qui revenait sans cesse: comment puis-je amener tous mes élèves, de septembre à juin, à gravir la marche supérieure de l’escalier sur lequel ils se trouvent ? Et, la plupart du temps, les uns montent pendant que les autres y stationnent et parfois en redescendent !

Vers une différenciation des contenus d’apprentissages
La réforme des cycles, en 1989, m’a semblé une réponse possible ! On allait respecter les rythmes des élèves et leur donner à tous la possibilité d’acquérir les apprentissages nécessaires au passage d’un cycle à l’autre. Mais par manque de moyens, de compréhension et de coopération, elle est encore si peu appliquée ! Les programmes par année dans le cycle sont encore prioritaires face aux objectifs.
Dans le même moment, on instaure les groupes de besoin destinés à combler ponctuellement les lacunes de certains élèves. Centrés sur un objectif d’apprentissage précis, ces groupes d’élèves vont pouvoir franchir les obstacles repérés, accompagnés certes, mais avec une part d’autonomie qui va leur permettre de percevoir qu’ils progressent.  » De quoi ai-je besoin ? «  Apprendre à reconnaître des outils, comprendre ce que l’on attend d’eux. Le sens de l’activité doit être clair même s’il s’agit de s’entraîner pour mieux maîtriser une capacité ou un mécanisme.

Nous sommes ici dans le cadre de la remédiation : la différenciation intervient après le constat de la difficulté. Cette démarche se pratique après la séance d’apprentissage complétée par une évaluation. Cette dernière entraîne logiquement pour chacun soit une remédiation, soit un approfondissement de la notion.
J’ai abordée la différenciation en mettant en œuvre cette pédagogie de nombreuses fois. En voici un exemple :

Expérience positive ++ : Cycle 3, CM2 : Résolution de problème : articuler les étapes intermédiaires

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Cette séance travaillée avec une collègue dans sa classe, fut l’occasion pour les élèves de reprendre leur souffle ! Celle-ci a pu aussi s’occuper davantage des élèves les plus en difficulté. Mais la compétence travaillée, trop complexe, n’a pas réellement permis d’évaluer les progrès obtenus. Des séances similaires ont lieu occasionnellement lorsqu’une compétence concernant un apprentissage plus technique ou structural n’est pas acquise par tous (technique opératoire, notion grammaticale…), avec un niveau de réussite plus élevé et peut-être aussi plus quantifiable.

La pédagogie de projet
Certains pédagogues maîtrisant bien le concept de différenciation l’ont défini : ainsi Philippe Meirieu écrit : « différencier, c’est multiplier les projets possibles et permettre de diversifier les itinéraires pour que les sujets les plus divers puissent s’en saisir….. »
Motiver les élèves à l’aide de projets courts ou longs me semblait une évidence dès mes premières années d’enseignement. Mais sous l’angle de la différenciation mes objectifs ont évolué afin que ce projet au départ le mien devienne celui de l’élève.
Le projet permet de différencier les contenus d’apprentissage, les élèves sont répartis en plusieurs groupes et travaillent chacun sur des contenus différents :
– Exemple à partir de « Je construis mon propre album », d’une classe de CM2/CE2/CLIS.
Projet sur l’année avec un degré de réussite ++++.
Les Arts Visuels et la Maîtrise de la langue sont deux des disciplines majeures du projet.
Divisé en sept périodes progressives et bien distinctes les unes des autres pour renouveler la motivation des élèves, ce projet de classe fut différencié, non dans la mise en œuvre des compétences de cycle III, mais dans les contenus abordés.
Classe à double niveau, dans laquelle les trois élèves de CLIS, à certains moments, pouvaient voguer d’un groupe à l’autre selon les savoirs et savoir-faire mis en œuvre.
Un exemple en Sciences : travail durant six semaines sur « le loup » au travers des différents types de textes (albums, il y en a plus de soixante ! contes, romans, documentaires…), en Maîtrise de la langue, mais aussi en Sciences, sous forme d’exposés validés par la mutualisation :
* les CM2, travaillant l’évolution du loup depuis les origines, les animaux de la même famille, et en extension : le loup dans la mythologie, les légendes, les fables, les poésies et les chansons.
* les CE2, ont travaillé tout ce qui avait trait à la vie de l’animal (alimentation, habitat, reproduction, comportement, langage, chasse.)
* les CLIS, ont travaillé, à partir de représentations iconographiques et schématisées, le portrait physique de l’animal.
Parmi ces trois groupes bien distincts, certains CE2 ont rejoint des CM2 et réciproquement, et une CE2 s’est rapprochée des élèves de CLIS.
Les élèves ont pris en main la construction de leur savoir, en élaborant le traitement des informations qu’ils devaient ensuite communiquer à leurs camarades.
La stratégie d’enseignement proposée par Britt Mary Barth m’a interpelée par son point de vue assez proche. J’ai donc essayé de l’appliquer dans ma classe.

Différencier en élaborant un concept : Britt Mary Barth
Comment aider les élèves à construire leur savoir ? Par la comparaison d’exemples et de contre-exemples. Comparer va permettre d’écarter les attributs secondaires et d’extraire les attributs essentiels.
La démarche scindée en trois étapes principales permet de donner des points d’appui aux élèves ayant du mal à se structurer tout en leur laissant la liberté d’avancer à leur rythme :

  • La 1ère est une phase d’observation, d’exploration, avec émission d’hypothèses.
  • La 2ème, le traitement analytique des hypothèses, avec la recherche des éléments convergents.
  • La 3ème est la prise de conscience du processus de conceptualisation, avec reprise d’exemples amenant l’explicitation de nouveaux attributs essentiels du concept.

