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Plaisir d’écrire dure plus qu’un moment

Des stages d’écriture pour maintenir la tension et l’attention en classes élémentaires, pour soutenir l’effort d’engagement demandé aux élèves et entretenir leur motivation d’« être à la manœuvre ».

À l’origine, une idée-force : et si dans l’écriture, c’était d’abord le désir des élèves qui était essentiel, et comment à partir de là bâtir un projet pédagogique ? Pédagogique avant tout, au-delà des disciplines.1 Notre projet « En avant ! » a douze ans d’âge, mais il nous semble toujours actuel et largement transférable dans toutes les disciplines.

Nous avons d’abord posé la question du prescrit et de ses écarts au réel : comment concilier les exigences de programmes qui s’adressent à tous les élèves d’une classe d’âge, de façon indifférenciée, et les compétences réelles de nos élèves ? Ensuite, la question du singulier et du pluriel : comment jongler intelligemment entre des temps personnalisés, adaptés à chacun, et des temps collectifs fondateurs d’un groupe classe dans lesquels chacun se retrouve ? Enfin, la question du transfert des apprentissages : comment permettre aux élèves de relier des ressources acquises, plus ou moins automatisées, dans des situations standardisables (ce qui est appris), et des compétences qui sollicitent ces ressources toujours autrement, dans des situations qui ne sont jamais vraiment les mêmes ?

Motivés, motivés !

La motivation nous est apparue alors comme un concept médiateur entre ces trois questions clés. À l’appui des travaux qui font autorité, nous investissons les trois leviers motivationnels de la théorie, dite « des besoins de base2 ».

Le premier besoin, celui qui consiste à se sentir compétent, nous invite à nous questionner sur ce qui conduirait nos élèves à interagir efficacement avec leur environnement. L’idée consiste à penser que nos élèves prennent des décisions pertinentes dans des situations inhabituelles au moyen de ce qu’ils ont appris.

Côté mises en œuvre, quelques idées se déclinent : relier les outils de la langue et les écrits, rencontrer et s’inspirer de textes d’auteurs notamment dans la littérature jeunesse, prendre le temps pour ne pas survoler ce qui est à maitriser et à réinvestir, éviter la multiplication des « jets d’écriture » qui donnent le sentiment de ne pas avancer, comprendre que je progresse et en quoi je progresse tout en assurant la pérennité du déjà-là. Enfin et surtout laisser une véritable trace qui fera de moi un auteur reconnu compétent ; bref, être lu !

Le second besoin, lié à l’autonomie de la personne, nous pousse à investir la question de la responsabilité de chacun. Pour cela, nous souhaitions que nos élèves puissent se sentir « à la manœuvre ». L’idée consiste à penser que l’élève n’est pas seul dans la barque, mais que c’est bel et bien lui qui tient le gouvernail. Le « sur place » et le « tout droit » sont à dépasser pour se sentir autonome. Nous proposons donc une part de choix dans les ressources que l’élève va investir (« ce qui le rendrait plus fort »), des lanceurs d’écriture suffisamment ouverts et féconds en termes d’idées possibles (ce qui lui permettrait d’exprimer ses ressources), la possibilité d’être aidé ou d’aider les autres. Enfin et surtout, prendre la décision d’un texte parmi d’autres, car chacun prend la décision de ce qui peut ou doit être lu.

Enfin, le dernier besoin, celui de relations sociales, pousse à une réflexion concernant les relations entre nos élèves : se sentir connecté aux autres, être attentif à chacun (plus particulièrement à ceux qui ne nous ressemblent pas) en vue de former une communauté. Un mot d’ordre : apprendre par, pour et avec les autres, progresser soi tout en faisant progresser les autres. Enfin et surtout, parce qu’apprendre n’est qu’un moyen, notre dernière idée réapparait comme le leitmotiv du projet : j’écris pour partager, donc pour être lu !

Dix séances pour écrire et être lu

Chaque maitre ouvre un stage ; les élèves qui y participent y travaillent un aspect et un seul des programmes en vigueur. Chaque stage embrasse des contenus épars des programmes que nous avons regroupés : ponctuer un texte, enrichir les phrases, faire parler des personnages, utiliser les temps, organiser ses idées, etc. Nous nous inscrivons dans la durée : un stage de cinq semaines par période, à raison de deux séances par semaine. Lors des dix séances d’un stage, les élèves consacrent quatre d’entre elles à produire des écrits, trois à entendre des textes d’auteurs (parmi lesquels se confondent des élèves auteurs et des auteurs de littérature jeunesse) et trois à préparer et partager un écrit destiné à être lu, entendu ou joué. S’entremêlent des séances ciblées sur des outils de la langue, cohérente avec le stage en question.

Un code de révision de texte différencié est établi depuis le début du projet, une banque de lanceurs d’écriture se constitue progressivement, et complète notre banque de textes d’auteurs. De vastes chantiers sont apparus, en vue d’outiller les collègues qui se lancent dans leur école. Ainsi, nous devons produire des fiches d’automatisation autonomes, affiner nos dispositifs de coopération entre élèves, réviser nos thématiques de stage et trouver le moyen de mieux partager entre écoles impliquées nos expériences et nos outils.

La boussole est restée résolument orientée sur le désir d’écrire et d’être lu. Sur ce plan, l’expérience nous a beaucoup encouragés. Les élèves expriment très explicitement leur attachement à ce projet ou leur déception les jours d’annulation de stage (pour absence d’un collègue par exemple, une des limites du projet). Certains anciens élèves sollicités nous livrent des témoignages touchants. Ainsi, nous nous souvenons de Liam, qui l’année de son redoublement en CM2 a remporté un concours de poésie, ainsi que de nombreux élèves qui ont été distingués dans des concours d’écriture Amopa (Association des membres de l’ordre des palmes académiques). Inaya se rappelle : « Nous finissions toujours par faire preuve d’imagination. Pas sure si je n’étais pas passé par-là ! ».

Le sentiment de reconnaissance est particulièrement présent lorsque l’on fait le constat du chemin parcouru par ces élèves à la lecture de leurs productions tout au long d’une année scolaire. Un nouveau souffle sera donné à ce dispositif à partir de l’an prochain, en investissant la recherche autour de deux axes : mobilisation et coopération. Avis aux amateurs pour nous rejoindre dans cette nouvelle aventure pédagogique.

Grégory Delboé
Formateur à l’Inspé de l’académie de Lille – Site de Douai
Gilles Couquillou
Professeur des écoles, maitre formateur à Douai
Luc Mouquet
Professeur des écoles, maitre formateur à Douai

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Écrire pour être lu

Coordonné par Ben Aïda et Jean-Michel Zakhartchouk
Ce dossier s’inscrit dans une réflexion critique menée sur les « fondamentaux » à l’école énoncés dans les discours injonctifs (« lire, écrire, compter, respecter autrui »). Il s’agit de s’interroger à la fois sur le sens à donner à l’écriture des élèves (qu’écrivent-ils, pourquoi, pour qui ?) et sur l’apprentissage du geste.


Notes
  1. Nous n’avons pas été assistés par un didacticien, malgré plusieurs sollicitations locales de notre part qui n’ont pas abouti.
  2. Antonia Csillik, Fabien Fenouillet, « Edward Deci, Richard Ryan et la théorie de l’autodétermination », in Philippe Carré et Patrick Mayen (dir.), Psychologies pour la formation, Dunod, 2019.