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Ces enfants empêchés de penser

L’ouvrage de Serge Boimare, ancien instituteur et psychopédagogue, connu pour ses travaux sur « la peur d’apprendre », va à contre-courant de l’idée du soutien en plus pour les élèves en difficultés comme solution magique à l’échec scolaire. En rajouter dans l’apprentissage des « fondamentaux » à coup d’exercices, avec éventuellement utilisation des Tice, voire d’une certaine inventivité pédagogique n’est pas une bonne solution. Du moins pour un certain nombre d’élèves qui s’empêchent en quelque sorte de « penser ». Certes, des élèves lents, qui attendent tout de l’école et qui font confiance en celle-ci tout en étant en difficulté peuvent profiter d’heures classiques d’aide. Mais pas ces enfants qui, à l’esprit souvent vif, parfois même classés « intelligence précoce », sont en revanche en situation de refus de l’univers scolaire et au-delà de l’univers intellectuel. Ils n’acceptent pas la frustration qui est à la base de la pensée : ne pas comprendre tout de suite, prendre le temps, être conscient de ses manques, toujours provisoires pour pouvoir aller de l’avant. De plus, ces enfants ont un important déficit d’imagerie mentale, ils ne parviennent pas à mettre des images derrière les mots et d’ailleurs le monde du langage apparaît parfois comme « un truc de gonzesses », d’où le recours fréquent à la violence et à la force physique.
Serge Boimare, sur la base d’une désormais longue expérience avec des élèves de ce type et avec des équipes les ayant en charge et qu’il accompagne, prône le recours au langage et à la culture. La culture, c’est-à-dire en particulier les grands textes fondateurs (les mythologies, la Bible), mais aussi des romans initiatiques (Jules Verne), des contes, des récits historiques, abordés si possible sous plusieurs angles disciplinaires. Et il propose une méthode qui démarre par la lecture à haute voix d’une de ces histoires souvent pleines de bruit et de fureur, suivie d’une discussion entre élèves puis un passage par l’écrit et la capitalisation d’une ou deux idées importantes dégagées à cette occasion. Comme Hercule, on peut parvenir à dompter sa force, comme le narrateur de Voyage au centre de la terre, il faut accepter de se perdre dans les profondeurs pour revenir à la surface plus fort…
Rien de miraculeux cependant : ce dispositif prend du temps, nécessite au sein d’un établissement un travail d’équipe, des échanges. Les résultats ne sont pas immédiats, mais ils sont réels et on voit peu à peu des élèves se réconcilier avec l’école. L’intérêt supplémentaire du livre, qui s’appuie sur des toujours passionnants cas individuels, réside aussi dans l’insertion de questionnements correspondant aux interrogations auxquelles a eu à répondre l’auteur dans ces multiples rencontres avec des enseignants. Où l’on voit qu’on est loin des débats méthode syllabique/méthode globale ou faire respecter les règles/faire s’exprimer les élèves. Et l’auteur de conclure : « En ces périodes de crise, ne gaspillons pas l’argent public en poussant les professeurs vers des impasses qui pervertissent leur mission et les démoralisent. Aidons-les plutôt à croire au rôle de la culture, soutenue par un véritable travail d’équipe. »
Effectivement, comme nous l’avions dit il y a quatre ans en organisant un colloque justement avec Serge Boimare, la culture « c’est pas du luxe… »

Jean-Michel Zakhartchouk