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Des enseignants sans formation dans les classes à la rentrée 2010 : des conséquences désastreuses pour les élèves

À la rentrée 2010, 10 300 nouveaux enseignants vont être affectés sur des postes à plein temps, quelques semaines après avoir passé un concours de niveau bac+5 portant essentiellement sur des connaissances disciplinaires. Dans le meilleur des cas, ils n’auront eu en guise de formation professionnelle qu’un stage de six semaines en même temps qu’ils préparaient leur concours. Ils vont prendre en charge des élèves 26 h par semaine dans le primaire, de 4 à 18 classes sur 2 à 4 niveaux d’enseignement selon les disciplines dans le secondaire, ce qui représente un travail considérable de préparation et de suivi.

On leur demande d’emblée d’assurer le même service, les mêmes tâches que leurs collègues expérimentés, et tout cela sans avoir appris sérieusement à préparer des séances de cours, des évaluations, à s’occuper d’un groupe d’enfants ou d’adolescents, à réagir face aux problèmes de concentration, de motivation, voire de violence, aux difficultés scolaires de tant d’élèves, à gérer les relations parfois difficiles avec les familles.
Quelques-uns s’en sortiront tant bien que mal, et leurs élèves avec eux ; beaucoup seront désemparés au bout de quelques semaines devant les réalités de ce métier si éloignées de leur formation universitaire, débordés par la charge de travail, par les exigences d’un métier très difficile, et certains découragés par cette entrée dans le métier si mal préparée.

Que va-t-on dire aux écoliers, aux collégiens, aux lycéens, à leurs parents ? Un peu de patience, il apprend le métier « sur le tas » ? L’année prochaine ça ira mieux ?

Comment peut-on croire qu’être excellent en géométrie algébrique ou en littérature médiévale, suffit pour apprendre l’addition et la lecture à des CP, la rédaction à des collégiens, la maitrise des outils de communication numérique à des lycéens ? Imagine-t-on d’envoyer des chirurgiens dans les blocs opératoires après deux épreuves écrites d’anatomie, un oral craie à la main sur la manipulation du scalpel, et trois semaines de stage d’observation ? En leur conseillant simplement d’appeler le collègue d’à côté en cas de problème ?
Jusqu’à cette année, les nouveaux enseignants avaient une année de formation, sur le principe de l’alternance : ainsi dans le secondaire, entre 6 à 8 heures de cours par semaine, accompagnées par un enseignant expérimenté, et des temps de formation en IUFM. Tout le monde s’accordait pour reconnaitre cette entrée dans le métier comme imparfaite, insuffisante, à repenser, à étaler davantage dans le temps. La voilà supprimée d’un trait de plume.

Il n’y a pas beaucoup de certitudes en pédagogie. Mais on peut affirmer sans risque qu’il n’y a pas de bonne École sans de bons enseignants, et qu’on ne transforme pas un brillant étudiant en bon professeur par le miracle d’un avis administratif de titularisation, le temps d’un été. Il est vain de vouloir réformer le Lycée, développer l’accompagnement des élèves, promouvoir l’École numérique, faire acquérir à tous un « socle commun de connaissances et de compétences » si on ne se donne pas les moyens de qualifier les enseignants pour ces missions !
Depuis des années, divers rapports et recommandations, pourtant demandés par le ministère de l’Éducation nationale, se prononcent en faveur d’une formation professionnelle plus longue, plus développée, d’une alternance mieux pensée. Depuis des mois, les organisations professionnelles et les instances des IUFM alertent le gouvernement sur les dangers de ses projets. Aujourd’hui, ce sont les pires choix qui ont été retenus par le ministre, et ce sont les pires modalités qui sont mises en œuvre par certains recteurs. C’est la pure logique budgétaire qui l’emporte, avec un mépris extraordinaire pour les élèves, leurs enseignants, les familles. En effet, cette réforme n’atteindra qu’un seul objectif en 2010 : la suppression de 18 000 postes dans l’Éducation nationale !

