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Une pédagogie pour grandir. Pédagogie institutionnelle et approche groupale

Arnaud Dubois, Marc Guignard, le Groupe de pédagogie institutionnelle Paris-Créteil (GPIPC), L’Harmattan, 2021

Cet ouvrage nous plonge directement dans les épaisseurs de la pédagogie institutionnelle dans une approche groupale. Il est construit en trois temps : le premier est consacré à l’étude d’une institution, le Coin petit, le deuxième étudie les enjeux de la transmission de la pédagogie institutionnelle au sein d’un groupe, le troisième pointe les concepts fondateurs de Wilfred Ruprecht Bion, « la fonction alpha » et « l’appareil à penser ».

Au sein de la tradition de la pédagogie institutionnelle, nous connaissons plus largement les institutions de la classe (le conseil, le « ça va ou ça va pas », le quoi de neuf, les métiers, les responsabilités, etc.) qui sont des médiations entre l’enseignant et les élèves, qui triangulent et organisent d’une manière matérialisé la part importante des processus inconscients dans la classe, dans le positionnement de chacun des élèves au sein d’un collectif d’enfants. Les auteurs mettent en exergue, dans le titre également, le verbe « grandir » qui représente à la fois la croissance physique et la « croissance psychique », nommée ainsi selon les apports psychanalytiques de Bion, avec ses aléas, ses irrégularités et ses conséquences sur la personnalité.

Le Coin petit ou l’émergence du sujet

Dans le premier chapitre, on (re)découvre le dispositif du Coin petit, qui régule le processus de grandir chez les enfants. Il s’agit d’une institution qui n’est ni sanction, ni exclusion mais permet à l’élève de « prendre l’air » et gérer ses émotions lorsqu’elles le submergent, sans déranger les autres qui ont besoin d’apprendre. Cette institution « met l’élève à l’abri de violence potentielle ». Il est géré par les règles de « statut R » : « c’est une aire de retrait, repos, refuge, régression, (re)naissance… » (p. 53). À partir de monographies, ces écritures professionnelles sur ce qui se joue et se trame en classe, les auteurs montrent comment ce dispositif peut favoriser l’émergence du sujet. Des extraits de monographies significatives sont tirées des ouvrages dorénavant classiques de Francis Imbert et du Groupe de recherche en pédagogie institutionnelle : Médiations, institutions et loi dans la classe : pratiques de pédagogie institutionnelle (1994), L’inconscient dans la classe : transferts et contre-transferts (1996), Vivre ensemble, un enjeu pour l’école (1997), et L’impossible métier de pédagogue (2000).

L’enjeu de la transmission

Le deuxième chapitre est consacré à l’enjeu de la transmission dans le groupe de la pédagogie institutionnelle, et cela à partir de deux monographies sur des situations de classe et des « silences d’enfants » problématiques qui laissent les enseignants désemparés. Les auteurs montrent comment l’écriture professionnelle, accompagnée d’un travail collectif, se révèle être un objet de formation continue entre les enseignants et peut apporter des transformations sur la posture professionnelle et plus globalement dans la manière de concevoir les élèves, dans leur statut, leurs manques, leurs avancées. Le changement de posture, de gestes, d’interventions basées sur les institutions de la classe (le conseil, les métiers, les responsabilités) entraine des retombées ou des dénouements de situations considérées souvent comme figées dans l’ordinaire de la classe.  Le travail monographique fonctionne dès lors comme « un miroir réfléchissant » et « transforme en pensées les affects éprouvés » (p. 71) chez les enseignants.

L’inconscient de la classe

Dans le troisième chapitre, une incursion conceptuelle se révèle nécessaire pour comprendre le fonctionnement de « l’appareil à penser » à partir des théorisations explorées par W. R. Bion, Mélanie Klein, et poursuivies par les travaux de René Lafitte, Jeanne Moll, Claudine Blanchard-Laville, Catherine Yelnik, Claudine Ourghanlian, Patrick Geffard pour ne citer que quelques-uns. Ces différents travaux montrent comment les institutions de la pédagogie institutionnelle sont structurantes pour les apprentissages des élèves – pour qu’elles rendent possible la pensée, toujours en croissance et en mouvement – pour élaborer de la pensée à partir de la non-pensée. Claudio Neri étudie comment on dépasse « un état groupal naissant (l’illusion groupale) » pour faire émerger « une communauté des frères ». Le lecteur découvre les concepts exposés sur la base de monographies de situations de travail en classe, à partir d’extraits significatifs de conseils de classe vécus par les élèves : le conseil, l’institution fondatrice de la loi dans la classe, de la croissance de chacun, au sein d’un groupe.

La postface de Patrick Geffard rappelle comment les outils et les institutions de la pédagogie institutionnelle nous suggèrent de considérer autrement la « croissance psychique » pour « ne pas rester à une forme plus ou moins naturaliste, plus ou moins vitaliste du « développement » » (p.122).

Tout enseignant devrait être intéressé par ce qui se joue dans l’inconscient de la classe. Cet ouvrage l’invite fortement à s’immerger, à partir de monographies, à tisser avec les processus inconscients à l’œuvre dans l’acte éducatif, ceux-ci jugulés par les institutions de la pédagogie institutionnelle.

Andreea Capitanescu Benetti