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Où va l’éducation entre public et privé ?
Il s’agit dans cet ouvrage collectif de faire le point entre le public et le privé. Les résultats de ces recherches internationales tendant à établir de nouvelles frontières, plus floues mais aussi très innovantes, entre les systèmes publics et privés dans le cadre de la mondialisation.
Il circule beaucoup de rumeurs et de stéréotypes sur l’enseignement privé et l’enseignement public. Cet ouvrage a le mérite de fournir des éléments pour un débat renouvelé car sa thèse principale peut être aisément résumée : les frontières (dans tous les sens du terme) ont bougé et le débat idéologique n’a plus lieu d’être. Ou, plus précisément, si nous y tenons, nous devrons le situer sur les vrais enjeux de cette séparation de plus en plus floue et ténue entre les deux systèmes qui ont tendance à s’interpénétrer. À la limite, nous pouvons affirmer que la vague néo-libérale que d’aucuns détectent, non sans quelque raison, n’a pas enflé au point de discréditer un enseignement public qui serait voué à la disparition ou condamné au ghetto.
Par son introduction détaillée et sa conclusion ramassée, Yves Dutercq montre que les travaux issus d’un colloque réunissant des universitaires ont été mis en regard les uns des autres et constituent une démarche que traduisent les trois parties ordonnant les neuf contributions a priori assez hétérogènes :
1. « Un peu d’ordre dans les idées » où Nathalie Mons établit une typologie des pays selon qu’il sont opposants, réfractaires, sans ou avec soutien au privé libre ou encadré, voire où le privé occupe une place importante (je reprends les termes qu’elle utilise dans son tableau de la page 29) et où Nils C. Soguel et Jean-Marc Huguenin évaluent la disposition des contribuables à payer pour la gratuité de l’éducation qui apparaît grande, voire en légère augmentation ;
2. « Les relations dialectiques entre le privé et le public » où Christian Maroy établit que le débat a quitté le champ institutionnel pour se centrer sur le thème de l’école efficace, ce qui aboutit à un autre déplacement allant dans le sens de l’établissement comme unité de production, où Carl Denecker et Monica Gather Thurler confirment ce déplacement vers l’école efficace et font le diagnostic d’un retard important de la politique publique genevoise dans la mise en œuvre d’un assouplissement des contrôles au profit d’une plus grande autonomie des établissements et où Yves Dutercq constate la complémentarité qui s’instaure dans l’enseignement supérieur entre les cours privés complémentaires et les cursus d’excellence qui restent majoritairement publics, modèle et signe d’une troisième voie dans laquelle la France s’engage de plus en plus ;
3. « La privatisation et la marchandisation en action » où Pierre-David Desjardins, Claude Lessard et Jean-Guy Blais interrogent les données produites par le « bulletin des écoles » qui, au Québec, doit informer sur les établissements et leurs performances pour conclure que la sélection faite par le privé discrédite l’hypothèse d’une supériorité et d’une efficacité supérieure, où Emmanuele Berger et Giorgio Ostinelli montrent l’importance pour la Suisse italienne, voire pour la confédération, d’un engagement de l’État dans la formation initiale et continue des enseignants pour la qualité du système scolaire, où Bernard Convert et Lise Demailly s’intéressent à l’usage d’internet comme vecteur de marchandisation et d’instrumentalisation du savoir sans tomber dans une condamnation pure et simple des apports de la technologie aux évolutions sociétales et où enfin Julia Resnik livre les conclusions de son étude sur l’expansion du baccalauréat international dans le monde. C’est une organisation privée qui gère ce diplôme, forme les enseignants et certifie les établissements qui s’inscrivent dans ce mouvement dont les coûts impressionnants ne peuvent pas toujours être couverts par les parents ou les établissements (10 en France) qui ont tous une démarche commerciale autour de la préparation à ce diplôme qui agit plus comme une marque de distinction que comme leur seule activité. Les Etats-Unis d’Amérique et l’Angleterre ont essayé de la promouvoir, y compris dans les établissements publics, mais sans effets visibles.
Que retenir de ce parcours ? En premier lieu, la diversité des thématiques abordées et l’interdépendance entre tous les niveaux de ces systèmes éducatifs de plus en plus interconnectés mais aussi reliés à leur passé comme le A level en Grande-Bretagne. En deuxième lieu, le renouvellement de l’information apportée au public intéressé qui ne s’enferrera plus dans des querelles idéologiques sur les mérites du privé et du public. En troisième lieu, il y a là une mine de ressources à exploiter tant pour le personnel politique qui constatera une nouvelle fois sa responsabilité dans le pilotage à l’échelle du pays ou de l’État dans les systèmes fédéraux que pour les concepteurs du changement en éducation scolaire dont le recours quasi-systématique à l’autonomie des établissements doit être compensé par un pilotage bien éloigné de la paresseuse mise en quasi-marché de l’éducation. Autrement dit, la lecture de ce livre, et c’est son principal mérite, aboutit à une possible « prise en compte décomplexée du référentiel global [au sens de la mondialisation ou globalisation] et internationaliste [… afin de] répondre mieux que les entreprises marchandes aux besoins des élèves de demain ».
Richard Etienne