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Comment aborder les pratiques culturelles des adolescents ?

Que savons-nous des pratiques culturelles des adolescents ? Doit-on les aborder sous l’angle culturel et dégager les tendances générationnelles en les comparant à celles de leurs ainés ? Doit-on plutôt partir des études sur la jeunesse et observer quel rôle jouent les pratiques culturelles dans le chemin qui mène à l’autonomie et l’indépendance ?

Dans le premier cas, on s’aperçoit que le modèle de la transmission culturelle entre parents et enfants, qui fige les pratiques culturelles et les hiérarchise en distinguant notamment une culture dominante, n’est plus valable actuellement, même si globalement les pratiques culturelles sont encore très différenciées selon l’origine sociale. Dans le deuxième cas, les idées reçues sur la jeunesse ressortent et l’objectif des travaux de recherche est davantage de protéger les adolescents des pratiques culturelles « déviantes » ou de l’industrie culturelle, plutôt que de comprendre les façons dont les adolescents s’approprient ces différents types de culture.

Pour savoir à quoi les adolescents passent leur temps libre, il existe en France de grandes enquêtes nationales réalisées régulièrement, la dernière datant de 2008 (2004 pour les enfants entre 6 et 14 ans). Elle décrit donc des enfants qui ont aujourd’hui… 25 ans.

Variables générationnelles et variables sociales

D’après cette enquête, les habitudes acquises lors de la jeunesse perdurent souvent par la suite et sont reprises par les générations suivantes, sans grande rupture ni contestation depuis les années 1980. C’est ainsi qu’écouter le rock dans les années 1970 était transgressif, alors que c’est devenu une pratique culturelle tout à fait légitime actuellement. Cette enquête nous indique aussi que la participation à la vie culturelle est inégalement répartie dans la société française et dépend surtout du niveau du diplôme, mais aussi de l’accès à la culture et de la familiarité avec le monde de l’art, ainsi que des moyens d’accès via le numérique.

Depuis quelques années en effet, le numérique tient une place colossale dans les usages culturels, pour toute la population française, mais plus particulièrement pour les jeunes générations, avec un recul de l’utilisation de la télévision et de la radio, qui va de pair avec une montée en puissance de l’écoute musicale quotidienne. Une enquête de 2014 portant sur les pratiques culturelles en ligne des Français et des Européens confirme que ce sont les adolescents et jeunes adultes qui sont les plus investis, en France comme en Europe, dans les pratiques numériques (72 % des 16-24 ans interrogés ont écouté, regardé ou téléchargé en ligne des contenus culturels), et qui sont les plus nombreux à posséder un équipement mobile (smartphones ou tablettes) : plus de la moitié des 16-24 ans contre moins d’un cinquième des 65-74 ans. Ce sont également eux qui stockent et partagent le plus des contenus culturels en ligne.

la fonction sociale des pratiques culturelles juvéniles

Certains sociologues avancent le terme de « culture juvénile » spécifique, pour laquelle la variable générationnelle réduit le poids des variables sociales. Cette culture n’est pas la culture académique ou légitime, ni la culture de la classe dominante. Elle est au contraire plus proche de la culture populaire.

Cette « culture juvénile » se construit entre pairs et commence à partir de la fin de l’école primaire. À l’arrivée au collège, les adolescents s’affirment sur les plans personnel, relationnel, social, affectif, à travers le regard du groupe de pairs (via l’école et le numérique). Cela se traduit par le rôle majeur de l’apparence, qui leur permet d’afficher des pratiques culturelles (gouts musicaux, pratiques sportives, par exemple) conformes au groupe et à leur sexe. Il y a une différence de ce point de vue, les pratiques culturelles des garçons étant considérées implicitement comme supérieures à celles des filles : par exemple, les filles s’approprient de manière indifférenciée les mangas, qui sont pourtant conçus différemment en fonction du sexe du lectorat, mais les garçons ne s’autorisent pas à lire ceux prévus pour les filles. Les pratiques culturelles sont un prétexte ou un support à la sociabilité, et l’entrée dans l’adolescence passe plutôt par une contrainte du groupe de pairs, une certaine pression au conformisme, que par un accompagnement en douceur des pairs. Au lycée, les contraintes se font moins sentir, au fur et à mesure que l’adolescent s’affirme dans ses choix et que le groupe de pairs les accepte.

En plus de l’influence des pairs, les influences familiales et scolaires restent fortement présentes dans cette période adolescente : tous ces cercles d’influence agissent comme des modèles et des contraintes que les adolescents peuvent mobiliser, rejeter ou combiner dans leurs diverses pratiques culturelles au fil du temps et de leurs envies. Cela leur permet de tester leurs propres aspirations culturelles, leurs propres gouts, et de construire et d’affirmer petit à petit une personnalité indépendante.

Catherine Reverdy
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)

Bibliographie
Catherine Reverdy, «Les cultures adolescentes, pour grandir et s’affirmer», Dossier de veille de l’IFÉ n° 110, avril 2016, ENS de Lyon.