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Le cahier et l’écran : culture informationnelle et premiers apprentissages documentaires

L’ouvrage de 336 pages a été réalisé par un groupe de six chercheurs de l’université de Lille 3 sous la direction d’Annette Béguin-Verbrugge et de Susan Kovacs.
Cette équipe, comme le stipule l’introduction, s’est particulièrement intéressée « aux premiers apprentissages, aux premiers contacts avec le document, aux premiers essais pour rechercher, traiter, communiquer l’information, dans un segment de vie scolaire qui conduit de l’école maternelle à l’école élémentaire. » On peut souligner l’originalité de l’approche qui est d’étudier la « culture informationnelle » au début de la scolarité, car il y a encore assez peu de travaux scientifiques sur cette thématique.

Il se compose d’une introduction, de neuf chapitres et d’une conclusion.
On peut déjà souligner, rien qu’à partir de leurs intitulés, l’étendue des entrées :
– chapitre 1 : Contexte matériel et humain des apprentissages ;
– chapitre 2 : Socialisation autour des documents et usages de la BCD ;
– chapitre 3 : Transformation des documents : pratique pédagogique, savoir social ;
– chapitre 4 : Les vocabulaires documentaires à l’école ;
– chapitre 5 : Les images à l’école : usages et production ;
– chapitre 6 : La place de l’informatique et des supports numériques,
– chapitre 7 : Premières approches de la recherche d’informations ;
– chapitre 8 : Bibliothèque et ordinateur : cadre familial des dispositifs pour les tout petits ;
– chapitre 9 : Le point de vue des élèves : des compétences qui s’affirment.

Les différents chapitres témoignent de l’important travail réalisé par les contributeurs au laboratoire GERIICO (Groupe d’études et de recherches interdisciplinaires en communication) de Lille alimentés également par les interactions qui ont eu lieu au sein de l’équipe Erté.
L’étude présentée ici s’inscrit en effet dans une action de recherche plus globale concernant tous les cycles d’enseignement et fruit d’une Erté (Équipe de recherche technologique éducation) intitulée « Culture informationnelle et curriculum documentaire ».

Les coordonnateurs justifient leur choix de titre en soulignant « la coordination de deux objets, “Le cahier et l’écran”, qui semblent symboliser des mondes opposés. » En fait il n’en est rien. Et ils nous le prouvent de belle façon. Car, tout au long de l’ouvrage nous sommes amenés à appréhender les propriétés de deux supports et à considérer leurs spécificités matérielles en relation avec la logistique dont chacun d’eux dépend au sein de l’école. C’est toute la force de cet ouvrage.

Les auteurs prennent à bras le corps la question de l’occultation du lien qui rattache les pratiques quotidiennes à des savoirs construits dans le domaine de l’information-documentation, en raison notamment de l’absence d’un professionnel de l’information-documentation dans les établissements du premier degré.

L’hypothèse de travail privilégiée se réclame être proche des réflexions développées par André Giordan à propos des sciences physiques ou de la biologie (1987). C’est-à-dire que « les élèves sont pris en permanence entre les représentations et savoirs qui leur viennent de leur milieu familial et social quotidien et les savoirs que l’école essaie de leur inculquer de manière systématique et raisonnée. »
Un ensemble de pratiques, d’activités, d’interactions autour du document est clairement décrit dans une approche de type anthropologique avec un travail d’enquêtes qualitatives, d’observation.

Dans une optique ethnographique les auteurs revendiquent une approche par immersion dans le quotidien des établissements retenus.
On remarquera également l’implication des professeurs des écoles qui ont accueilli les chercheurs et on aurait aimé qu’ils aient eu la parole sur les résultats de recherche évoqués car ils ne semblent pas être associés aux comptes rendus de recherche.

L’équipe a donc mené des observations « qui portent à la fois sur les usages et les pratiques scolaires liés aux enseignements et sur les usages et pratiques personnels issus des sociabilités extérieures à l’école, concernant les élèves et les enseignants ». Des points de vue d’élèves et de parents sur les pratiques familiales nous sont par exemple offerts.
L’école doit selon les auteurs tenir compte du contexte tissé par les usages ordinaires « pour être efficace ».

Au fil du travail, tour à tour les chercheurs s’interrogent sur le rapport entre « culture informationnelle » et enseignement. Nous remarquons qu’enseignement et apprentissage ne sont quasiment jamais accolés dans une forme didactique et envisagés plutôt alternativement dans une approche fonctionnaliste.

L’ouvrage est intéressant car il ne renonce pas au travail autour du concept de document, des savoirs documentaires (quelque soit le support), des matérialités et même si elle n’est pas évoquée comme telle, on pourrait très bien évoquer l’entrée « culture documentaire » et pas seulement « culture informationnelle ». Les pratiques documentaires font d’ailleurs l’objet d’une étude de cas détaillée.

C’est donc une première question que nous aborderions volontiers avec les auteurs : quid d’une « culture documentaire » ? Pourquoi ne pas parler plutôt d’une « culture documentaire et informationnelle » aujourd’hui ?

Le lecteur est confronté à différents fragments de propos de professionnels illustrant les analyses des chercheurs et traduisant un travail pédagogique important autour des documents et des usages de la BCD, de l’informatique. Les exemples choisis ne devraient pas pour autant poser comme généralité des moments vécus, spécifiquement et particulièrement au sein de la classe et d’un seul groupe scolaire, or parfois nous éprouvons un peu ce sentiment à la lecture.

