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Vers la sécession scolaire ?

Youssef Souidi, Fayard, 2024

Il est beaucoup question en ce moment, et c’est heureux, de la nécessaire mixité sociale à l’école et des mécanismes qui l’entravent et favorisent au contraire la ségrégation. Youssef Souidi, chercheur qui a rédigé une thèse sur ce sujet, étayé par des études rigoureuses et de nombreuses données dont on dispose aujourd’hui, nous propose ici un ouvrage écrit avec beaucoup de clarté et de pertinence. L’auteur se limite au collège, sans méconnaitre les mécanismes ségrégatifs qui peuvent exister en amont comme en aval (d’ailleurs, il fait part brièvement d’une expérience personnelle significative quand il était lycéen).

Rappelons d’abord les informations que nous donne cet outil certes imparfait, mais fort intéressant que sont les IPS (les indicateurs de position sociale), qui permettent de déterminer le profil social des établissements scolaires à partir d’une valeur qui va de 45 à 185 et qu’on peut classer en dix catégories égales. A Paris, par exemple, on note une très forte dispersion, entre celui qui a un score de 76 (type1) et celui qui atteint 155 (type 10). Et à Marseille, 30 collèges font partie de la catégorie 10 (la plus basse donc), mais 13 collèges privés font partie du type 1. L’éloignement géographique d’élèves de milieu populaire de collèges favorisés n’explique pas tout, puisque 92 000 collégiens d’établissements très défavorisés habitent à moins de 15 minutes à pied d’un collège favorisé.

Mais l’auteur va plus loin en comparant méthodiquement mixité résidentielle et mixité scolaire. Les familles socialement favorisées retrouvent plus facilement leurs enfants dans un collège plus favorisé que ne laisse présager leur voisinage, tandis que les élèves socialement défavorisés résidant à proximité de voisins socialement favorisés se retrouvent au contraire dans un environnement scolaire moins favorisé que leur environnement résidentiel. Conclusion : « la formule selon laquelle la proximité spatiale n’empêche pas la distance sociale prend, en matière scolaire, une résonance bien particulière. »

Plus classique, mais pas moins essentielle est l’analyse de la répartition des élèves selon leur niveau scolaire à l’entrée en sixième, par type de collège. La figure de la page 75 montre que les collèges REP+ comptent 63% d’élèves en difficulté en mathématiques contre 31% pour les collèges publics hors REP et 20% dans le privé, tandis que dans les REP+ on a 10% d’élèves ayant un niveau élevé, contre32% hors REP et 43% dans le privé.

Youssef Souidi est bien conscient aussi des ségrégations qui peuvent s’opérer « une fois les portes de l’établissement franchies ». Selon le CNESCO, au moins un collège sur quatre adopte une politique de ségrégation sociale de fait, dans la mesure où « la répartition des élèves [dans les classes] selon l’origine sociale est trop déséquilibrée pour s’expliquer par le hasard »

Nous ne voudrions pas trop déflorer les passionnantes analyses qui sont développées dans l’ouvrage, sur les limites de la carte scolaire, sur ce qu’on appelle la « lutte des places » et les choix des familles et un chapitre conséquent sur la scolarisation dans le privé, dont les établissements sont, selon une belle et douloureuse formule « des sanctuaires sous haute protection républicaine », en rupture en fin de compte avec l’esprit de la loi Debré de 1959 !

La dernière partie du livre est consacrée à quelques propositions pour faire face à ce que le Conseil national d’évaluation du système scolaire appelait « une bombe à retardement pour la société française ». Et ce n’est pas seulement une question de réussite scolaire et d’efficacité dans les résultats, mais cela concerne le « vivre ensemble », l’insertion professionnelle, le développement de compétences psycho-sociales. Parmi les idées émises et qui reprennent certains aspects des expérimentations lancées fin des années 2010 : la création de bassins de recrutement plus mixtes, la fermeture de ghettos scolaires, et bien entendu « adapter l’enseignement privé aux réalités de l’époque » en introduisant notamment des quotas de mixité sociale, tout en veillant à ce que cela n’aboutisse pas à ce que les collèges privés s’arrogent dans le public plus défavorisé les meilleurs élèves (ce qui est déjà en partie le cas). Seule une concertation serrée peut aboutir à des solutions, même si l’incitation ne suffit pas. Le plan du ministre Ndiaye, bien que timide, allait dans le bon sens, mais il ne semble pas vraiment à l’ordre du jour. Même si Nicole Belloubet, citée dans l’ouvrage dont on voit qu’il suit de très près l’actualité, a pu déclarer que « le brassage, c’est ce qui fait notre société, ce qui fait notre nation, à l’école aussi il faut brasser les jeunes » (page 211).

Jean-Michel Zakhartchouk