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Professeurs des écoles au XXIe siècle – portraits socioprofessionnels
En dix ans, de 2003 à 2013, on a assisté au remplacement de 45 % des personnels du premier degré du fait de départs à la retraite massifs. Il était donc urgent de questionner l’identité collective de ce groupe professionnel. Cet ouvrage se propose de faire la première synthèse sur la profession de professeur des écoles (PE) depuis vingt ans. Fondé sur des observations de terrain, des données statistiques et des entretiens originaux, qui ponctuent régulièrement la lecture et contribuent à l’alléger, il dresse le « portrait socioprofessionnel » des PE d’aujourd’hui. Même si le terme d’« instits » est encore largement utilisé par le grand public et par les PE eux-mêmes, une page générationnelle a en effet bien été tournée.
Les trois premiers chapitres du livre sont ainsi consacrés à des rappels terminologiques, des données et analyses statistiques et à une description des effets de la formation sur la voie de la professionnalisation. Ils mettent en avant les satisfactions et les frustrations en regard des gains, reculs ou stagnations sur les plans à la fois matériels et symboliques. Les chapitres 4, 5 et 6 sont consacrés au métier à proprement parler, c’est-à-dire à l’activité quotidienne, en classe. Les deux derniers sont dédiés aux questions de la syndicalisation et du rapport au politique.
L’analyse des données statistiques (genre et générations, ascendance paternelle et choix conjugaux) tend à faire conclure que le « lent embourgeoisement » des institutrices puis professeures des écoles a objectivé la diffusion de pédagogies nouvelles au sein de l’école et a contribué à la une diffusion puis une prédominance des codes des classes moyennes. L’analyse des données statistiques relatives au métier et au système laisse quant à elle apparaître la dominance de la « vocation » pour le métier. On constate également la montée en puissance des reconversions professionnelles conduisant au métier de PE.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à ce qui fait le quotidien des PE, ce qui fonde leur engagement dans le métier. Le chapitre 4 montre ce qui en fait l’unicité : dans le cœur du métier enseignant, la dimension relationnelle (aux enfants et au groupe-classe) est essentielle. Les enseignants du premier degré interrogés insistent également sur l’appétence pour le fait d’enseigner et de faire apprendre. La polyvalence, conçue comme une vraie interdisciplinarité et non comme une juxtaposition de disciplines, est un élément fort de l’identité enseignante, même si les PE mesurent la difficulté de sa mise en œuvre. Les chapitres 5 et 6 montrent au contraire ce qui contribue à la segmentation de ce corps : distinction entre les enseignants de maternelle et de primaire, autres spécificités (direction d’école, enseignement spécialisé, maître formateur) et surtout conditions d’exercice ( zones rurales versus zones urbaines, éducation prioritaire).
Enfin la dernière partie est consacrée aux questions syndicales et politiques. On assiste à un net recul de la syndicalisation depuis les années 1970 (25 % de syndiqués sur l’ensemble du corps professionnel aujourd’hui). On se trouve face au paradoxe d’organisations certes respectées, mais peu à peu désertées. De la même façon, on assiste à un « désinvestissement de la politique », et dans le même temps, à cause de l’élévation de l’origine sociale des enseignants, on constate une représentation politique de droite plus importante qu’auparavant. Ces enseignants plus critiques le sont aussi face à la grève. Ainsi la problématique de la grève révèle une tension entre une éthique professionnelle fondée sur le service à autrui et une désolidarisation d’avec la société que celle-ci suppose. Quant aux prescriptions ministérielles, notamment concernant les évaluations et leurs résultats, les auteurs constatent que les PE les appliquent sans toujours les approuver, tout en restant pénétrés d’un idéal républicain humaniste, dépourvu de préoccupations d’efficience.
Se dessine alors une communauté dont l’identité semble stabilisée et fondée sur une formation maintenant pleinement universitaire et sur l’aboutissement d’un projet professionnel réfléchi. Le portait type du PE d’aujourd’hui est le suivant : femme d’un peu plus de 40 ans, issue de la classe moyenne, fortement diplômée de l’université, ayant opté pour la polyvalence par choix initial ou par reconversion, déclarant son goût pour le travail auprès des enfants, fière d’exercer l’activité pédagogique conçue comme le cœur du métier, mais aussi défiante vis-à-vis du ministère, de sa hiérarchie. Malgré une satisfaction certaine à exercer, des manifestations de malaise sont récurrentes : sentiment de trop, de surprescriptions, d’accumulation de tâches annexes, sentiment de ne jamais avoir assez de temps…
Un ouvrage très bien documenté, à cheval entre sociologie et sciences de l’éducation.
Laurence Cohen