Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Avantage Finlande…

(Une version abrégée de cet entretien figure dans l’édition imprimée.)

EG = Elsa Girod
PS = Päivi Sihvonen

PS Elsa, tu as accepté de parler avec moi de tes impressions et de comparer tes expéricences dans les systèmes scolaires français et finlandais. Tu as passé un an à l’école en France. Pourquoi et à quel moment ?
EG C’était en 2000-2001. L’idée est venue de ma mère et je l’ai trouvée très bien. Comme ma tante et mon oncle ont bien voulu me loger, je suis partie ! J’ai fait la troisième en France, ce qui m’a donné une équivalence pour la dernière année de l’école fondamentale en Finlande (la classe 9) et à mon retour j’ai pu continuer directement au lycée.
PS Si tu penses à ton expérience à l’école en France, quelles sont les différences par rapport à ce que tu as connu en Finlande ? Y avait-t-il par exemple quelque chose qui t’ait étonnée ?
EG Bon, en France, à l’école et aussi en dehors de l’école, les parents décident tout pour les enfants. À l’école, l’élève n’a pas beaucoup d’importance d’une certaine manière, on discute très peu avec l’élève, tout se passe entre les parents et le professeur. L’élève reste toujours à l’écart, s’il y a des problèmes, on ne parle pas avec lui, on parle tout de suite aux parents. C’est bizarre d’effacer comme ça complètement l’élève quand il y a une situation difficile.
PS Et ce n’est pas la même chose en Finlande ?
EG Non, je trouve qu’on prend plus en considération l’élève. Si un élève a des problèmes, les profs essaient d’abord de trouver une solution avec l’élève lui-même et après, si c’est nécessaire, on discute ensemble avec les parents. Mais en France, un professeur qui avait des problèmes avec un élève pouvait discuter seulement avec les parents, sans que l’élève soit présent.
Une autre différence qui me vient à l’esprit, c’est l’enseignement des langues vivantes. J’ai trouvé le niveau des connaissances en France nul. J’avais fait trois ou quatre ans d’anglais en Finlande et ils en avaient fait six ans mais ne savaient rien du tout. En troisième, tout a commencé à zéro : comment tu t’appelles, etc.
PS Comment tu expliques ça ?
EG Je ne sais pas, je ne comprends pas. J’avais l’impression qu’il y avait vraiment un manque d’intérêt pour les langues étrangères. Et puis l’enseignement doit être vachement mal organisé, les profs doivent changer tout le temps, mais il y a sûrement aussi autre chose parce que vraiment, les élèves ne savaient même pas dire leur nom en anglais et on était en troisième ! Et au lycée, il y avait des élèves dont le niveau était aussi mauvais.
Je pense à une autre chose qui m’a vraiment surprise. Il y avait plusieurs classes de troisième parallèles dans l’école où j’étais. Je me suis rendue rapidement compte qu’il y avait une hiérarchie entre les classes. On conseillait à ceux qui étaient considérés comme bons élèves de prendre l’allemand plutôt que l’anglais et on les regroupait dans une classe. Ceux qui s’intéressaient à la musique se retrouvaient ensemble, et c’était en général des élèves qui savaient travailler et organiser leur temps et leur travail. On disait bien sûr que l’idée n’était absolument pas de constituer des classes de niveaux différents mais en pratique c’est ce qui se faisait. C’était intéressant…
PS As-tu constaté des différences dans la façon de travailler en classe, dans l’enseignement ou dans ce qui était demandé aux élèves ? En langues vivantes par exemple ?
