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Rien n’est joué (la science contre les théories de l’effondrement)

Jacques Lecomte, Les Arènes, 2023

Cet ouvrage, certes, n’est pas directement en lien avec l’enseignement. Pourtant j’en recommande sa lecture dans cette rubrique, dès lors qu’on considère qu’une des priorités de l’école doit être de former des éco-citoyens, ce qui implique de trouver des réponses pertinentes aux interrogations des élèves sur le devenir de notre humanité face aux menaces environnementales et non de renforcer l’éco-anxiété. Ce phénomène nouveau, l’auteur donne des exemples parfois dramatiques de ses manifestations. Une des grandes questions de l’heure est de savoir si la « peur » devant la dégradation de notre environnement peut avoir des vertus positives et conduire à l’engagement. En s’appuyant sur une impressionnante documentation scientifique (en français et en anglais), l’auteur répond par la négative. Les théories « effondristes » que Jacques Lecomte refuse d’appeler « collapsologues » pour ne pas cautionner un vernis scientifique à une idéologie peu fondée sur des faits, sont plutôt démobilisatrices. D’une part parce que leur peu de solidité donne des armes aux climatosceptiques (vous voyez bien, les prédictions alarmistes ne se réalisent pas : quand on vous dit qu’ « ils » exagèrent), d’autre part parce qu’elles mènent au désespoir et au renoncement («de toutes façons, on est foutus, on peut tout au plus se replier sur des petites communautés autosuffisantes). Le grand climatologue Michael Mann est ici cité : « Lorsque les gens pensent qu’on ne peut rien faire, ils sont conduits à se désengager et ils servent involontairement les intérêts des énergies fossiles (…) Le pessimisme est notre plus grand ennemi. »

L’auteur, connu pour son « optimisme réaliste » (qu’il nomme optiréalisme), ne minimise pas les menaces qui nous guettent : réchauffement climatique, perte de la biodiversité… Mais il reproche aux effondristes comme Pablo Servigne de diffuser informations et prédictions souvent très approximatives et allant toujours vers le négatif.  De plus, ils refusent le plus souvent de se remettre en cause alors même qu’ils avaient énoncé des affirmations qui se sont avérés fausses. L’auteur analyse ainsi avec sévérité le rapport Meadows pourtant encensé aujourd’hui par les défenseurs de l’environnement.

On lira des pages assez contre-intuitives et en fin de compte encourageantes sur des progrès qui sont accomplis en matière de protection des espèces par exemple, ou encore de reconquête de terres inondables dans l’Océan pacifique, alors que les prédictions alarmistes se multiplient sur la montée des eaux qui ravagerait le Bangladesh ou des iles du Pacifique.

A la fin du livre, l’auteur tente de répondre à des objections possibles et met au défi ses lecteurs de réfuter ses constats et analyses, ce qui est l’essence même de le méthode scientifique popperienne comme il le rappelle.  Les cinquante pages de notes et références sont un solide terreau à son  argumentation et les courbes présentés en annexe (par exemple actions de restaurations des récifs coralliens, part de l’agriculture biologique en Europe, des énergies renouvelables, etc) montrent qu’il n’est pas vrai qu’ « on ne fait rien », même si on ne fait pas assez.

Bref, une pièce au débat autour des enjeux du climat et de la biodiversité qui peut outiller les enseignants pour répondre aux inquiétudes des élèves, avec une ligne de crête à parcourir entre le Charybde climatosceptique et le Scylla des effondristes, pour inciter à l’action et faire entrevoir un avenir plaisant et désirable.

Jean-michel Zakhartchouk