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Le livre du mois du n°560 – InterClass’, éducation aux médias et à la citoyenneté

L’ouvrage débute par le rappel du contexte de création du dispositif InterClass’ : les attentats de janvier 2015 et les retours d’enseignants évoquant leurs difficultés devant des élèves qui n’étaient pas Charlie. InterClass’, c’est d’abord un projet politique et social, rétablir le dialogue entre de jeunes banlieusards, dont on donne souvent une image négative dans les médias, et les journalistes de radio publique que ces jeunes n’écoutent pas et dont ils se défient autant que des autres journalistes. Les questionnaires présentés dans le livre montrent que ces jeunes, à l’instar de leurs congénères, s’informent principalement par les réseaux sociaux et n’ont pas confiance dans la presse institutionnelle.

InterClass’ est né de ce constat et de l’envie d’Emmanuelle Daviet d’aider les enseignants et les journalistes à travailler avec de jeunes élèves pour se déjouer des fake news et faire de la radio ensemble. Dès le sous-titre, le ton est donné, il s’agit de proposer un travail de fond.

Le dispositif débute en septembre 2015. Cinq ans après, forte de cette expérience riche et visiblement passionnante, Emmanuelle Daviet propose à toute « la communauté éducative et journalistique » d’expérimenter à son tour l’investigation rigoureuse, la vérification des sources et la déontologie nécessaires au journalisme. C’est un travail interactif, un projet de groupe dans lequel on travaille autant la recherche d’informations que la technique spécifique de la radio.

Parmi les exercices proposés, le développement de l’expression de l’opinion est récurrent, permettant à la fois de travailler sur l’éducation à la citoyenneté et sur l’expression orale et écrite, en approfondissant systématiquement l’autonomie des adolescents. Un projet complet, complexe et étayé, que tout un chacun, journaliste comme enseignant ou éducateur, peut s’approprier localement. Il s’agit donc d’un plan de formation du citoyen capable d’exercer toutes les dimensions de la citoyenneté, de développer son esprit critique et sa capacité à rechercher l’information, mais aussi d’étayer son opinion autant que de la partager. Pari réussi, donc.

Au travers du récit, parsemé de nombreux témoignages, le lecteur perçoit que les élèves comprennent par eux-mêmes que les explications les plus attractives ou complotistes ne sont pas nécessairement les meilleures. Ils aiment aussi, tous les témoignages concordent, découvrir que la recherche, avec l’aide des journalistes professionnels dont ils comprennent le métier, est parfois plus plaisante que la volonté de tout expliquer.

Pour le néophyte, comme pour l’éducateur ou le journaliste déjà impliqué dans d’autres projets, cet ouvrage court et très méthodique, proposant une progression autant qu’une programmation, permet d’oser se lancer dans un projet annuel d’éducation aux médias. Il offre une marche à suivre accessible et rassurante, un glossaire du vocabulaire journalistique, des questionnaires pour préparer le projet, puis en faire le bilan. Par exemple, page 66, débute la présentation de ce que représente la préparation d’un journal radio. L’auteure y détaille les différents rôles que doivent se répartir les élèves. Cela permet de travailler la coopération, mais aussi de mettre en valeur les compétences de chacun. C’est également, dans les savoir être, un gain considérable pour les élèves comme les enseignants, chacun découvrant l’autre dans une facette de sa personnalité parfois insoupçonnée.

Chaque page confirme le plaisir évident qu’Emmanuelle Daviet a pris à participer au projet, mais aussi à se remémorer les différents moments, anodins ou plus marquants, de l’expérience InterClass’. C’est ainsi non seulement un ouvrage plaisant à lire, mais aussi un véritable outil de travail pour développer son projet d’éducation aux médias. Un opus simple, précis, pas moralisateur mais intelligemment vulgarisateur.

Émilie Kochert

Questions à Emmanuelle Daviet

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Photographie Radio France / Christophe Abramowitz

Qu’avez-vous appris sur votre métier à travers l’expérience InterClass’ ?