Chaque élève franchissant les étapes à son rythme, l’enseignant(e) peut se rendre compte de l’hétérogénéité de sa classe et ainsi ajuster sa pédagogie selon le parcours de chacun.
Mais ce processus est complexe. Le choix des exemples doit être pertinent et nécessite du temps et de la réflexion.
Ex : en Mathématiques : les parallèles, perpendiculaires, polygones….en Français : adjectif qualificatif, le complément du nom… En Géographie : paysage urbain et rural, mer et montagne….)
Un exemple : le concept de République démocratique, dans une classe de CE2, très hétérogène.
A partir d’étiquettes à classer avec exemples et contre-exemples, il y eut recherche d’attributs.
Très rapidement, certains élèves, arrêtés dès la phase d’exploration, ont été regroupés momentanément afin de bénéficier d’une aide pour franchir l’étape…
Aucun élève ne pouvait en franchir une en sautant la précédente. Ainsi la progression de chacun était visible et me permettait d’avoir à la fin des deux séances une connaissance approfondie des parcours individuels.
Cette démarche innovante est intéressante à mettre en œuvre pour certains concepts très précis. Par contre, elle a quelques limites dans la mesure où elle est relativement répétitive. Une fois que les élèves ont compris, on la réemploie et alors logiquement, ils s’en lassent faute de motivation suffisante. De plus, au niveau de mon analyse, j’étais également dans une phase transitoire : j’ai alors choisi de former des groupes de besoins plus facilement adaptables.
Puis, finalement, il y a quelques temps, j’ai découvert par l’intermédiaire d’un ami Bruno Hourst, la théorie des Intelligences Multiples.

Différencier selon les profils d’intelligence :
La théorie des intelligences Multiples est un modèle cognitif mis au point par le psychologue Howard Gardner, dans les années 1980. Chacune des huit intelligences qu’il a retenues a une histoire évolutioniste, son propre système de symboles et une localisation spécifique dans le cerveau. Chaque personne possèderait ces huit intelligences à des degrés différents.
Exploiter les I.M. signifie que l’on offre aux élèves la possibilité d’utiliser des intelligences autres que les I. linguistique et logico-mathématique dans leur travail quotidien en classe. L’objectif serait que les élèves puissent utiliser leurs intelligences fortes, dans certains apprentissages, afin de les aider à améliorer leurs intelligences plus faibles. Chaque élève est considéré comme un individu qui a ses particularités. L’enseignant, progressivement, au quotidien, change son regard sur lui même et ses élèves pour mieux appréhender ses propres capacités et les leurs.
Travailler un apprentissage gràce aux intelligences multiples, permettrait d’offrir aux élèves de multiples entrées pour aborder un domaine. Ainsi grâce à cette diversité les élèves sont plus à même d’appréhender, de comprendre et d »intégrer de nouveaux domaines d’apprentissages.

En voici un exemple expérimenté dans une classe de CM2, avec un degré de réussite ++++ :
Histoire, la 1ère guerre mondiale
Propositions pour huit groupes d’élèves, sur 3 séances, la dernière faisant la synthèse par les élèves du travail des groupes et la trace écrite.

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Une séquence réussie ? oui !
En premier, grâce à la motivation de l’enseignante, désirant intéresser tous ses élèves.
En second, par la répartition « fine » des élèves dans les groupes : nous avons préféré nous appuyer sur leurs intelligences fortes. Comment ? allez-vous nous demander.
Chaque enseignant(e) connaît très rapidement ses élèves, et est capable de percevoir ceux qui s’intéressent aux domaines plutôt verbal-linguistique, logico-mathématique, inter ou intra-personnel, les bons en sport, en Arts Visuels… à partir de ce constat, et des évaluations faites pendant les apprentissages, nous avons orienté ceux qui aiment lire vers l’activité verbale-linguistique, ceux démontrant un esprit logique et capables de résoudre facilement des problèmes vers l’activité logico-mathématiques. Les élèves difficilement concentrés, peu attirés par la lecture mais mélomanes se tournèrent vers l’activité musicale. Comme cette activité ne prit que les _ de la 1ère séance, ils se sont aussi investis dans l’activité kinesthésique – corporelle. Malgré leur peu d’intérêt pour l’Histoire et la lecture, ils se sont impliqués dans cette séance car leur objectif était musical et non linguistique. Ils ont lu, se sont appropriés le vocabulaire spécifique puis l’ont réinvesti dans l’activité kinesthésique.
La synthèse, de _ heure, a permis à tous de s’exprimer. La trace écrite fut produite par les groupes linguistiques, logico-mathématique et visuo-spatial. Par ailleurs, un travail de mémorisation fut demandé pour le cours suivant.
Il y eut même des retours de parents, car certains enfants avaient raconté à la maison.
La démarche a évolué, les savoirs sont rehaussés, la marche est franchie par tous, chacun ayant trouvé sa manière de monter !

La différenciation pédagogique c’est… élaborer et faire évoluer différentes stratégies en fonction de chacun.
Le cheminement de sa propre réflexion permet d’améliorer, pas à pas, la démarche en cours. En se laissant guider par la différenciation, l’enseignant donne vie en permanence à de nouvelles pratiques Celles ci le poussent continuellement à approfondir sa connaissance des enfants, de tous les enfants de sa classe afin de les aider à leur faire gravir le degré supérieur !
Ambitieux, mais à la portée de chacun !

Véronique Garas, DEA, directrice d’Application maternelle en Seine et Marne.