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Quand René Rémond parlait des mouvements pédagogiques…
Nous venons d’apprendre la disparition de René Rémond. Historien de renom, grand connaisseur de la politique française (qui ne se souvient, pour les moins jeunes, des soirées électorales et des analyses souvent très pertinentes d’un penseur fin, qui n’était pas qu’un politologue d’institut de sondage ?), il avait aussi participé à la réflexion sur l’école. A l’occasion du grand débat sur l’école, il avait même présidé une commission en 2002 qui devait proposer une « relecture des programmes du collège », côté « Humanités ». On ne sait pas bien ce qui a été fait de ce rapport qui n’est plus disponible en ligne semble-t-il.
René Rémond avait toujours répondu favorablement à nos solliciations pour des articles ou pour des interventions. C’est ainsi qu’on trouvera sur ce site
un résumé de son intervention à notre colloque sur la démocratie à l’automne 2002, à un moment où précisément celle-ci (notre démocratie) avait subi un sérieux choc avec la présence de Le Pen au second tour.
Mais nous voudrions surtout reprendre ici ce qu’il disait des mouvements pédagogiques, dans une brochure que nous avons publié avec les autres mouvements du CLIMOPE à l’occasion de la Biennale de l’éducation en 1994. Il était interviewé par deux amis, eux aussi disparus, Jacky Beillerot et Jacques George.
Dans [ les évolutions du système éducatif ], voyez-vous un rôle pour les mouvements pédagogiques ?
René Rémond — Je crois que oui. Ils peuvent jouer un rôle de tête chercheuse. Ce n’est pas le rôle de l’administration que d’imaginer, mais il faut qu’il y ait des gens qui pen-sent, qui fournissent en quelque sorte le vivier d’idées où les administrations et les poli-tiques pourront puiser. Ce peut être le rôle des mouvements, surtout s’ils acceptent de s’ouvrir, de s’élargir, d’entendre d’autres demandes et d’autres points de vue, et de réali-ser à l’intérieur d’eux-mêmes des arbitrages entre les préoccupations professionnelles des enseignants et d’autres demandes. Il faut qu’il y ait des lieux à la fois de rencontre et d’arbitrage; ce ne peut être l’administration, ce ne peut être, dans l’état où ils sont, les syndicats, et ce n’est peut-être pas leur rôle, puisqu’ils sont d’abord faits pour la défense des syndiqués. Mais il faut qu’il y ait des institutions qui jouent ce rôle de relais. C’est le rôle du phénomène associatif; rien ne remplace l’initiative responsable. Il n’est pas toujours nécessaire d’avoir de grands mouvements; de petits groupes peuvent parfois provoquer de grands mouvements, une onde de choc, un ébranlement. Les colloques des années 60, le numéro spécial d’Esprit, en 1964, sur l’Université: c’était peu de monde en définitive, mais quel retentissement! Ou, dans un autre ordre d’idées, le club Jean Moulin. Je crois que l’efficacité des sociétés de pensée, des clubs, est sans commune mesure avec leur importance numérique. Ce n’est pas vrai pour les partis, pour les syn-dicats, puisqu’ils ont à faire la preuve de leur représentativité. Alors que la représentati-vité d’un club n’est pas d’ordre statistique, et elle ne se mesure qu’après.
Cela n’exclut pas les discussions techniques sur la pédagogie, la didactique, les disci-plines, mais il faut les inscrire dans une discussion d’ensemble sur la fonction ensei-gnante, la place du système éducatif, le niveau où situer la formation dans la hiérarchie des grandes fonctions de la société. C’est un débat politique, et la politique c’est bien d’arbitrer entre les fonctions de la société. Si on ne s’y prépare pas, on risque d’être simple témoin des remises en question, ou de se battre le dos au mur sur des positions défensives.
On peut très bien imaginer que les mouvements provoquent des colloques où ils invite-raient des politiques, où l’on demanderait comment développer l’autonomie des établis-sements, leur donner une plus grande liberté, faire du projet d’établissement une réalité, une communauté, assouplir les horaires, réaliser une vraie décentralisation/déconcentration. Cela m’étonnerait que dans le prochain septennat il n’y ait pas de décisions importantes à prendre sur le système éducatif. Il ne faudrait pas qu’elles soient prises sous la pression des intérêts économiques, ou sous celle des factions, ou par esprit de revanche.
Quand je compare la perspective que vous tracez là et la faiblesse de l’audience et des moyens des mouvements, il y a un grand hiatus.
René Rémond — Mais est-ce qu’il ne faudrait pas modestement commencer dans le cadre d’une région ou deux, où les mouvements seraient un peu plus forts qu’ailleurs ? Prendre l’initiative avec un certain nombre d’élus locaux ou régionaux ? Après une ou deux réussites de ce genre, on pourrait envisager une généralisation. Les mouvements, en opérant ainsi, feraient œuvre utile et seraient dans leur rôle.