Faire réussir tous les élèves, éduquer de jeunes enfants, les préparer à un monde si complexe, autant de défis majeurs qu’on ne peut laisser au dévouement, à l’improvisation ou au bricolage. Enseigner est un métier qui s’apprend ! L’envoi dans les classes de jeunes sortis de l’université sans aucune formation professionnelle, c’est-à-dire pédagogique, est une décision scandaleuse. Nous demandons instamment au ministre et aux recteurs de renoncer à de tels projets et de remettre en chantier la question de la formation des enseignants.

Philippe Watrelot, CRAP-Cahiers pédagogiques
Jean-Jacques Hazan, FCPE
Antoine Evennou, UNL

Paris, le 29 janvier 2010


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Des réactions

On ne peut qu’applaudir à ce texte. Mais je vous fait part de ce qui arrive aux élèves de l’IUFM qui préparent le concours : les postulants qui n’ont même pas le concours — en milieu de PE1 — sont mis soi-disant en « stage » mais en fait on une classe en responsabilité au lieu d’un stage. C’est arrivé en Essonne à la fille d’une de mes anciennes collègues et c’est une nouveauté de cette année (décret paru en aout et appliqué). Elle est titulaire d’un Bafa et avait préparé le concours Staps, avait donc fait déjà des stages pédagogiques réels ; elle s’en est bien sortie, mais elle avait 2 niveaux de maternelle grande et moyenne section ! Elle remplaçait en fait une institutrice en stage (15 jours). Une formatrice est venue l’inspecter 2 heures !
Voilà le stage ! Par contre très bien payé : 1 600 € ! À faire pâlir les instits débutants ! Les PE1 ont 2 stages de ce type qui semblent ne pas être obligatoires, donc 4 semaines où ils ne préparent plus le concours.
Étrange…

Andrée D.

Que peut-on faire ?
2 points paraissent complètement abberants dans cette réforme, et je ne vois aucune réelle économie financière.
1. La formation d’enseignant serait la seule à mettre un concours de selection à Bac + 5 ! C’est énorme, et c’est presque « inhumain ». On tient les jeunes dans la précarité et l’incertitude pour leur offrir quoi ? Un emploi dont la rémunération va rester celle d’un bac + 3 ?
– Les medecins et les ingénieurs ont leur concours à Bac + 2 !
– Pour homogénéiser, il faudrait au contraire mettre le concours à bac + 2 et renforcer ce qu’était déjà une structure de type IUFM pour permettre aux personnes qui ont fait ce choix de métier de se former correctement, y compris effectivement avec les outils pédagogiques adaptés, les notions de psychologie de l’enfant, les troubles tels que la dyslexie, etc.
Sans tout ce stress lié à l’obtention d’un CONCOURS en FIN de parcours universitaire.
– Tout le monde ne sera pas reçu. Alors, combien coutent ces années d’étude pour des étudiants qui, arrivés à Bac+ 5, vont rater leur concours et décider d’accepter un job d’opérateur dans l’industrie, de caissière en supermarché, d’entrer dans une société de service à la personne pour travailler 20 heures par semaine ?
2. Le SALAIRE de ces futurs enseignants s’ils étaient « recrutés » à Bac + 5 !
Je suggèrerais que toute la profession « menace » de réclamer une ré-évaluation de son salaire pour être en accord avec les « grilles salariales » Bac+ 5 ! Et là, je ne voit pas du tout où est l’économie pour le gouvernement.
Comment pourrais-je dire à mes enfants : oui, faites enseignant. Avec un bac + 5 vous serez payé comme un bac + 3, c’est normal.
Comment un étudiant diplômé à Bac + 5 peut-il accepter d’être ainsi sou-payé ?
Comment un enseignant en poste peut-il accepter que, si un bac+5 est nécessaire pour enseigner, son salaire soit inférieur à celui d’un ingénieur ?
Comment un président d’université peut-il accepter qu’une filière Bac+ 5 soit à ce point dévalorisée par un salaire d’embauche « ridicule » en sortie de formation ?
– Je ne comprends pas que personne ne se soit emparé de cet argument dans les médias. J’aimerais que quelqu’un l’entende et s’en saisisse.
Montrons à M. Sarkozy ce que pourrait réellement couter son manque de réflexion et de bon sens.

Lucile B. (Presque 40 ans, Docteur en science, Ingénieur R&D pour une grande entreprise)

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