EG Bon, pour les langues, ce qui me vient à l’esprit, c’est que les élèves passaient beaucoup de temps devant la télé et regardaient surtout les séries américaines sans intérêt. C’est tout bête, mais si au moins ces séries n’avaient pas été doublées, ils auraient pu entendre anglais et apprendre un peu. En fait, ma prof d’anglais était sympathique et motivante, très intéressée elle-même. Elle essayait de nous faire parler, mais ça ne marchait pas très bien…
Dans pratiquement toutes les matières, ce qui m’a frappée, c’est qu’on ne faisait que recopier, tout le temps. Les profs dictaient un texte qu’on devait noter tel quel, et c’était tout le cours ! Parfois on avait un exercice qu’on devait faire tout seul ou par paire. Si non, par exemple en histoire, la prof ne nous racontait rien, n’expliquait rien, ne commentait rien, elle nous faisait recopier un petit texte, c’est tout. Ça me paraissait absolument délirant, on ne parlait de rien, il n’y avait aucune réflexion ! Et c’était la même chose dans les autres cours : on recopiait, on recopiait, comme si ça suffisait pour apprendre. Même en dessin, on commençait par recopier un texte sur un peintre – bon, ce n’est peut-être pas inutile de savoir quelque chose sur un peintre…
PS Qu’est-ce que le fait de recopier a de si négatif pour toi ?
EG C’est qu’il suffisait d’apprendre par cœur le texte recopié – je trouve ça très limité ! On ne nous demandait même pas de comprendre le contenu, donc de l’apprendre vraiment. Jamais les questions n’étaient vraiment traitées, jamais on ne réfléchissais aux sens et aux implications – on restait dans le petit bout de texte superficiel à apprendre par cœur. Au contrôle, il suffisait de le répéter textuellement pour avoir une bonne note. C’était frustrant. J’aurais préféré que le prof nous donne le texte photocopié et qu’on en discute ensuite pour approfondir le thème. En Finlande, j’ai toujours eu des profs qui ont parlé, expliqué, exposé, discuté… les cours étaient basés sur des échanges, les élèves pouvaient aussi donner leur point de vue et poser des questions.
PS Au moins on apprend à bien écrire comme ça…
EG Oui, on pourrait le croire, mais en fait beaucoup d’élèves avaient du mal à écrire correctement. Je suis bilingue finnois-français et j’avais suivi une scolarité partiellement en français en Finlande. Au départ, j’avais pourtant quelques difficultés avec le français, il y avait des mots que je ne comprenais pas. En Finlande, j’avais été plutôt forte en langue maternelle, en finnois donc, mais en France on a une façon tout à fait différente d’écrire un texte. En Finlande, quand on rédige par exemple une petite histoire, les professeurs aiment que les phrases restent plutôt courtes, que tout ne soit pas dit et souligné, qu’il y ait un peu de mystère dans l’histoire. En France ça ne marchait pas du tout. Un jour je me suis dit : « Zut alors ! Je vais faire comme ils veulent, même si à mon avis mon texte est sans intérêt. » Le prof nous avait demandé de préparer un texte à partir Des souris et des hommes de Steinbeck. J’ai décrit chaque goutte d’eau, chaque mouvement de main, chaque pas – et j’ai eu 19/20 avec ce texte super ennuyeux ! En Finlande, mon prof m’aurait demandé de tout recommencer…
PS Tu crois que cette façon de faire est quelque chose de général ? C’était peut-être seulement la pratique d’un prof ou un exercice particulier.
EGNon, je pense que ça doit être quelque chose de général. Tous les profs demandaient que tout soit écrit en détail. En plus, ils ne nous expliquaient pas pourquoi il fallait toujours suivre ce même modèle.
PS Peux-tu comparer les cours et les programmes de finnois et de français ?
EG Bon, dans ma classe en France, on lisait très peu, moins qu’en Finlande. Mais je sais que c’était en partie à cause de la classe, dans d’autres classes on demandait plus de lectures. Je crois qu’on lit de toute façon moins à l’école maintenant qu’avant, j’en ai parlé avec mon père qui est français et qui disait que quand il était à l’école, on devait lire beaucoup plus de romans.
On avait pas mal de grammaire en France – mais comme je l’ai déjà dit, les élèves écrivaient mal. Ils faisaient même en partie les mêmes fautes que les élèves finlandais qui apprennent le français comme langue étrangère : les accents n’étaient jamais à leur place, les verbes étaient conjugués n’importe comment… « Je l’est mange » Vraiment des trucs incroyables.
