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Réussite éducative ou contrôle des sauvageons ?
Le mot « réussite » est à la mode au ministère. C’est une « ambition » pour qualifier la récente relance des ZEP, elle doit être « éducative » dans le cas des « parcours personnalisés », des « dispositifs » ou des « équipes ». Il faut se demander ce qu’il y a derrière toutes ces belles étiquettes. Ce ne sont pas des mots creux : les « réseaux ambition réussite » disposent de nombreux adultes supplémentaires, enseignants ou assistants pédagogiques ; les PPRE prévoient des mesures individualisées au sein des établissements scolaires pour des élèves repérés comme étant en difficulté ; les DRE sont censés coordonner l’activité de différents services publics et d’associations d’un quartier autour de jeunes soigneusement ciblés. On ne pourra pas dire qu’on ne s’occupe pas d’eux !
Serge Dassault, chef d’entreprise connu et homme politique du même bord que notre ministre actuel, a pris sa plume[[Point de vue paru dans Le Monde du samedi 28 octobre 2006.]] pour nous faire part lui aussi de ses ambitions pour l’école : il ne propose rien moins que le prolongement de la scolarité obligatoire à 18 ans. S’essayant au syllogisme sociologique, il constate : « La délinquance urbaine naît sur le terreau de l’inactivité des jeunes. Tous les jeunes inactifs ne sont pas délinquants, mais il s’avère que tous les délinquants sont des inactifs. » Par conséquent, l’urgence est de les occuper : « au lieu d’abandonner les jeunes à l’errance et plonger les quartiers dans l’insécurité, il faut les contraindre à suivre une formation », à savoir un apprentissage en CFA.
Voilà qui nous laisse dubitatifs sur les intentions de tous ces messieurs. S’agit-il d’encadrer étroitement, à grand renfort d’adultes, les adolescents qui posent problème, en mobilisant institutions et associations, ou bien de les aider à se construire comme citoyens autonomes ? De les rendre responsables de leur échec, en leur faisant signer des programmes personnalisés par lesquels ils s’engagent à réussir, comme si ça ne dépendait que d’eux, ou bien de travailler à la construction d’un cadre de vie et d’études favorable à la réussite de tous ? De les obliger à accepter n’importe quelle formation, ou bien de leur donner les moyens de choisir leur parcours professionnel ? De fournir une main-d’œuvre bon marché à des patrons, ou bien de leur permettre de prendre toute leur place dans la société ? De nettoyer les rues, ou bien de lutter contre l’échec scolaire ?
Si on voulait prendre au sérieux le deuxième terme de toutes ces alternatives, il me semble que, pour en rester au domaine de l’école, c’est autour de deux axes qu’il faudrait travailler :
– Faire porter les efforts sur l’école primaire : certes les enfants de cet âge ne traînent pas dans la rue, mais c’est là que se nouent bien des échecs scolaires, et c’est dès leur plus jeune âge qu’il faudrait donner aux élèves les plus éloignés de la culture scolaire de par leur milieu social et familial les codes et les outils pour comprendre ce que l’école attend d’eux, pour entrer positivement dans les apprentissages.
– Enseigner différemment et autre chose, à tous les niveaux de la scolarité, au-delà de la seule revendication du « plus de moyens » : mettre les élèves en activité autour de projets intellectuellement exigeants, et mettre la culture au centre des apprentissages ; non pas revenir « aux bases », mais donner sens et saveur aux savoirs.
Tout cela demanderait des efforts en termes d’innovation pédagogique, de formation des enseignants, d’équipement des établissements, de soutien aux projets culturels, interdisciplinaires. Cela demanderait que l’ambition de l’école ne se réduise pas à la soumission des perturbateurs, mais vise réellement à l’émancipation de la jeunesse.
1 Point de vue paru dans Le Monde du samedi 28 octobre 2006.