À titre personnel, cela m’a confirmé que j’aurais beaucoup aimé enseigner et je le dis sans aucune vision fantasmée de ce métier. Avoir été spécialiste éducation à la rédaction de France Inter m’avait déjà permis de bien cerner les difficultés de la profession, mais également les liens incroyablement riches et stimulants générés par cette interaction si particulière entre élève et professeur, et InterClass’ a conforté cette appréciation. Quant au métier de journaliste, cette expérience me prouve que rien n’est perdu pour retisser un lien très distendu entre la presse et ses publics. France Inter a lancé ce programme pour restaurer le dialogue entre les médias traditionnels et la jeunesse, et cela fonctionne. C’est une goutte dans un océan au regard de ce qu’il faudrait faire auprès de tous les élèves pour les initier à l’éducation aux médias et à l’information, mais ce dispositif a le mérite de se poursuivre chaque année.

Pourquoi l’éducation aux médias reste toujours autant d’actualité cinq ans après Charlie ?

On voit bien à quel point il est toujours aussi vital d’aborder en classe les notions de liberté d’expression, de laïcité, de blasphème, d’humour. L’actualité récente le prouve et, une fois encore, les enseignants nous disent à quel point ils sont démunis.

Quelles sont les conditions d’un travail commun réussi entre journalistes et enseignants ?

La réussite de notre travail se matérialise très concrètement dans la production de reportages diffusés dans la grille d’été de France Inter en matinale et dans des émissions grand format (cinquante-six minutes). Donc, à la fin de l’année, on peut juger si le contrat est rempli ! On aurait tort de penser que ce travail est simple. Il y a parfois beaucoup d’embuches sur le chemin d’un journaliste pour parvenir à la réalisation et à la diffusion de son sujet. Toutes ces contraintes, les élèves les découvrent, non sans surprise, au fil de l’année, et ils parviennent à surmonter les aléas de ce métier.

Pour arriver à ce résultat, mon maitre mot c’est le compagnonnage. Lors d’une séance, il n’y a pas les professeurs d’un côté et les journalistes de l’autre. Il s’agit de construire un projet ensemble. Ce programme d’éducation aux médias est certes adossé à l’expertise journalistique, mais cette acquisition des savoirs se déroule dans une interaction complète entre l’élève, le journaliste et l’enseignant. Chacun est acteur au même titre que les autres. Enseignants, journalistes, tous ces adultes témoignent d’un grand sens de la coopération, qui développe chez les élèves le gout d’apprendre sans compétition, l’entraide, le plaisir de la recherche, le respect d’autrui et de ses points de vue.

Quels sont les retours des professeurs sur l’expérience InterClass’ ?

Pour les professeurs qui découvrent le dispositif, il s’agit d’une expérience inédite et parfois déstabilisante, puisqu’ils se retrouvent dans une position d’égalité avec les élèves. Ils deviennent eux aussi apprenants car, au même titre que les élèves, ils découvrent un univers professionnel inconnu et expérimentent de nouvelles méthodes de travail : préparer une interview, établir un conducteur, décrypter un reportage, monter un son. Pour les élèves et leurs professeurs, découvrir ensemble les codes de ce nouvel univers professionnel contribue à instaurer dans la classe une relation de confiance basée sur l’apprentissage commun.

Qu’apporte le fait d’être dans un contexte professionnel ?

Avant de répondre à cette question, je tiens à dire que j’ai une réelle admiration pour les enseignants qui se lancent seuls ou avec des collègues dans l’éducation aux médias et à l’information. Ils offrent à leurs élèves une opportunité différente de s’ouvrir au monde, qui complète les apprentissages réalisés dans les disciplines classiques. D’autre part, ils sollicitent des compétences que les élèves pourront toujours réinvestir dans leur scolarité, je pense notamment à la prise de parole ou au travail de l’écrit.

Avec InterClass’, les élèves travaillent au sein de la première radio de France. Ils prennent véritablement la mesure de l’enjeu, au début de l’année, lors de leur rencontre avec les journalistes à la Maison de la Radio où ils sont accueillis pendant sept heures. Au cours de cette journée, ils découvrent les studios, les régies, ils manipulent du matériel professionnel. On ne joue pas, on ne fait pas semblant. On ne s’amuse pas à faire de la radio. Cette dimension est capitale, car elle est valorisante : nous les prenons au sérieux. Travailler avec les élèves nous oblige et engage notre responsabilité en tant qu’adultes et professionnels des médias. Avec exigence et bienveillance, nous les faisons devenir acteurs des apprentissages journalistiques le temps d’une saison radiophonique.

Propos recueillis par Émilie Kochert