PS Comment as-tu pu savoir quelles fautes les autres faisaient ?
EG Ben, la prof montrait parfois, pas méchamment, ce que les élèves avaient écrit et le commentait. D’ailleurs, ça aussi, c’est une énorme différence par rapport à la Finlande. Ici, on ne montre jamais à la classe ce qu’un élève individuel a pu faire comme erreurs, on fait très attention à ne pas ridiculiser les élèves devant les autres. Mais les élèves français n’avaient pas l’air d’en souffrir spécialement.
En musique, que j’aime beaucoup, la différence est énorme, ça fait presque rire. Ici, on a plein d’instruments, en France il n’y en avait pratiquement pas. La prof nous donnait une petite partition idiote, chaque élève devait chanter individuellement et on nous notait à chaque fois…
En France, j’ai eu un cours qu’on n’a pas en Finlande : la technologie. Il fallait préparer de petits objets, on devait chercher une idée en groupe, calculer les coûts et prévoir la fabrication. C’était un peu comme les travaux manuels ici, mais en plus technique.
PS Il y avait des matières facultatives ?
EG Oui, le latin et le grec ancien, juste des langues.
PS Peux-tu donner l’exemple d’une matière qui t’ait paru intéressant, les cours bien faits ?
EG Les cours de français en fin de compte, même s’il était très très français justement, et très différent des cours de finnois auxquels j’étais habituée. La prof avait une énergie qu’aucun autre prof n’avait. Elle aimait le théâtre, elle aimait les poèmes, on faisait plein de choses sur les poèmes, on devait trouver des trucs, c’était vraiment très chouette. Ceux qui étaient intéressés pouvaient s’investir complètement, les autres pouvaient faire le minimum. J’ai vraiment beaucoup appris dans ces cours – même si je n’étais pas d’accord sur la façon d’écrire… Les autres élèves avait aussi de l’estime pour cette prof. Elle commençait le cours en disant « je suis sympa avec vous si vous l’êtes avec moi ». Et c’était vraiment comme ça : elle n’était désagréable que si un élève l’avait d’abord été avec elle. Elle était très juste, en fait, et ça, les élèves l’appréciaient.
Malheureusement, tous les profs n’étaient pas aussi motivants et compétents. Il y avait par exemple un prof – j’ai n’ai suivi qu’un de ses cours – qui hurlait, qui mettait des élèves au coin, qui insultait les élèves… Et quand les élèves se plaignaient, on leur répondait seulement que le prof en question avait un peu de tempérement !
PS As-tu constaté des différences dans les programmes, dans ce qui est demandé aux élèves au niveau des apprentissages ?
EG Oui, dans certaines matières. À mon avis, le niveau en math était nettement plus élevé qu’en Finlande, c’était plus compliqué en France. Le prof de ma classe était bien mais on en avait tous un peu peur.
En général, il y avait beaucoup de travail à faire à la maison, notamment en maths et en français. Une partie des devoirs préparés à la maison étaient notés. C’étaient des travaux plus exigeants, plus difficiles que les devoirs en Finlande.
PS N’y a-t-il pas un apprentissage plus approfondi qui se fasse grâce à ces devoirs et exercices ?
EG Peut-être. Ce n’était pas si bête de donner une fois par semaine un devoir qui allait être noté. On travaille mieux quand on sait qu’il y a une évaluation, ça a une importance pour les élèves. En plus comme ça ceux qui n’avaient pas très bien réussi aux contrôles pouvaient un peu se rattraper. Je trouvais que ça c’était très sympathique, on donnait une possibilité aux gens.
PS Comment les autres élèves voyaient le travail et la vie à l’école ? Tu en as discuté avec eux ?
EG Oui, un peu, mais je n’étais pas beaucoup en contact avec ma classe, j’étais plutôt avec les gens d’une autre classe qui faisaient de la musique. D’ailleurs, il y avait une énorme différence entre les classes. Dans la mienne, les élèves n’étaient en général pas motivés ou intéressés, ils trouvaient que l’école n’était pas bien. Dans l’autre classe, les gens réfléchissaient et travaillaient plus, ils avaient des opinions sur les cours etc.