Dans une perspective qui privilégierait l’angle didactique cet ouvrage soulève de nombreux problèmes que nous pouvons repérer à partir des apprentissages énoncés et nous fournit sans que ce soit clairement exprimé ainsi de beaux exemples d’objectifs d’apprentissage. Par exemple en relation avec l’activité de confrontation des enfants aux différents types d’images pour passer d’une image à une autre : celui d’apprendre à passer de dessins représentant l’imaginaire à des photographies représentant la réalité visuelle de l’objet.

On peut regretter à ce sujet le manque de référence à des recherches actuelles en didactique. Certains auteurs soulèvent à juste titre le problème des pratiques qui dans certains cas devraient évoluer, par exemple en référence aux techniques documentaires, sans entrer véritablement dans le travail de transposition à élaborer. Ce travail est déjà bien entamé dans le second degré par exemple.

Les quelques principes didactiques énoncés en conclusion dans le tableau intitulé « Mettre en place une démarche constructive » semblent un peu contourner la réalité des expériences vécues et reprendre de façon générique et décontextualisée des éléments évoqués plus largement au sein de l’Erté. On nous le dit en conclusion : « les principes énoncés ne relèvent pas spécifiquement des pratiques documentaires ; ils peuvent s’appliquer à toute activité scolaire ».

C’est à ce niveau que nous pourrions aborder trois autres questions avec les auteurs : quid de la prise en compte du rapport entre pratique de référence, activité scolaire et savoirs correspondant ? Quelle extraction collective de savoirs ont-ils réalisé, au-delà de chaque chapitre, en lien à chaque fois à un matériau remarquable ? Les pratiques ordinaires de la classe et les pratiques ordinaires de la maison, relèvent-elles du même plan ?

Dans la conclusion du livre les lecteurs sont incités à se demander : « vers quelle pédagogie documentaire » à l’école ? Pour mémoire cette entrée se met en place dans les années 1970. Il s’agit donc d’une incitation à sa rénovation, on l’aura compris.

Et, plutôt que de prendre appui jusqu’au bout sur les observations menées, sur les actions concrètes, sur le savoir professionnel observé (avec ses qualités et ses limites, cela est très bien décrit dans l’ouvrage) pour alimenter la question de l’évolution des pratiques, on nous incite à « relativiser l’importance d’un prêt à penser scolaire ». Nous formulons par conséquent une autre critique à l’égard des auteurs : l’école est souvent évoquée de manière un peu caricaturale, comme c’est dit d’ailleurs explicitement dans la conclusion.

Alors que l’équipe cherche à mettre à jour l’apport de la liaison école-famille « pour amener les enfants à identifier de plus en plus finement les documents et à qualifier l’information dont ils sont porteurs », nous nous demandons si les contributeurs ne restent pas prisonniers parfois de leurs propres représentations en abordant la question des apprentissages sous l’angle de la juxtaposition d’un monde « du dehors » : la société et d’un monde du dedans « l’école ». Aujourd’hui et à l’issue de cette recherche nous serions tentés de leur demander en référence à des travaux sur les contextes et les milieux et ce serait notre dernière question : quels mouvements de savoirs, quelles importations et exportations d’un univers à l’autre valorisent-ils collectivement in fine ?

L’ouvrage annonce un projet ambitieux auquel nous adhérons : celui d’accorder une importance à la construction de sens chez les individus sans rester focalisé sur les comportements des situations et des activités variées, pédagogiques ou familiales. Il démontre l’importance de la prise en compte des échanges, des interactions dans les pratiques enseignantes, car ils favorisent la construction d’un point de vue et une capacité d’argumentation qui se construit dès le plus jeune âge.

Toutefois il nous semble que si l’on souhaite faire évoluer les manières d’apprendre et de former il reste un travail à poursuivre -et nous ne disons pas cela en extériorité puisque nous nous sentons directement concernée- pour valoriser ce qui caractérise spécifiquement et densément un domaine de pratiques et de savoirs originaux, en tenant compte des points de vue de tous les acteurs impliqués.

Avec ce travail autour d’une pédagogie documentaire, les itinéraires du curriculum s’ébauchent au niveau des premiers apprentissages en privilégiant les fonctions d’étayage et de métacognition au cours des différentes activités mises en œuvre pas les enseignants. Les auteurs insistent dans la conclusion sur le fait que ces fonctions sont « indispensables en ce qui concerne les pratiques documentaires ».

La didactique de l’information-documentation, en tant que discipline de recherche contribue à poursuivre le travail de caractérisation des savoirs de l’information (tout en tenant compte des évolutions sociétales) et à tracer les itinéraires du curriculum en dégageant des visées (ce qui fait écho à la problématique du sens).

C’est dans cette optique que nous avons procédé à une lecture transversale des travaux de l’équipe nationale Erté pour la rédaction du volet didactique et fait ressortir des visées didactiques communes à un double niveau celui de la recherche et celui de la formation (rapport final 2010).

Nous ne pouvons que recommander la lecture de cet ouvrage qui contribuera à étayer les travaux des étudiants, des professionnels, des chercheurs, à donner des pistes par exemple pour des formes de recherche-action voire d’ethnographie scolaire et continuer à produire du savoir.

Muriel Frisch


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