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Pédagogie de l’égalité. Freinet au second degré
Le collège lycée expérimental Freinet (CLEF) de La Ciotat est un des établissements publics expérimentaux de l’hexagone. C’est à cette expérience que ce livre s’intéresse, plus particulièrement son versant lycée. La structure expérimentale a vu le jour à la rentrée 2008, d’abord via une classe de 6e, de 5e, et de 2de, avant de s’étendre progressivement.
Dès l’avant propos du livre, Nicolas Go, chercheur en sciences de l’éducation qui accompagne l’écriture, pose la question de savoir ce qu’est une école du peuple. Il faut dire que le contexte du Lycée est bien différent de celui qui était celui d’Elise et Celestin Freinet. Si l’immense majorité d’une classe d’âge fréquente désormais le lycée, cette massification s’est faite par l’ouverture de différentes filières. Go précise ainsi qu’il ne peut s’agir simplement d’une école où tous peuvent aller mais d’une école où tous peuvent s’émanciper (p. 14).
C’est donc la mise en œuvre d’une pratique émancipatrice dont il est question au fil des 150 pages. L’équipe du Lycée Louis Lumière s’est tournée vers la pédagogie Freinet pour répondre à cette intention. Pour avoir une vue globale sur cette expérience de pédagogie différente, il faut ouvrir la lecture par le dernier chapitre qui offre une « description du dispositif ». Il expose (trop) brièvement l’organisation dans son ensemble, du service des enseignants, à la structure des différents temps d’apprentissages : cours disciplinaires, séances de Travail Individualisé par groupe de 15 encadré par un même enseignant sur l’année, ateliers d’approfondissement, réunion de coopérative.
Mais le livre assume surtout une porte d’entrée, celle de la Méthode naturelle. C’est elle qui est le fil rouge de la partie principale qui couvre les deux tiers de l’ouvrage. Quatre enseignants y décrivent leur déclinaison de cette Méthode dans le contexte du lycée. En littérature, en langue vivante (Anglais), en Sciences de la Vie et de la Terre et en philosophie, c’est à partir d’un style monographique que le lecteur s’immisce dans les classes. Ici, chaque détail est décrit, de la préparation de la salle au déroulement du cours en passant par l’arrivée des élèves. Des encadrés parsèment les monographies et permettent ainsi de prendre du recul, de justifier les pratiques et les menus détails. Un court prolongement théorique ponctue chaque chapitre comme un regard extérieur sur ce qui vient d’être conté.
C’est dans le chapitre 5 que le lien entre les pratiques de Méthode naturelle et émancipation prend corps. Nicolas Go, dans la lignée du mouvement Freinet, y défend une émancipation par le travail. L’expérience de la Ciotat s’inscrit comme une remise en cause de la forme scolaire… ce qui peut, d’ailleurs, au fil de l’ouvrage, questionner le lecteur vis à vis de la compatibilité avec les instructions et contraintes officielles, surtout dans un contexte de réforme du lycée qui a vu les groupes classes voler en éclat. Cette tension entre volonté de révolution, que Go présente comme faisant partie, par essence, de toute pédagogie (p. 121) et nécessité de préparer au baccalauréat transparaît de temps à autre. Mais ce serait bien de la forme scolaire que l’école publique devrait s’émanciper (p. 122), afin d’en « abolir les formes inégalitaires » et « inventer des pratiques éducatives incompatibles avec les rapports de domination » (p. 125). La proposition qui est faite ici est une « pratique souveraine du travail » dans une « socialisation coopérative » qui « détruit la logique de subordination hiérarchique ». Car la méthode naturelle décrite s’inscrit dans des échanges permanents créant ainsi un patrimoine de classe qui mène à la connaissance.
Le point de départ est « l’affirmation de l’égalité » (p. 126) permettant à tous les enfants du peuple « d’expérimenter et d’accéder à la joie de vivre » (p. 128) en se détachant de la tradition scolastique.
Le travail permet alors de rassembler en contexte scolaire grâce à une organisation coopérative (p. 131), offrant à chacun la possibilité de s’autoriser, de trouver la souveraineté de soi et sur l’organisation sociale.
Plus que des techniques, c’est bien « un mode de vie, par lequel s’expérimente le principe de souveraineté, ainsi que la puissance d’agir de chacun et n’importe qui » que nous présentent les auteurs de cet ouvrage. La pédagogie ainsi décrite ne cherche pas à courir après l’égalité, elle en fait son principe originel.
Guillaume Caron