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Impulser le changement en lycée

Proviseur adjoint aujourd’hui, j’ai parcouru le système éducatif tout au long de ma carrière et, de quelque position que ce soit, enseignant en classe, à l’université, responsable académique au sein d’un cabinet d’inspecteur d’académie puis de recteur, formateur académique, détaché dans l’éducation populaire, j’ai toujours fait le même constat : le changement inquiète, il déstabilise et de ce fait, crée des résistances. Ce fut le cas lors de la mise en place de la réforme du lycée, pour les langues vivantes particulièrement, dans l’établissement dont j’ai la responsabilité.

La posture de chef d’établissement

Chaque proviseur incarne plus ou moins une des figures archétypiques qu’ont développées de nombreux auteurs tels Jean-Pierre Obin ou Anne Barrère. Entre le chef d’entreprise, le manager ou le pédagogue, des différences d’implication dans la vie pédagogique de l’établissement sont constatées. Par ailleurs, des contraintes institutionnelles orientent, lentement il faut le reconnaitre, les pratiques d’enseignement.

La réforme du lycée depuis 2010 invite les équipes d’enseignants de langue à former des groupes de compétences, à répartir les élèves selon cinq activités en fonction des groupes de besoin, et à viser l’acquisition de compétences en référence au Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL).

Au lycée polyvalent de Bras-Fusil, en LV1 anglais, les enseignants ont adhéré très vite à ce mode d’enseignement ; en LV2 espagnol, faire changer les pratiques de trois enseignants simultanément est chose moins aisée.

La faute à qui ? Au chef d’établissement, à l’inspection, aux enseignants, peut-être aux élèves et aux familles ? Peu importe, mais si les trois premiers agissaient dans le même sens, la réforme serait déjà appliquée en espagnol au lycée de Bras-Fusil et les derniers en profiteraient.

Le chef d’établissement, et plus exactement l’équipe de direction, prépare la répartition des moyens reçus dans sa dotation globale horaire (DGH) entre les disciplines. Pour les langues vivantes, c’est une globalité pour les deux langues (cinq heures en terminale STMG[[Sciences et technologies du management et de la gestion.]] chez nous).

Sa marge de manœuvre n’est pas très grande, mais ses arbitrages en matière de dépenses de moyens supplémentaires sont conditionnés par la politique éducative de l’établissement. Autrement dit, lorsque le lycée de Bras-Fusil affiche dans son projet d’établissement et dans son contrat d’objectif une ouverture à l’international, le proviseur va permettre aux enseignants de travailler dans des conditions d’efficacité augmentée.

Face à ce choix du chef d’établissement, se trouve une contrainte institutionnelle. La DGH[[Voir encadré.]] limite les volontés d’un proviseur de mettre en place pour son enseignement de langues des groupes d’élèves à effectif réduit.

Ce que le chef d’établissement donne à l’enseignement des langues sera en moins pour le dédoublement d’autres disciplines ou dispositifs (accompagnement personnalisé par exemple).

C’est donc bien un choix du chef d’établissement présenté et discuté en conseil pédagogique qui détermine les pratiques d’enseignement en établissement scolaire.

Le projet du Lyçée de Bras-Fusil

Mais donner des moyens n’est pas toujours suffisant. Abandonner sa pratique d’enseignement actuel, aussi lourde et énergivore soit-elle, c’est partir vers l’inconnu, favoriser un apprentissage par compétences qui nécessite une évaluation ad hoc et cela fait peur.

J’ai donc proposé à l’équipe d’enseignants de langues d’oublier momentanément ces complications organisationnelles qui égarent l’esprit vers des aspects pratiques et de répondre à la question : « Nos élèves seraient-ils capables de communiquer avec des jeunes Espagnols ? Peut-on tester cela et comment ? »

En tant que chef d’établissement, j’ai fait partie des candidats à une bourse Erasmus+ et me suis mis en quête, un an avant la date de départ (février 2016), d’un établissement espagnol analogue au nôtre.

Je rentre d’une semaine de totale immersion dans un Instituto de Educación Secundaria (IES) de Séville, en Andalousie. Outre les recherches qui concernaient le pilotage d’un établissement en lien avec mes fonctions, j’ai pu permettre aux élèves des deux hémisphères de vivre deux visioconférences, qui ont suscité un bel enthousiasme partagé.

En amont, nous avions créé un blog sur notre site (www.lyceebrasfusil.fr) où nos élèves ont rédigé des articles en langue espagnole sur le relief de la Réunion, le volcan, la gastronomie, la culture, qu’ils ont présentés à leurs homologues andalous.
Ainsi, lorsque nos lycéens créoles expliquaient la fête de la Liberté (abolition de l’esclavage dans l’île, 20 décembre), les Sévillans illustraient la semaine sainte en Andalousie par des danses flamencas en costume : j’entendais et je voyais nos élèves applaudir sur l’écran de la salle de l’IES Pablo-Picasso.

Quel partenariat ?

Je synthétiserai en cinq points ce projet de partenariat entre deux établissements en cours de réalisation : lorsque l’inconnu fait peur, il faut qu’une personne fasse le premier pas pour enclencher le mouvement : face à l’océan quand l’eau est froide, le premier baigneur teste puis se lance, les autres suivent ; il faut parfois revenir aux réalités et admettre que le plus élaboré des dispositifs peut obstruer la vue sur l’objectif majeur : faire de nos élèves des jeunes ouverts sur le monde, capables de communiquer ; au-delà des apprentissages linguistiques, indispensables, il y a des curiosités culturelles à faire germer. Les Andalous n’avaient jamais vu des croyants marcher sur les braises, les lycéens bénédictins[[Habitants de Saint-Benoît à la Réunion.]] ont été surpris par les cagoules pointues des pèlerins des confréries de la semaine sainte : une fenêtre sur le monde s’est ouverte pour une centaine de jeunes qui auront besoin de la langue pour le parcourir ; il peut advenir que ces graines d’envie semées dans l’esprit des élèves du lycée de Bras-Fusil germent assez rapidement et poussent les enseignants, s’ils sont réfractaires, à poursuivre les échanges et les visioconférences ; enfin, le pouvoir de changer (au sein de l’école pour changer la société) est partagé. Le statut de chef d’établissement n’imposera pas d’autorité de nouveaux modes de fonctionnement et c’est heureux qu’il en soit ainsi.

Daniel Comte
Proviseur adjoint du lycée polyvalent de Bras-Fusil, la Réunion

 

Utilisation de la DHG en langues

 

Lorsque les programmes affichent par exemple cinq heures de langues vivantes (1 et 2) pour des élèves de terminale, un lycée ayant cinq classes de terminales reçoit vingt-cinq heures pour ces enseignements. Lorsque le chef d’établissement établit la répartition de cette dotation par discipline, il peut offrir aux enseignants de LV1 trois heures en classe entière et deux heures en espagnol : il ne consommera pas davantage que l’enveloppe donnée.

En revanche, s’il estime que l’élève apprendra mieux en groupe réduit, il peut donner une heure en classe entière et deux heures par groupe de demi-classe : pour chacune des classes, seront utilisées cinq heures au lieu des trois heures allouées, les vingt-cinq heures reçues sont dépensées pour la seule LV1. Et avec la réforme des langues vivantes, il n’y a plus que des groupes d’élèves par niveau en fonction des compétences visées, toutes les classes sont alignées et pour cinq classes, on peut décider huit ou neuf groupes (selon les effectifs) et consommer vingt-quatre ou vingt-sept heures pour la seule LV1.