PS Quelle a été l’expérience la plus positive pour toi pendant ton année à l’école en France ?
EG C’est difficile à dire. Il y a eu beaucoup de choses positives. J’ai été très contente d’avoir de très bons profs en maths et en français puisque ce sont des matières importantes. Il y a eu des moments sympathiques, parfois j’étais un peu perdue et les profs me rassuraient. C’était très encourageant. Et même quelques profs que je n’aimais pas trop comprenaient que j’avais parfois besoin d’un peu plus de temps parce que j’étais étrangère, ils tenaient compte du fait que je n’avais pas les mêmes connaissances et habitudes de travail que les autres.
PS Et l’expérience la plus désagréable ?
EG Ça aussi, c’est difficile à dire. Je vais raconter une expérience pas vraiment désagréable mais qui était plutôt un situation idiote.
À l’école, il y avait un système où les parents devaient écrire un mot pour l’école si l’élève ne pouvait pas participer au cours de sport. Un jour, je ne me sentais pas bien le matin et j’ai donc demandé à ma tante un mot. J’ai dit à la prof que je me sentais déjà mieux et pouvais donc participer au cours. Mais elle m’a répondu que puisque j’avais un mot, je devais rester assise pendant tout le cours. Comme si je n’étais capable de dire moi-même comment je me sentais au moment du cours – surtout que je voulais y participer !
Pour moi cette petite anecdote montre bien que le système est très rigide, il n’y a aucune souplesse : il faut toujours suivre les règles écrites, on peut jamais discuter et s’adapter à une situation donnée. Je trouve ça bête !
PS J’ai l’impression que dans l’ensemble tu as été contente de ton année.
EG Oui, j’ai été très contente. Il y avait plein de trucs négatifs, mais bon, en Finlande il y en a aussi. Non, c’était une expérience intéressante. L’école était tout à fait différente de l’école où j’allais en Finlande, beaucoup d’élèves venaient d’un milieu très modeste. J’ai pu voir le monde d’un point de vue différent. J’avais l’impression d’avoir peu en commun avec les autres élèves de ma classe et à un moment j’aurais voulu être transférée dans la classe des musiciens. Finalement, ça n’a pas été fait parce que je me suis dit que je profiterais de mon année bien plus en ne pas me mettant uniquement avec des élèves qui me ressemblaient.
PS Tu as dit tout à l’heure que tu vois des côtés négatifs aussi dans le système scolaire finlandais ? Peux-tu me donner un exemple ?
EG Parfois, j’aurais aimé que les profs soient un peu plus sévères, ou un peu plus exigeants. Je me souviens de moments en classe où tout le monde faisait du bruit et le prof ne disait rien. J’aurais voulu un peu plus de discipline.
PS Comment s’est passé ton retour en Finlande ?
EG Il m’a fallu du temps pour me réadapter au système finlandais, surtout que je suis passé directement au lycée. Les autres élèves de ma classe avaient eu une préparation pour le lycée en classe 9, je ne l’avais pas. Je me suis sentie un peu perdue. Et l’anglais m’a posé des problèmes. Comme le niveau en France avait été tellement mauvais, il me manquait surtout plein de vocabulaire. En finnois, il m’a fallu plus d’un an avant de réussir à écrire comme avant mon départ en France. Mes textes étaient trop longs, ennuyeux, je ne trouvais plus mes mots…
PS Imagine-toi la situation où tu devrais choisir le système scolaire pour ton enfant. Le mettrais-tu dans une école française ou dans une école finlandaise ?
EG Dans une école finlandaise, sans hésiter. J’ai l’impression qu’ici les élèves et les enseignants sont sur la même ligne, ils peuvent discuter, il y a des échanges. Et puis il y a cette histoire de devoir tout recopier… Mais j’enverrais volontiers mon enfant faire une année d’études dans une école en France parce que je trouve que c’est très bien de voir un système différent et de faire des comparaisons.